Contre l’imagination de certains voyeurs qui usent de caméras en tout genre, le gouvernement souhaite introduire un nouveau délit de « captation d’images impudiques ». Une peine maximale de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende attendrait les contrevenants.
Alain Souchon en avait fait une chanson : « Les garçons ont les yeux qui brillent, pour un jeu de dupes, voir sous les jupes des filles... »
Pour certains, le « jeu » s’est cependant terminé par un passage au tribunal. En mai 2017, un homme d’une quarantaine d’année a par exemple écopé de six mois de prison avec sursis (assortis d’une obligation de soins) pour avoir filmé l’entrejambe de femmes dans un magasin du Haut-Rhin, le tout grâce à une mini-caméra accrochée à ses lacets.
Les faits divers de ce genre ne manquent d’ailleurs pas, probablement en raison de la miniaturisation et l’essor des caméras de type GoPro. En 2016, plusieurs vidéos « volées » dans les cabines d’essayage de magasins Décathlon s’étaient par exemple retrouvées sur un célèbre site gratuit de vidéos pornographiques.
Le gouvernement s'inquiète d'un angle mort du Code pénal
Alors que le Sénat débutera la semaine prochaine l’examen du projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes (en séance publique), le gouvernement vient de déposer un amendement visant à mieux réprimer certains faits de voyeurisme.
L’exécutif affirme que le droit pénal souffre actuellement d’une « lacune » s’agissant des « personnes qui, notamment dans les transports en commun, utilisent leur téléphone portable ou de petits appareils photos ou de petites caméras pour filmer l'entrejambe de femmes, assises ou debout lorsque celles-ci sont en jupe ».
« Juridiquement, explique le gouvernement, la qualification de ces faits est problématique. Il ne peut s'agir d'agression sexuelle car il n'y a pas de contact entre l'auteur et la victime. Il ne peut pas s'agir non plus d'atteinte à la vie privée par captation d'images présentant un caractère sexuel car les faits se déroulent dans un espace public. Par défaut, dans la majorité des cas, ces faits sont poursuivis sous la qualification de violences. Toutefois, la violence supposant à minima un choc émotif, si la victime ne s'aperçoit de rien, ce choc n'est pas caractérisé. »
Le Sénat se voit ainsi invité à introduire un nouveau de délit de « captation d’images impudiques » – sorte de « complément inversé du délit d’exhibition sexuelle », dixit l’exécutif.
Un délit constitué même en l'absence d'images
Le fait « d’user de tout moyen afin d’apercevoir ou tenter d’apercevoir les parties intimes d’une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a caché à la vue des tiers », deviendrait passible d’une peine d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. À condition bien entendu que l’infraction soit commise « à l’insu ou sans le consentement de la personne ».
L’objectif est ici de punir par exemple « une personne [qui] regarde en cachette une autre dans une cabine d’essayage », même s’il n’y a pas d’enregistrement vidéo.
Et pour cause. Il est prévu un doublement des peines en cas de circonstances aggravantes, parmi lesquelles figure le fait que « des images ont été fixées, enregistrées ou transmises ». Même en l’absence d’images, les peines pourront être portées à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende lorsque :
- Les faits sont commis dans les transports en commun
- La victime est mineure
- Les faits sont commis par « plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice »
- La victime est une personne vulnérable (personne âgée, malade, handicapée, enceinte...)
- Les faits sont commis « par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions »
Il n'y a « pas de vide juridique », assurait la Chancellerie fin 2012
Le problème soulevé par le gouvernement est en tout cas loin d’être nouveau (ni propre à la France, puisqu'il est également débattu au Parlement britannique depuis quelques semaines). En 2012, la sénatrice Esther Sittler avait alerté la Garde des Sceaux sur les « lacunes » de l’article 226-1 du Code pénal. Celui-ci punit certes la captation d’images sans le consentement de la personne visée, mais uniquement lorsque celle-ci se trouve « dans un lieu privé ».
Les services de Christiane Taubira avaient alors rétorqué qu’il n’y avait « pas de vide juridique ». « Le droit à l'image protégé par l'article 9 du Code civil est très protecteur puisqu'il permet d'interdire la fixation de l'image d'une personne physique sans son consentement, même dans un lieu public, et une action en responsabilité civile peut être engagée sur ce fondement dès lors qu'un préjudice a été causé », était-il expliqué.
La Chancellerie insistait par ailleurs sur le fait que les juges pouvaient parfois avoir une vision relativement large de la notion de « lieu privé » au sens de l’article 226-1 du Code pénal :
« Dans un souci de protection de l'intimité de la vie privée, les juridictions judiciaires sont parfois amenées à élargir la notion de lieu privé en considérant qu'un supermarché, par exemple, est un lieu privé (Cass. crim. , 14 mars 1984). (...) Il est également possible, parfois, de différencier, au sein d'un lieu public, un lieu particulier (toilettes, cabines d'essayage) devenant un lieu privé (CA Besançon, 5 janvier 1978). »
En 2016, lors de l'examen du projet de loi Numérique, le législateur avait quoi qu'il en soit décidé de compléter ces dispositions afin de mieux réprimer ce qu’on appelle le « revenge porn ».
La Haute assemblée rouvrira ce dossier la semaine prochaine, les débats sur le projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes débutant mercredi 4 juillet.