Réforme constitutionnelle : la majorité tente un tour de passe-passe sur les données personnelles

Le domaine des Dieux
Droit 4 min
Réforme constitutionnelle : la majorité tente un tour de passe-passe sur les données personnelles
Crédits : Francisco Javier Gil Oreja/iStock/Thinkstock

Plutôt qu’une « charte du numérique », la majorité entend faire entrer la protection des données personnelles à l’article 34 de la Constitution, lequel définit les sujets relevant du domaine de la loi. Cette réforme risque toutefois de se révéler purement symbolique.

Alors que des députés de nombreux bords – jusqu’au sein du Modem et de LREM – plaident pour l’introduction d’une charte des droits et libertés numériques dans le bloc de constitutionnalité, la majorité ne semble pas prête à lâcher beaucoup de lest.

« Cette charte numérique contient des sujets qui ne font pas consensus, comme la neutralité du Net », soutient aujourd’hui le député Sacha Houlié, chargé de coordonner la réforme constitutionnelle au sein du groupe LREM. Dans une interview à Contexte, l’élu explique que la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale craint d'autre part que ce texte empêche notamment de légiférer contre les « fake news ».

La majorité s’apprête à dire non à la « charte du numérique »

Comme en commission, fin juin, Sacha Houlié insiste sur le fait que les parlementaires seraient « incapables de prédire les évolutions du numérique dans les dix prochaines années ».

« Beaucoup de sujets numériques relèvent du droit européen, poursuit-il, avec des règlements qui s’imposent. Comment ferons-nous si, dans dix ans, un règlement européen est en contradiction avec la charte du numérique ? La Constitution devra être révisée. Ce qui posera de sérieux problèmes politiques. »

La majorité souhaite néanmoins « inscrire la protection des données personnelles à l’article 34 de la Constitution, pour que ce sujet relève du champ de la loi ». D’après Sacha Houlié, « les choses sont mûres pour avancer » sur ce dossier.

En creux, l’on comprend donc qu’il n’en va pas de même pour la neutralité du Net, le droit d’accès aux informations publiques ou à l’éducation au numérique, qui étaient notamment abordés dans le projet de charte porté par Paula Forteza.

Faire de la protection des données personnelles un domaine relevant du législateur

Les rapporteurs Richard Ferrand (LREM) et Marc Fesneau (Modem) viennent ainsi de déposer un amendementsoutenu par les députés de la majorité, pour confier expressément au législateur le soin de « fixer les règles » concernant « la protection des données à caractère personnel ».

Historiquement, l’article 34 de la Constitution liste les domaines dans lesquels les parlementaires sont compétents, tandis que l’article 37 prévoit que pour tous ceux non énumérés, le gouvernement peut donc intervenir par voie réglementaire (décrets).

« On restera au même niveau de protection »

« Cet amendement ne changera rien », prévient toutefois la professeure de droit public Roseline Letteron, contactée par nos soins. « L'article 34 de la Constitution dit que le législateur est compétent pour toutes les « garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Or, la protection des données personnelles est une liberté publique rattachée par le Conseil constitutionnel à la vie privée », explique la juriste.

Introduire explicitement la protection des données personnelles au sein de la liste des domaines relevant de la loi serait ainsi « parfaitement redondant ». Roseline Letteron estime en effet qu’en « termes de droit positif, on restera au même niveau de protection ».

« Ce qu'il faudrait intégrer dans la Constitution, c'est la notion d'Habeas Data, c'est-à-dire rattacher la protection des données au principe de sûreté garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Cela imposerait la compétence du juge judiciaire en cas d’atteinte à la protection des données personnelles, ce qui serait plus utile » fait valoir Roseline Letteron.

« Ça ressemble à une belle opération de communication », nous glisse au passage un bon connaisseur du dossier.

D’autres propositions d’extension du domaine de la loi

Différents députés ont par ailleurs déposé des amendements afin d’élargir la compétence du législateur à plusieurs domaines en lien avec le numérique (toujours au travers de l’article 34 de la Constitution).

Paula Forteza et Éric Bothorel (LREM) souhaitent par exemple que le Parlement fixe les règles concernant :

  • « Le principe de neutralité des réseaux et services numériques »
  • « La protection des données à caractère personnel et le contrôle de leur usage »
  • « Le droit d’accès et de réutilisation des informations publiques »
  • « L’éducation et la formation au numérique »

Le groupe Nouvelle Gauche a déposé un amendement allant dans le même sens, conformément aux conclusions du groupe de travail Assemblée/Sénat sur les « droits et libertés constitutionnels à l'ère numérique ».

Delphine Batho (ex-PS) propose de son côté que le législateur soit compétent en matière de « droits » et « garanties fondamentales accordés aux citoyens pour l’exercice de la souveraineté numérique et la protection de leurs données personnelles ».

Les débats sur le projet de loi de réforme constitutionnelle débuteront cet après-midi, aux alentours de 16h30 (et pourront être suivis en direct depuis le site de l'Assemblée nationale). Ils devraient durer au moins jusqu’à la semaine prochaine.

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