Selon nos informations, Jean-Luc Mélenchon a été invité par la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement (CNCTR) à fournir tout ou partie de ses identifiants électroniques. La procédure fait suite à une réclamation adressée par ses soins, dans le cadre d’un dossier épineux mettant en cause la Direction générale de la sécurité intérieure.
Le 4 juin 2018, Francis Delon, président de la CNCTR, a répondu au chef de file de la France Insoumise pour lui demander en toute simplicité la fourniture des « éléments identifiants à partir desquels vous souhaitez que soient effectuées les vérifications ». Une missive qui fait suite à une réclamation du principal intéressé en date du 1er juin.
Jean-Luc Mélenchon doit donc maintenant adresser au contrôleur des services du renseignement, par voie postale, ses numéros de téléphone ou adresses électroniques, et toute autre donnée jugée utile. De facto, il est donc convié à révéler à la commission de contrôle ses identifiants, même les plus intimes, afin que cette autorité puisse déterminer si oui ou non, il a fait l’objet d’une surveillance illégale.
Visiblement incapable de faire une recherche par nom, elle devrait utiliser ces éléments techniques pour fouiller les fichiers des services, où elle dispose d’un droit de regard.
Les parlementaires et la loi Renseignement
En principe, pourtant, les parlementaires comme les magistrats, avocats ou journalistes ne peuvent être l'objet d'une demande de surveillance en France à raison de l'exercice de leur mandat ou de leur profession. Un avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est toujours nécessaire. Il est même examiné en formation plénière.
Pour le cas présent, Jean-Luc Mélenchon n’était pas encore député à l’Assemblée nationale, mais il était membre du Parlement européen.
Dit autrement, il se pourrait que ses identifiants aient été alpagués au moins accidentellement par les services, d’autant que l’article 854-3 du Code de la sécurité intérieur interdit que ces professions puissent « faire l'objet d'une surveillance individuelle de leurs communications à raison de l'exercice du mandat ou de la profession concerné ».
Qu’est-ce qui a suscité une telle démarche ? Pour le savoir, il faut se replonger dans le chaudron des élections de 2017.
Une protection retirée, des menaces confirmées
Le 8 mai 2017, explique son avocat, Me Juan Branco, « le service en charge de la protection des hautes personnalités (…) se voyait dessaisi de la protection jusqu’alors octroyée à M. Mélenchon, et ce malgré la demande d’extension déposée par ce dernier auprès de l’UCLAT ainsi qu’auprès du cabinet du ministre d’État, ministre de l’Intérieur, du fait notamment de menaces de mort dont le lien avec l’information en cours reste indéterminé ». L’UCLAT est l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste.
Au fil des mois, patatras : on apprend dans la presse qu’un certain Logan N. a effectivement eu pour projet en juin 2017 d’attenter à la vie de Christophe Castaner et Jean-Luc Melenchon. En octobre, neuf personnes en lien avec ce jeune homme de 21 ans sont arrêtées dans le sud de la France. Toutes sont impliquées dans l’ultra-droite.
L’affaire fait évidemment les gros titres : du Monde à Marianne en passant par Les Échos. À l’Assemblée, le numéro un de la France Insoumise interpelle le gouvernement au même moment : « je ne fais grief à personne, mais je suggère qu'à l'avenir les personnes qui seraient visées de cette façon soient prévenues à temps ».
Car voilà, « Jean-Luc Mélenchon a découvert comme tout le monde, dans la presse, qu'il avait été la potentielle cible d'un groupuscule d'extrême droite. C'est un peu étrange de l'apprendre par cette voie-là » regrette Ugo Bernalicis, le député de La France Insoumise de la deuxième circonscription du Nord.
« La DGSI devait le suivre de manière à le protéger »
Le 19 octobre, Gérard Collomb se charge d'activer l’extincteur, lors d’une interview depuis les locaux de la PJ : « Croyez-moi qu'il y a des gens de la DGSI qui devaient le suivre de manière à le protéger », tente-t-il de rassurer. Avant d’expliquer en substance qu’il s’agissait d’opérer avec discrétion dans le cadre d'une affaire somme toute plutôt mineure.
À l’écoute de ces propos, Me Branco considère comme acquis que la DGSI est intervenue afin de « suivre » Jean-Luc Mélenchon, en raison de ces menaces, jusqu’à la fin des législatives, le 9 juin 2017, « et potentiellement au-delà ».
Ce n’est en effet que le 20 juillet 2017, trente-quatre jours après, que la juge d’instruction a saisi la DGSI en tant que service de police judiciaire. Antérieurement, c’est sans doute au titre de sa casquette de service du renseignement, et donc de police administrative ou préventive, que la direction semble avoir été active.
Antérieurement, Me Branco ne trouve pas de trace de signalement de ces infractions à l’autorité judiciaire. Or, selon le Code de procédure pénale :
« Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » (article 40 du code de procédure pénale).
Une procédure initiée devant le TGI de Paris et la CNCTR
Pourquoi ce dossier n’a-t-il pas été judiciarisé alors que des informations seraient remontées de la DGSI dans les mains de Gérard Collomb, « suffisamment étayées pour que [celui-ci] ordonne ou autorise la mise en œuvre, sans l’avis de l’intéressé, d’un dispositif de protection ou de surveillance » ?
Pour faire une pleine lumière, Me Branco a saisi la juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, Isabelle Couzy, en avril dernier, insistant : « ni les raisons de cette mobilisation, ni les moyens mis en œuvre, ni les résultats des enquêtes de renseignement ou judiciaires menées par la DGSI pendant cette période et au-delà n’apparaissent d’aucune façon au dossier ».
Devant le tribunal, il espère une vaste séance d’explications. Dans sa saisine, il réclame en vrac la communication de l’évaluation par l’UCLAT « ayant amené au retrait de la protection accordée à M. Mélenchon, puis au refus de sa demande de renouvellement », bien entendu les pièces de la DGSI glanées avant le 20 juillet 2017, notamment quant aux mesures de protection au profit de son client.
Il espère obtenir tout autant « l’ensemble des échanges entre le cabinet du Premier ministre et la DGSI avant et après sa saisine officielle du 20 juillet 2017 concernant l’instruction en cours et l’enquête, officielle ou officieuse, l’ayant précédé ».
Dernier fait d'actualité, le procureur a fait appel de ce dossier, bloquant du même coup l'instruction et toutes les demandes afférantes.
En attendant, la demande effectuée auprès de la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement est l'une des dernières pièces. Elle contraint de facto Jean-Luc Mélenchon, s'il veut espérer obtenir un vaste éclairage, à dévoiler tous ses identifiants.