Les occasions manquées du Parlement européen face à Mark Zuckerberg

Échec critique
Droit 7 min
Les occasions manquées du Parlement européen face à Mark Zuckerberg
Crédits : artJazz/iStock

Mardi soir, Mark Zuckerberg apparaissait devant des eurodéputés pour répondre à de nombreuses questions. Décevante sur le fond, cette conférence a surtout montré les dysfonctionnements du Parlement européen, dont Facebook a profité.

L'issue surprend peu, mais elle déçoit. Pendant plus d'une heure, Mark Zuckerberg a rencontré les présidents des groupes du Parlement européen. Alors qu'il était sorti sans égratignure de sa double journée au Congrès américain, ce passage devant les parlementaires européens était censé être un exercice plus difficile, la vie privée étant un sujet autrement plus sensible sur le Vieux Continent.

Le scandale Cambridge Analytica (voir notre analyse), qui a remis en cause les discours naïfs de Facebook ces dernières semaines, et l'entrée en application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) le 25 mai, étaient un terreau idéal pour obtenir plus de réponses de la société. Si Mark Zuckerberg ne répondait pas dans ce contexte, jamais il ne l'aurait fait.

Las, cette conférence a été l'occasion pour le PDG du réseau social de répéter son discours rodé devant le Congrès américain. La société a commis des erreurs sur la vie privée, de nombreuses mesures ont été prises, un grand ménage de printemps serait en cours parmi les vieilles applications et la plateforme mesurerait (enfin) son rôle démocratique, luttant désormais contre la désinformation et la diffusion de contenus terroristes. Avec l'aide de l'intelligence artificielle.

Zuckerberg a donc réitéré ses excuses et annoncé une seule vraie nouveauté : une future fonction de nettoyage d'historique, calquée sur celle des navigateurs web. Elle permettra ainsi de voir les informations reçues par Facebook des sites et applications, de nettoyer ces informations du compte et de couper la collecte de ces informations par la suite, promet le PDG. Pour le reste, il a pu esquiver sans difficulté les questions les plus difficiles, aidé par les parlementaires eux-mêmes.

Front uni des eurodéputés, tirant tous azimuts

Les grandes promesses introductives de Facebook n'avaient pas suffi aux présidents de groupes, bien conscients qu'ils devaient marquer le coup. Dans un long tunnel de 45 minutes, ils ont assailli Mark Zuckerberg de dizaines de questions, selon un format décidé à l'avance. En principe, trois minutes chacun. Dans la pratique, une limite dépassée dans des réquisitoires qui n'amenaient pour certains pas de réponses.

Tous les sujets y sont passés. Manfred Weber, président du groupe EPP, qui représente la droite européenne propose de casser le monopole de Facebook. Udo Bullman, président des Socialistes et démocrates (groupe S&D), a pressé la société sur la réalité de la suppression des données personnelles et la hausse de la part des faux comptes, de 2-3 % l'an dernier à 3-4 % au premier trimestre (Facebook a déclaré avoir supprimé 580 millions de faux comptes en trois mois).

Le représentant des  Conservateurs et réformistes européens, Syed Kamall, s'est lui inquiété de la collecte de données sur les internautes non inscrits, et de la possibilité pour eux de consulter ces informations. Si Facebook se dit en droit de collecter ces informations, par sécurité, l'eurodéputé l'a attaquée sur le plan moral... alors que le groupe a déjà été sanctionné par les CNIL espagnole et française pour son appétit en matière de cookies sur les sites tiers.

Guy Verhofstadt, président de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, a sûrement été le plus virulent. Il a questionné la capacité même de Zuckerberg à régler les causes des dysfonctionnements de son entreprise. Il a demandé si une régulation supplémentaire est nécessaire, à l'instar des banques en 2007-2008. Il a aussi pointé le transfert des données des Européens hors de l'UE, violant le RGPD et la directive de 1996 sur les données personnelles. Un problème d'autant plus grave pour les non-inscrits.

« Vous vous êtes excusés 15 ou 16 fois sur la dernière décennie. Chaque année, vous avez un nouveau problème, ou malfaçon sur Facebook et vous devez regarder la réalité, vous excuser et promettre de le réparer. L'an dernier, vous vous êtes excusé deux fois. Cette année, c'est trois fois, et nous ne sommes qu'en mai ! » a ironisé l'ancien premier ministre belge.

Nigel Farage a demandé, pour sa part, si Facebook était une plateforme neutre pour toutes les idées, alors que Facebook se défend régulièrement de modérer les publications en fonction de critères politiques. Le fondateur du parti pour l'indépendance du Royaume-Uni s'est plaint d'une baisse de trafic des messages de droite ou centristes.

Une intervention en miroir de celle de Ted Cruz au Sénat américain, suivie par celle de Nicolas Bay (vice-président du Front national), attaquant Zuckerberg sur la suppression de la page de Génération identitaire après son action anti-migrants dans les Alpes. Une mesure qualifiée de « totalitaire ».

De nombreux autres points ont été abordés, comme l'exclusion des données des non inscrits d'une exploitation marketing, ou encore ce que signifie le respect « dans l'esprit » du RGPD hors d'Europe.

Jour de gloire pour les eurodéputés spécialistes de la vie privée

Certains des derniers coups ont été portés par la commission des Libertés civiles et de la justice (LIBE). Son président Claude Moraes a rappelé que l'UE était bien plus sensible à la vie privée que les États-Unis. Il a surtout questionné l'approche de Facebook, demandant si les applications sont le principal problème en matière de protection des données ou la partie émergée d'un plus gros iceberg. Il a aussi réclamé le détail des garanties d'une meilleure analyse des applications.

Pour sa part, l'eurodéputé vert Jan Philipp Albrecht, également membre de la commission LIBE, a cherché de Zuckerberg la garantie de la fin des échanges d'informations entre Facebook et WhatsApp à compter de vendredi. Malheureusement, aucune réponse n'est venue.

Des questions, peu de réponses

Le format même de la rencontre n'appelait pas aux réponses. La droite européenne a d'abord demandé une tenue à huis clos, avant de céder à la pression du public. Le tunnel de questions serait bien le choix d'Antonio Tajani, le président du Parlement européen, soutenu par la droite, comme il l'a déclaré dans une conférence de presse. Il n'a eu de cesse de déclarer sa joie de recevoir Mark Zuckerberg.

Il a même semblé avoir couvé son invité face aux parlementaires. Aucun contrôle du temps de parole des eurodéputés, voire de modération, n'a été appliquée par Tajani. Dans la réunion des présidents, où se retrouvent habituellement les acteurs de cette audition, c'est bien à lui de réguler la parole, comme l'indique le règlement intérieur (article 162). Cette liberté entière laissée aux députés serait donc un choix et non une contrainte.

L'audition censée finir à 19h30 s'est terminée vers 19h45, après une demi-heure de réponses de Zuckerberg. Toujours sur la défensive, il a pu sélectionner les questions qui l'intéressaient. Les dizaines d'interrogations lancées recoupant les mêmes thèmes, le patron de Facebook a pu se contenter de réponses générales.

À la fin de la conférence, après avoir répondu aux questions les plus larges, le PDG de Facebook a demandé à partir, s'inquiétant du quart d'heure de retard sur son planning. « Je pense avoir répondu aux principales questions » a-t-il justifié.

Plusieurs députés s'en sont insurgés, à l'image de Philippe Lamberts, mécontent qu'aucune de ses six questions n'ait reçu de réponse. Jan Philipp Albrecht a réclamé des précisions sur la séparation des services (Facebook, Instagram et WhatsApp), avant qu'Antonio Tajani ne reprenne la parole pour clore la conférence.

Comme d'habitude, Mark Zuckerberg a promis des réponses écrites, garantissant que celles-ci arriveront devant l'insistance des eurodéputés. Les députés verts le prendront au mot, assurent-ils.

« Zuckerberg n'a pas répondu à bien des questions, et les quelques réponses entendues étaient décevantes. Il est inconcevable que, de toutes les entreprises, Facebook ne soit apparemment pas prête à l'ouverture sur ce sujet » a regretté Udo Bullman (S&D) dans un communiquéL'EPP compte désormais des actions concrètes après cette audition, que le groupe estime aussi décevante.

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