Les derniers travaux au sein de la Commission copie privée montrent que Copie France, la société des ayants droit chargée de collecter la copie privée, a bien le stream ripping en ligne de mire. Non pour condamner ces pratiques, comme c’est le cas aux États-Unis, mais pour justifier des montants de redevance plus importants.
Les débats au sein de la copie privée se poursuivent, avec pour objectif, une actualisation des barèmes de 2012 visant la plupart des supports d’enregistrement. Pour mémoire, la redevance éponyme vient compenser la possibilité pour les personnes physiques de réaliser des copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur (musique, films, photos, textes), à partir de sources licites.
Pour déterminer ses montants, rien de plus simple : une commission est chargée de cette noble tâche. Composée de 12 ayants droit (qui collectent et redistribuent ces montants à leurs membres), 6 consommateurs et 6 fabricants et importateurs, elle s’appuie sur des études d’usage qui viennent jauger les pratiques de copies auprès d’un panel.
De parfaits ingrédients pour maximiser les montants prélevés
Ceci fait, des montants sont extraits selon des formules plus ou moins magiques. Face à deux groupes aux intérêts divergents, les 12 ayants droit ont un avantage évident à maximiser les flux qu’ils perçoivent. On comprend sans longues interrogations pourquoi la France est sur le podium international.
En 2016, par exemple, 265 millions d’euros de redevance copie privée ont ainsi été prélevés. Une paille qui laisse loin derrière la quasi-totalité des autres pays qui pratiquent cette ponction.
Il faut dire qu'au-delà de la structure même de la commission, le régime est taillé pour assurer toujours plus de perceptions. Plutôt que d’être prélevée lors de l’achat des supports, la redevance est collectée au plus haut de la chaîne commerciale, particulièrement lors de l’importation. À ce niveau, il est (presque) impossible de déterminer si les cargaisons de tablettes, disques durs, clefs USB, smartphone, CD-R(W), DVD-R(W), cartes mémoire, etc. sont destinées au marché des particuliers ou des professionnels.
En principe, si seuls les premiers doivent payer la redevance, dixit le droit européen, à ce stade, tout le monde paye. La France a bien prévu un mécanisme d’exonération et de remboursement des pros. Seulement, le système est grippé : seules 1 700 entreprises bénéficient d’une exonération. Et Copie France, la société de perception des ayants droit, ne reçoit que 100 demandes de remboursement chaque mois. Une information révélée lors d’un échange en commission, le 27 mars dernier.
Le recul des copies de fichier à fichier, une menace fantôme
Avec l’essor du streaming, les bénéficiaires de la ponction savent néanmoins que l’effondrement menace leur mine d’or. Et il est évidemment difficile pour eux d’accepter qu’un tel pactole puisse fondre comme neige au soleil.
Pour éviter l’incident industriel, tous les arguments heureusement sont bons.
Le 10 avril dernier, Marc Guez, représentant de Copie France, a ainsi déclaré « que sans raison objective (au regard des usages), il n’est pas favorable à une baisse de la redevance pour copie privée ». La messe est dite, ou presque.
Le même jour, Chantal Jannet, qui représente l’association Famille Rurales, remarquait néanmoins une étrangeté. Les études d’usages de 2011 indiquaient qu’il y avait 113 fichiers sur les smartphones. C’est à partir de ce chiffre, déterminé à partir du panel, que ce barème a été ébauché :

Or, selon les dernières études d’usage, qui serviront à actualiser les prochains montants prélevés, le même chiffre est tombé à 64 fichiers. Grosso modo, on pourrait donc s’attendre à des montants divisés par presque deux. Mais il n’en sera rien, si l’on suit bien les propos d’Idzard Van Der Puyl, un représentant de Copie France : aujourd’hui, « les personnes stockent (conservent) moins leurs fichiers, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils copient moins. Les personnes recopient par-dessus ce qu’ils ont copié » (compte rendu du 10 avril 2018).
Face au marché gris, hors de question de baisser les barèmes
Alors évidemment, les consommateurs français peuvent esquiver le paiement des hauts niveaux de redevance en vigueur en achetant directement à l’étranger. Lors de la livraison, ils oublient comme par enchantement de déclarer ces achats comme importateurs. Ni vus, ni connus ! Pour lutter contre ce phénomène de marché gris, l’AFNUM, qui représente une partie des fabricants de supports, a suggéré une baisse des ponctions, au moins temporairement. Une idée rejetée sans nuance par Idzard Van der Puyl : « Abaisser le niveau de la RCP pour lutter contre ce phénomène n’est pas un levier acceptable ».
Bruno Boutleux, également représentant de Copie France, a lui rappelé que « certains des ayants droit de Copie France représentent à peu près 100 000 artistes interprètes à rémunérer chaque année ». Or, « à l’heure actuelle la RCP représente un élément de rémunération non négligeable pour ces ayants droit ». Une baisse de la RCP pourrait ainsi avoir « un impact important sur les ressources de certains ayants droit qui ont des revenus globaux extrêmement faibles ». Une enquête a ainsi montré « que les revenus d’artistes interprètes s’élèvent en moyenne à 15 000 € par an ».
On voit avec ces quelques lignes, tout le problème : en considérant que la redevance copie privée est « une rémunération » (le nom est utilisé dans le Code de la propriété intellectuelle), une baisse est tout simplement inenvisageable. Juridiquement, pourtant, elle n’a pas les caractéristiques d’un salaire. Elle vient simplement compenser un préjudice. Si le préjudice diminue, il est donc logique que l’indemnisation soit en recul.
La prochaine mine d’or, le stream ripping
Pour garantir cette « rémunération », Copie France s’adapte à la réalité des nouveaux usages, avec un beau levier : le streaming ripping, soit la faculté de télécharger une vidéo ou une bande-son d’un flux en ligne, par exemple à partir de Dailymotion ou YouTube.
Pour l’AFNUM, cette pratique ne peut rentrer dans le périmètre de la copie privée au motif que les conditions générales d’utilisation de YouTube interdisent ces pratiques. Dit autrement, elles pervertissent la légalité de la source de la copie. Le dommage ne peut donc être compensé que par des actions en contrefaçon, sûrement pas par la redevance pour copie privée.
David El Sayegh (Copie France) a rétorqué que « la plateforme a conclu des accords avec les organismes de gestion collective de droits d’auteur et les producteurs de phonogrammes qui l’autorisent à mettre en ligne la plupart des contenus ». S’agissant des CGU, il considère que les sources sont licites d’autant que, selon lui, à la lecture de la jurisprudence européenne, « les conditions générales d’utilisation de YouTube ne peuvent être invoquées (…) pour interdire des actes de reproduction relevant de l’exception pour copie privée ».
Les accords passés entre les ayants droit et YouTube licitent nécessairement le droit de diffusion ou de communication au public, mais il n’est pas certain qu’ils autorisent le droit de duplication. Au contraire, on doit plus s’attendre à ce que Google soit tenu de sécuriser au mieux les vidéos diffusées par ses soins.
Des mesures techniques de protection jugées non efficaces
Justement. Des mesures techniques sont censées interdire ces pratiques et la loi DADVSI du 1er août 2006 assimile leur contournement à de la vile contrefaçon. Là encore, cela pourrait remettre en cause la licéité de la source, et donc faire sortir le stream ripping du périmètre de la copie privée.
Mais pour Copie France, dans la mesure où YouTube ne parvient pas à endiguer ce phénomène, la mesure technique n’est en rien « efficace ». Or, il s’agit de l’une des conditions posées par le législateur pour garantir une telle protection juridique.
Commentaire de l’inévitable Idzard Van der Puyl, en guise de résumé : « à partir du moment où il n’y a pas de contournement de mesures techniques de protection, la source est licite et le stream ripping peut être considéré comme de la copie privée ».
Le moment est fondamental pour le juteux avenir de la copie privée : d’une main, des copies physiques se raréfient à l’ère du streaming, de l’autre, le levier du stream ripping pour gonfler les études d’usage et donc justifier à l’avenir de montants de redevance toujours plus élevés frappant les supports.
De l’affaire TubeMaster++ à la future directive sur le droit d’auteur
Pour nourrir les travaux en cours au sein de la Commission Copie privée, YouTube devrait être auditionné, tout comme la Hadopi, selon nos informations.
Remarquons que l’actuel projet de directive sur le droit d’auteur arrive au bon moment. En industrialisant le filtrage sur les plateformes de vidéo par exemple, les ayants droit pourront toujours soutenir que les contenus laissés en ligne sur YouTube et les autres plateformes sont tous des sources licites. En devinant une explosion des pratiques de streaming ripping, les arguments seront là pour justifier des montants en hausse sur les supports traditionnels.
Autre temps, autres mœurs, en 2013, on se souvient que l’éditeur de Tubemaster++ avait été condamné par la justice pour son logiciel d’enregistrement de flux visant notamment Deezer. Le tribunal correctionnel de Nîmes avait relevé que « la simple nécessité de créer un logiciel contournant la protection mise en place sur le site de Deezer.com caractérise le caractère efficace de cette protection primitive ». Ce particulier fut alors condamné à une amende de 15 000 euros, assortie d’un sursis simple, mais aussi à verser 5 000 euros à la SACEM, la SDRM et la SCPP.
Autant de SPRD qui aujourd’hui, au sein de Copie France, estiment que le stream ripping justifie de percevoir davantage de redevances pour copie privée.