Afin de lutter contre l’obésité infantile, plusieurs amendements avaient été déposés par des députés afin d’interdire certaines publicités alimentaires visant les jeunes de moins de 16 ans. Le gouvernement et la majorité s’y sont cependant opposés, préférant confier au CSA le soin de réguler le secteur.
« Les industriels usent à l’envi des codes et références à l’univers de l’enfance pour mieux guider et influencer le choix alimentaire des enfants. Or c’est très jeune que les consommateurs sont sensibles à la publicité et conditionnés par celle-ci » a déploré la députée Anne-Laurence Petel, dimanche 27 mai dans l’hémicycle du Palais Bourbon.
L’élue LREM soutenait ainsi un amendement, cosigné par une trentaine d’élus LREM, visant à interdire tous les « messages publicitaires et activités promotionnelles en faveur de produits alimentaires et boissons trop riches en sucre, sel ou matières grasses », à condition que ceux-ci aient « pour cible les enfants de moins de seize ans ». Une telle prohibition aurait prévalu aussi bien sur les ondes qu’à la télévision (y compris pour les chaînes privées), ainsi que sur Internet.
« L’éducation au comportement est une clé pour que les nouvelles générations s’alimentent correctement. Mais pour que cette éducation soit efficace, il faut éviter que les jeunes ne subissent en amont un lavage de cerveau », l'a rejoint Loïc Prudhomme (LFI), qui avait lui aussi déposé un amendement similaire, aux côtés notamment du groupe socialiste.
Le rapporteur juge la réforme « trop complexe pour être gérable »
Le rapporteur, Jean-Baptiste Moreau (LREM), s’est toutefois opposé à ces amendements. « Je suis dans l’obligation de constater que leur champ est beaucoup trop large et leur application trop complexe pour être gérable », a-t-il objecté. D’après lui, « c’est au régulateur d’aller plus loin, non au législateur d’adopter des amendements aussi compliqués qu’une usine à gaz ».
Même son de cloche sur le banc du gouvernement, où le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a renvoyé la balle au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) : « Il est le régulateur dont nous avons besoin pour faire passer des messages et échanger avec les industriels comme avec les entreprises qui produisent ces publicités. »
« Il faut moins de publicités pour les enfants dans les créneaux horaires où ils sont susceptibles de regarder la télévision. Il faut aussi que ces publicités soient plus accordées à nos objectifs, c’est-à-dire avec le souci d’une alimentation de meilleure qualité nutritionnelle, moins grasse, moins salée et moins sucrée », a soutenu le ministre. Suite aux États généraux de l’alimentation, le CSA se serait rapproché à cet effet « des représentants des industriels pour accompagner les démarches et voir comment on pouvait progresser ». « Ce travail va se poursuivre » a assuré Stéphane Travert.
« C’est comme demander à une dinde de voter pour les fêtes de Noël »
Cette argumentation n’a cependant guère convaincu le député Richard Ramos (Modem) : « Demander aux industriels de l’agroalimentaire d’être vertueux face à nos enfants, c’est comme demander à une dinde de voter pour les fêtes de Noël : ce n’est pas possible. Ils n’iront jamais dans notre sens. » L’élu a insisté sur le fait « qu’un enfant, s’il regarde la publicité qui lui est destinée, ingère environ 300 calories de plus par jour ».
« Ce n’est pas complexe, c’est au contraire extrêmement simple » a de son côté rétorqué Guillaume Garot (PS) face aux accusations d’usine à gaz lancées par le rapporteur. « Dès lors qu’un produit remplirait toutes les conditions nutritionnelles favorables à la santé des enfants et des adolescents, rien ne s’opposerait à ce qu’il fasse l’objet d’une publicité à la radio, à la télévision ou sur les supports numériques », s’est-il justifié.
L’amendement déposé par le groupe Nouvelle Gauche prévoyait en effet une dérogation pour certains aliments inscrits sur une liste fixée par arrêté ministériel, pris après avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, « compte tenu de leurs caractéristiques nutritionnelles ».
« Monsieur le ministre, il faut faire preuve, en la matière, de volontarisme. Si l’on attend que les uns et les autres se mettent d’accord, cela peut durer longtemps » a conclut Guillaume Garot (qui fut lui-même ministre délégué à l’Agroalimentaire lors du quinquennat précédent).
Craintes d’une « asymétrie » entre acteurs de l’audiovisuel et plateformes
Plusieurs députés de la majorité sont cependant montés au créneau pour défendre l’exécutif. « On ne peut pas introduire, de cette manière, dans la loi, une régulation de la publicité à la télévision, au risque de placer des secteurs en danger » a ainsi fait valoir Bruno Milienne. Nicolas Turquois, lui aussi Modem, a plaidé pour une « une démarche positive » consistant à « communiquer auprès des parents, qui représentent un enjeu fondamental ».
Christine Hennion (LREM) a quant à elle suggéré que le législateur attende de connaître les premiers effets de la « loi Gattolin », qui interdit depuis le 1er janvier 2018 les publicités lors des émissions jeunesse du groupe France Télévisions.
« Imposer de nouvelles contraintes à l’audiovisuel et laisser tout un champ ouvert, notamment, sur Internet – je pense à un certain nombre de plateformes numériques – créerait une asymétrie de réglementation extraordinairement forte entre les acteurs de l’audiovisuel et les plateformes, sans pour autant résoudre la question qui nous préoccupe, à savoir préserver la santé publique et lutter contre l’obésité des enfants » a poursuivi Aurore Bergé.
Une balle saisie au bond par Stéphane Travert : « Si vous adoptiez un amendement du type de ceux qui sont présentés aujourd’hui, les messages publicitaires pour un certain nombre de marques, de produits seraient interdits à la télévision, mais nous les retrouverions sur Internet » a-t-il prédit.
« Nous n’avons pas la capacité, à l’heure actuelle, de réguler ce secteur comme il le faudrait, a enfin déclaré le ministre de l’Agriculture. C’est un travail que nous avons à mener, mais il faut aussi que nous régulions Internet ensemble, de manière à ce que les choses avancent de manière équilibrée. »
« Commençons par la radio et la télévision, puis poursuivons ce combat à une autre échelle, mais il est hypocrite de prétendre renvoyer cette question à la responsabilisation des parents et à une révolution globale » a objecté Sébastien Jumel (GDR), avant que l’Assemblée ne rejette tous les amendements soutenus à cette fin.