Les députés ont adopté hier plusieurs mesures visant à renforcer la lutte contre le démarchage téléphonique, à commencer par une augmentation des sanctions pour les professionnels ne respectant pas Bloctel. L’opposition, qui portait ce sujet, a néanmoins vu son texte vidé d’une grande partie de sa substance.
« Le droit en vigueur est insuffisant et inefficace », a martelé hier encore Pierre Cordier, député LR à l’origine de la proposition de loi « visant à renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique ». L’élu a sans surprise cité un récent sondage de l’UFC-Que Choisir, selon lequel plus de 80 % des Français estiment que la liste d’opposition Bloctel, bien qu’en vigueur depuis deux ans, « ne fonctionne pas ».
« La prospection téléphonique [est] le seul système de démarchage où le consentement par défaut du consommateur est admis », a regretté le parlementaire. « Dans la droite ligne » du RGPD, Pierre Cordier proposait ainsi que le législateur inverse la logique : alors qu’il faut aujourd’hui s’inscrire à Bloctel pour faire savoir aux démarcheurs que l’on ne souhaite pas être sollicité, sa proposition de loi entendait contraindre les professionnels à recueillir l’accord « explicite » – et surtout « préalable » – des personnes.
La majorité, craignant des impacts négatifs sur l'emploi, s'oppose à l'opt-in
En commission des affaires économiques, mardi 12 juin, la majorité n’a toutefois pas voulu entendre parler d’une telle réforme. « Mieux vaudrait étudier l’impact de l’opt-in avant d’en imposer le principe », s’est élevée Annaïg Le Meur, qui craignait (au nom du groupe LREM) des destructions d’emplois. La parlementaire a par ailleurs soutenu que 70 % des appels problématiques étaient actuellement « le fait de ping calls ou de robots », et non d’un souci de filtrage lié à Bloctel. « Ce sont autant d’appels qu’on ne parviendra pas à faire disparaître avec ce qui est ici proposé », a-t-elle argumenté.
Pierre Cordier est toutefois revenu à la charge hier après-midi, lors des débats en séance publique. « Onze États membres de l’Union européenne ont fait le choix d’un système d’accord préalable, sans pour autant que des difficultés aient été relevées », s’est-il justifié. « Un tel encadrement est souhaité par les entreprises elles-mêmes, celles qui démarchent ou prospectent d’une manière contrôlée et légitime. Les professionnels des centres d’appels que nous avons rencontrés nous l’indiquent : les appels intempestifs portent également préjudice au démarchage classique et justifié. »
Afin de prendre en compte les critiques émises en commission, le député proposait au travers d’un amendement que ce système de consentement préalable n’entre en vigueur qu’à compter du 1er juillet 2019. Une dérogation était d’autre part prévue pour les entreprises de moins de cinquante salariés « dont l’activité principale n’est pas le démarchage ou la prospection téléphonique ».
L'opposition n'hésite pas à brandir le RGPD
Mais les arguments déployés par l’opposition n’ont pas convaincu la majorité. Le gouvernement, représenté par la secrétaire d’État Delphine Gény-Stephann, a lui aussi fait valoir que la mesure, « sans apporter une réponse efficace à la fraude », « pénaliser[ait] le démarchage respectueux de la réglementation ». « La solution ici proposée ne semble pas suffisamment étayée pour démontrer que la mesure prévue atteindrait pleinement son but », a insisté la locataire de Bercy.
Ce qui n’a pas manqué de faire réagir l’opposition. « Dans le cadre du règlement général sur la protection des données, qui vient d’entrer en vigueur, la règle de l’opt-in s’est imposée. Pour qu’un tiers puisse utiliser nos données personnelles, il faut que nous y ayons consenti au préalable. La pratique est donc désormais entrée dans les mœurs » a notamment soutenu Daniel Fasquelle.
« Pierre Cordier vous propose de limiter le champ de sa proposition de loi et répond à tous les problèmes que vous avez soulevés en commission. Et voilà qu’en séance publique, vous décidez de ne pas accepter son amendement de rétablissement de l’article 1er, dont vous savez très bien qu’il constitue le socle même de cette proposition de loi », s’est ensuite agacé Gilles Lurton (LR).
Le député Nicolas Démoulin (LREM) est alors monté au créneau : « Pour l’instant, le service Bloctel, qu’il faut certes améliorer, n’est utilisé que par 700 entreprises. Si demain est mis en place l’opt-in, pensez-vous que les entreprises qui n’utilisent pas Bloctel aujourd’hui se diront : « Tiens, l’opt-in, c’est mieux » ? Aujourd’hui, notre combat est d’expliquer la démarche, d’informer les entreprises et de renforcer les sanctions. Avec l’opt-in, on repart de zéro : demain, les entreprises ne pourront plus appeler leurs clients. »
Davantage d'informations à fournir au consommateur lors d'un démarchage
Le gouvernement, qui partageait « bien évidemment » l’objectif poursuivi par la proposition de loi, a soutenu plusieurs réformes destinées à renforcer la législation actuelle.
La majorité a ainsi approuvé hier l’extension des informations que doivent délivrer les démarcheurs lorsqu’ils sollicitent un consommateur. Au « début de la conversation », ceux-ci seront à l’avenir tenus d’indiquer « de manière explicite » :
- Leur identité (comme aujourd’hui)
- L’identité de la personne pour le compte de laquelle l’appel est effectué (comme aujourd’hui)
- Le nom de la personne morale qui les emploie
- L’objet social de la société
- La nature commerciale de l’appel (comme aujourd'hui)
Un amendement a par ailleurs été adopté afin d’obliger les professionnels à développer les « sigles » qu’ils emploient.
Des sanctions multipliées par cinq
L’Assemblée s’est ensuite prononcée pour l’alourdissement des sanctions prévues pour les démarcheurs qui sollicitent des personnes pourtant inscrites sur Bloctel. Leur montant passera ainsi de 15 000 à 75 000 euros d’amende administrative pour les personnes physiques, et de 75 000 à 375 000 euros pour les personnes morales.
Suite à l’adoption d’un amendement gouvernemental, les professionnels de la prospection s’exposeront dorénavant à de telles peines s’ils n’expurgent pas de leurs fichiers les numéros de téléphone inscrits sur Bloctel.
Cette mise en conformité devra être effectuée « au moins une fois par mois » pour les démarcheurs qui exercent « à titre habituel ». Ceux qui lancent des appels de manière occasionnelle seront quant à eux tenus de procéder à une vérification « avant toute campagne de démarchage téléphonique ».
Fait notable : les députés ont dans le même temps alourdi les sanctions encourues par les démarcheurs qui prospectent des clients par le biais d’automates (téléphoniques ou de courriers électroniques), sans consentement. Un alignement avec les amendes prévues pour Bloctel a ainsi été voté, notamment afin de lutter contre ces systèmes téléphoniques capables de « composer des numéros de téléphone automatiquement et en grand nombre, dans le but de délivrer un message pré-enregistré aux destinataires qui répondent ».

Sans grande surprise, les députés ont suivi le gouvernement en supprimant le nouveau délit pénal imaginé par Pierre Cordier afin d’accompagner la mise en œuvre du régime d’opt-in. L’idée était alors de punir de cinq ans de prison et 300 000 euros d’amende « le fait de procéder à un traitement de données à caractère personnel concernant une personne physique sans que cette dernière n’ait donné son accord préalable et écrit pour que ses données soient utilisées, lorsque ce traitement répond à des fins de prospection commerciale ».
Suppression de l'indicatif téléphonique dédié au démarchage
Autre mesure passée à la trappe : l’introduction d’un « indicatif unique » pour les centres d’appel et « les entreprises dont l’activité principale consiste à réaliser des opérations de démarchage » – histoire que les consommateurs puissent savoir qu’il s’agit de prospection avant de décrocher.
L’exécutif a fait valoir qu’une telle mesure risquait de « pénaliser avant tout les opérateurs vertueux du secteur » : « Les consommateurs pourront aisément bloquer les appels provenant d’entreprises utilisant la tranche de numéros dédiée. En revanche, les professionnels malveillants, souvent situés en dehors de l’Union européenne, et qui ne respectent actuellement pas le dispositif Bloctel, continueront à démarcher les consommateurs en utilisant des numéros en dehors de la tranche dédiée. »
Le texte adopté hier par les députés procède enfin à quelques « ajustements » du droit existant :
- L’interdiction de démarcher une personne inscrite sur Bloctel prévaudra même « en cas de relations contractuelles préexistantes ». Les « sollicitations ayant un rapport direct avec l’objet d’un contrat en cours » resteront en revanche possibles.
- Lors de leurs démarchages, les professionnels de la prospection devront informer le consommateur qu’il peut s’inscrire sur Bloctel.
Le gouvernement promet des actions non législatives
La proposition de loi a été transmise au Sénat où, faute d’une adoption conforme à la virgule près, la navette devrait reprendre. Pierre Cordier s’est dit « écœuré » de la « posture politicienne » de la majorité, qui a selon lui conduit l’Assemblée à vider « totalement » son texte de sa substance. Ce dernier n’a désormais « plus aucun intérêt », a-t-il déclaré hier soir.
Delphine Gény-Stephann a néanmoins souligné que le renforcement de Bloctel pourrait aussi passer « par des mesures non législatives ».
« Il faut par exemple examiner avec l’Arcep – Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – et les opérateurs de téléphonie quels moyens techniques pourraient être mis en œuvre pour limiter les appels en provenance de numéros furtifs et de sociétés de démarchage qui ne jouent pas le jeu, ne respectant pas le dispositif Bloctel ou utilisant des robots », a-t-elle lancé.
La secrétaire d’État a ensuite évoqué l’organisation d’une « concertation avec toutes les parties prenantes, associations de consommateurs, représentants du monde économique, avant de revoir en profondeur l’encadrement de l’activité de démarchage ». Enfin, « l’interface de Bloctel doit être évaluée et améliorée », a concédé la locataire de Bercy.