Aujourd’hui l’Assemblée nationale a débuté l’examen en séance de la proposition de loi contre « les fake news ». La séance reprendra à 21h30 ce soir. Malheureusement, plusieurs informations alternatives à la vérité ont déjà été distillées par la ministre.
Plus de 200 amendements sont sur le bureau des députés pour cette locomotive parlementaire examinée au pas de course, sous procédure accélérée.
Dans ses wagons, une transparence accrue des plateformes sur les sources de financement des campagnes de publicité, une action en référé pouvant déboucher sur le blocage des sites durant les campagnes électorales, outre de nouveaux pouvoirs pour le CSA sur les intermédiaires techniques. Et même, selon la volonté de plusieurs élus LREM, une possible labélisation des sites de presse, qui seraient surexposés sur Internet grâce à une signalétique aux petits oignons.
Aujourd'hui, lors de la présentation du texte et des premiers échanges, plusieurs vérités disons « alternatives » ont néanmoins été prononcées au micro de la séance, oscillant entre l’erreur, l’imprécision, voire un arrangement avec la vraie vérité vraie. Un comble…
Un exemple un peu subtil, mais important : Françoise Nyssen a vanté un texte protecteur de la liberté d’expression. Et pour cause, « des conditions cumulatives très précises encadrent l’intervention du juge : l’information devra être manifestement fausse et de nature à altérer la sincérité du scrutin, diffusée de manière massive ; et diffusée de manière artificielle, "ou automatisée", comme votre commission l’a ajouté ».
L’adverbe « manifestement », inspiré par le cadre de la LCEN, laisse entendre que le texte est calibré pour frapper l’information dont la fausseté sera évidente. Seul hic, on ne le retrouve pas dans le marbre de la proposition de loi. S’il passe en l’état, la fausse information sera en effet définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ».
Un texte qui vient du parlement. Vraiment ?
Alternant la gifle et la caresse, la même ministre de la Culture a fustigé ceux qui « répandent des mensonges et des théories complotistes en imitant les codes de l’information professionnelle, en s’appuyant sur des médias entrés dans le quotidien de nos démocraties : Facebook, Twitter, Google… ». Des « tentatives de camouflage, de banalisation [qui] ne doivent pas nous tromper ». En contraste, elle a salué un texte à « la hauteur de l’enjeu », qui « vient du coeur de la démocratie : il vient du Parlement ».
Du Parlement ? Selon nos sources, le texte déposé par les députés LREM a en réalité été concocté, peaufiné, mitonné par ses services, rue de Valois, avant d’être travesti en proposition de loi. Avantage conséquent : il a pu faire l’impasse sur l’étude d’impact annexée en principe à tous les projets de loi, tout en bénéficiant de ce joli sceau démocratique.
La presse professionnelle pas concernée. Vraiment ?
La locataire de la Rue de Valois, encore elle, a voulu rassurer : « En aucun cas, les articles de presse professionnels ne seraient concernés », par cette législation en gestation.
Un amendement de la Gauche Démocrate et Républicaine avait été déposé en commission des lois pour sanctuariser justement ces professionnels de l’information, considérant que « les sites de presse en ligne pourraient être visés par cette nouvelle procédure ».
Le texte a été défendu par Elsa Faucillon mais Naïma Moutchou, rapporteure pour avis en commission des lois, s’y est victorieusement opposée : « Je ne pense pas que nous puissions faire d’exemption en dur, comme vous le prévoyez ici, madame Faucillon, car cela risquerait d’exclure certains médias – ou qui se disent médias – extrêmement peu scrupuleux, notamment des médias étrangers ». En clair, les médias sont bien concernés, dixit l’élue LREM qui ne veut pas d'un tel îlot de protection.
Twitter vend des followers. Vraiment ?
Toujours dans son discours, Françoise Nyssen a vertement dénoncé les plateformes numériques, qui « ne jouent pas pleinement le jeu de la démocratie aujourd’hui ». Selon ses connaissances, « leur modèle contribue à une gigantesque économie de la manipulation. Elles vendent des "likes" et des "followers" à tous, même aux émetteurs de fausses informations. Pour 40 euros, je peux acheter 5.000 abonnés sur Twitter ».
Là encore, le lyrisme culturel a fait des victimes pour déboucher sur une réalité exotique. Twitter ne vend pas de followers. Au contraire, les conditions du réseau social interdisent vigoureusement de telles pratiques : « Twitter interdit formellement l'achat et la vente d'interactions de compte sur sa plateforme. Lorsque vous achetez des abonnés, des Retweets ou des J'aime, il s'agit généralement de (faux) comptes robotisés ou de comptes piratés. Tout compte s'adonnant à de telles pratiques enfreint les Règles de Twitter et risque d'être suspendu ».
Des plateformes qui s'autorégulent seules. Vraiment ?
La ministre enfin, s’en est pris encore et toujours aux plateformes numériques qui, seules, « échappent aux règles aujourd’hui. Elles s’autorégulent. Elles sont les seules arbitres du vrai et du faux. Ce n’est pas acceptable ». À supposer de faire l’impasse sur l’épaisse législation qui encadre les intermédiaires, affirmer que les plateformes sont les seules à s’autoréguler n’est pas une vérité vraie.
Le ministère de la Culture le sait bien : il a lui-même ouvert ses portes pour réunir acteurs du paiement, de la publicité et sociétés de gestion collective afin de couper les vivres des sites que ces derniers considèrent comme illicites. Ces mesures sont gérées par ces seuls acteurs privés. Impossible par exemple d’obtenir le moindre espace de transparence sur le terrain des règles de la loi CADA, alors même que ce trio dispose d’un droit de vie et de mort sur les hébergeurs.