Les députés examineront aujourd’hui la proposition de loi du député Pierre Cordier (LR) visant à limiter le démarchage téléphonique. En commission, la majorité a d’ores et déjà vidé le texte d’une partie de sa substance.
Qui ne s’est jamais plaint d’être dérangé par un coup de téléphone destiné à vous faire acheter un panneau solaire, une assurance ou un nouveau forfait Internet ?
Deux ans après la mise en œuvre de la liste d’opposition Bloctel par les pouvoirs publics, celle-ci « n’a pas fait la preuve de son efficacité », déplorait hier encore l’UFC-Que Choisir. L’association de consommateurs affirme ainsi que les inscrits « continuent de recevoir, parfois plus qu’avant, des sollicitations commerciales téléphoniques ».
Même le gouvernement reconnaissait en janvier dernier que le dispositif n'était « pas pleinement respecté ». La faute à des professionnels qui « ne jouent pas tous le jeu », dixit la secrétaire d’État Delphine Gény-Stephann.
Cette dernière a expliqué le 12 juin à l’Assemblée nationale que plus de 600 contrôles avaient été effectués à ce jour par les services de la DGCCRF. Les agents de Bercy auraient ainsi infligé « 90 amendes [dont le montant ne peut dépasser 75 000 euros, ndlr] et adressé 203 avertissements ou injonctions de mise en conformité ».
« De très nombreux professionnels ont mis en place des techniques frauduleuses visant à contourner le dispositif et à compliquer les contrôles », a par ailleurs souligné la secrétaire d’État.
Des amendes qui ne peuvent dépasser les 75 000 euros
« Tout se passe comme si des automobilistes pouvaient rouler à vive allure sans craindre les radars ni les amendes, et en masquant leur plaque d’immatriculation », a de son côté déploré le député Pierre Cordier, qui défendait le même jour, en commission des affaires économiques, une proposition de loi « visant à renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique ».
Le parlementaire a notamment fait valoir que « trop peu d’entreprises » soumettaient « leurs fichiers à Bloctel pour les expurger des numéros de téléphone des particuliers ayant manifesté leur opposition ».
Afin de « redonner au consommateur la maîtrise de ses données téléphoniques et le droit de consentir à être démarché s’il le souhaite », l’élu Les Républicains proposait ainsi plusieurs mesures fortes :
- Passer d’un droit d’opposition à un système d’autorisation préalable obligatoire, afin que seules les personnes ayant consenties à être démarchées puissent faire l’objet d’appels
- L’introduction d’un « indicatif unique » pour les numéros utilisés pour le démarchage téléphonique
- De nouvelles obligations de présentation de l’objet de l’appel
- Un renforcement des sanctions, l’idée étant d’aller jusqu’à cinq ans de prison et 300 000 euros d’amende
La majorité ne veut pas d'un système d'opt-in
Le texte a cependant été largement amendé par les députés de la commission des affaires économiques, dans l’attente d’un examen en séance publique (prévu pour cet après-midi).
Alors que Pierre Cordier souhaitait conditionner l’utilisation des coordonnées téléphoniques à un accord « explicite » et « préalable » de la personne concernée, la majorité a retoqué la mesure « afin de préserver l’emploi ».
« On nous a expliqué au cours des auditions qu’à Saint-Omer, par exemple, 400 emplois seraient perdus si cet article était adopté. Mieux vaudrait étudier l’impact de l’opt-in avant d’en imposer le principe », s’est justifiée Annaïg Le Meur (LREM).
L’élue a par ailleurs soutenu que 70 % des appels problématiques étaient actuellement « le fait de ping calls ou de robots », et non d’un souci de filtrage lié à Bloctel. « Ce sont autant d’appels qu’on ne parviendra pas à faire disparaître avec ce qui est ici proposé », a-t-elle argumenté.
Daniel Fasquelle (LR) est alors intervenu pour rétorquer que l’entrée en application du RGPD changeait « complètement la donne » : « Désormais, il nous est systématiquement demandé si nous acceptons d’être recontactés ou de recevoir des notifications. M. Pierre Cordier propose une mesure du même ordre. Si nous ne l’adoptons pas aujourd’hui, nous le ferons dans deux, trois, quatre ou cinq ans : c’est nécessairement dans cette voie que nous nous dirigerons. Cela correspond aux attentes de nos concitoyens. C’est dans les textes européens. Donc soit on reste avec un coup de retard, soit on décide d’avoir un coup d’avance – ou du moins d’être en phase avec ce que propose l’Europe. »
Pierre Cordier a quant à lui tenté de faire valoir que les entreprises pouvaient « gagner à une réduction du démarchage intempestif » et que « beaucoup de centres d’appels » n’étaient « pas situés en France ». En vain. L’article a été totalement supprimé.
Davantage d’informations à fournir en début d’appel
La commission a revanche maintenu l’article obligeant les démarcheurs à se montrer plus transparents en « début » d’appel. À ce jour, ceux-ci sont tenus d’indiquer :
- Leur identité (ou celle de la personne pour le compte de laquelle l’appel est effectué)
- La nature commerciale de l’appel
Tel qu’adopté la semaine dernière, la proposition de loi de Pierre Cordier prévoit que les professionnels devront à l’avenir indiquer « de manière explicite » :
- Leur identité
- Le nom de la personne morale qui les emploie
- L’objet social de la société
- L’identité de la personne pour le compte de laquelle l’appel est effectué (si elle est distincte de l’employeur)
- La nature commerciale de l’appel
Les députés ont ensuite approuvé le principe de l’introduction d’un identifiant téléphonique unique (lequel devra être défini par arrêté), mais ont souhaité le limiter aux seuls « centres d’appel » et « entreprises dont l’activité principale consiste à réaliser des opérations de démarchage ».
Une mesure introduite là aussi pour protéger les PME, mais qui a grandement fait tiquer Pierre Cordier – par crainte d’un contournement du dispositif par certaines grandes entreprises qui démarcheraient directement des clients.
Nouvelles mesures pour faire respecter Bloctel
La commission a ensuite souhaité supprimer une dérogation à l’interdiction de démarcher une personne inscrite sur Bloctel. À ce jour, « en cas de relations contractuelles préexistantes », votre fournisseur d’accès à Internet peut par exemple passer outre votre opposition. Si la proposition de loi était adoptée en l’état, ce serait désormais interdit.
Enfin, les parlementaires ont revu les sanctions encourues par les entreprises ne respectant pas la liste anti-démarchage téléphonique. Leur montant passerait de 15 000 à 75 000 euros d’amende administrative pour les personnes physiques, et de 75 000 à 375 000 euros pour les personnes morales.
L’introduction d’un nouveau délit pénal a par ailleurs été voté, afin de punir de cinq ans de prison et de 300 000 euros d’amende « le fait de procéder à un traitement de données à caractère personnel concernant une personne physique sans que cette dernière n’ait donné son accord préalable et écrit pour que ses données soient utilisées, lorsque ce traitement répond à des fins de prospection commerciale ».
Le gouvernement ne veut pas de l'indicatif unique
À l’approche des débats en séance publique, une trentaine d’amendements ont été déposés par différents députés.
Le gouvernement s’oppose notamment à l’introduction d’un indicatif dédié au démarchage téléphonique, qui risque selon lui de « pénaliser avant tout les opérateurs vertueux du secteur ». « Les consommateurs pourront aisément bloquer les appels provenant d’entreprises utilisant la tranche de numéros dédiée. En revanche, fait valoir l’exécutif, les professionnels malveillants, souvent situés en dehors de l’Union européenne, et qui ne respectent actuellement pas le dispositif Bloctel, continueront à démarcher les consommateurs en utilisant des numéros en dehors de la tranche dédiée. »
Au travers d’un second amendement, le gouvernement souhaite la suppression du nouveau délit pénal voté en commission. En lieu et place, il propose que les professionnels n’expurgeant pas de leurs fichiers les numéros de téléphone inscrits sur Bloctel s’exposent aux sanctions prévues en cas de non-respect de la fameuse liste (soit jusqu’à 375 000 euros d’amende administrative avec la proposition de loi).
Les démarcheurs seraient ainsi tenus de mettre leurs fichiers en conformité « au moins une fois par mois » s’ils exercent « à titre habituel ». Pour ceux qui lancent des appels de manière occasionnelle, une vérification s’imposerait « avant toute campagne de démarchage téléphonique ».
Parmi les autres amendements déposés, on notera notamment ceux de Nicolas Démoulin et Stéphane Testé (LREM), qui visent à interdire aux démarcheurs d’appeler durant certains horaires. Le premier voudrait que ceux-ci n’interviennent que du lundi au samedi, hors jours fériés, de 9h à 19h. Le second propose quant à lui une majoration des sanctions – qui atteindraient alors les 450 000 euros – pour tout appel avant 8h ou après 21h.
L’UFC-Que Choisir appelle les députés à « faire preuve de courage »
Pierre Cordier reviendra enfin à la charge sur le passage du système d’opposition actuel à un régime de démarchage reposant sur l’autorisation expresse de la personne. L’élu a toutefois légèrement corrigé sa copie, et prévu notamment une entrée en vigueur à compter du 1er juin 2019.
« Alors que ce système [d’opt-in], proposé en son temps par le sénateur Jacques Mézard, aujourd’hui ministre du Logement, est plébiscité par 88 % des Français, les parlementaires peuvent encore le réintroduire » a lancé hier l’UFC-Que Choisir. Au regard des débats en commission, l’association de consommateurs a invité les députés à « faire preuve de courage et d’ambition ». « L’argument « tarte à la crème » de l’emploi ne saurait convaincre dès lors que la plupart des plateformes ont déjà délocalisé les centres d’appel », souligne l’organisation.
Même si elle était adoptée aujourd’hui à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi devra encore être soumise au Sénat.