L’association Regards Citoyens vient d’attaquer plus de 500 députés de la précédente législature (dont certains ont depuis été réélus) devant le tribunal administratif, contestant leur « refus de transparence en matière de frais de mandat ». Un combat symbolique destiné à mettre la lumière sur le manque d'encadrement de ces deniers publics.
Les relevés de comptes ouverts par les députés pour leurs frais de mandat sont-ils des « documents administratifs », dès lors communicables de plein droit aux citoyens qui en font la demande ? Telle est la question soulevée par Regards Citoyens, l’organisation de bénévoles à l’origine notamment du site « NosDéputés.fr ».
L’année dernière, l’association avait sollicité les 574 élus de l’Assemblée nationale afin de leur demander une copie des relevés bancaires dédiés à leur IRFM (la fameuse « indemnité représentative de frais de mandat », désormais supprimée) pour les mois allant de décembre 2016 à avril 2017.
Seuls sept parlementaires avaient alors répondu favorablement : Brigitte Allain, Isabelle Attard, Jean-Luc Bleunven, Joël Giraud, Régis Juanico, Dominique Raimbourg et Barbara Romagnan.
567 requêtes déposées devant le tribunal administratif de Paris
Les 567 députés restants sont désormais appelés à défendre leur refus (tacite, faute de réponse, dans la plus grande majorité des cas) devant le tribunal administratif de Paris. Regards Citoyens a en effet déposé une requête pour chacun d’entre eux, mardi 15 mai, devant le juge administratif.
Parmi les parlementaires mis en cause, figurent notamment Édouard Philippe, Bruno Le Maire, Christophe Castaner et Olivier Dussopt (qui sont désormais au gouvernement), le président de l’Assemblée nationale François de Rugy, ainsi que d’anciens candidats à la présidentielle : Benoît Hamon, François Fillon, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle...

Comme le veut la procédure, l’association a du tout d’abord contesté ce refus de transparence devant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). L’autorité indépendante s’est cependant déclarée incompétente, au motif que les « actes et documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires » sont exclus du fameux droit de communication introduit par la « loi CADA » de 1978 – et désormais transposé dans le Code des relations entre le public et l’administration...
Dans son avis, rendu le 21 septembre dernier, l’institution laissait néanmoins entendre que la demande de Regards Citoyens n’était pas fondée. « Si l’exercice d’un mandat parlementaire correspond à une mission d’intérêt général, il ne saurait être qualifié de mission de service public », soulignait ainsi la CADA. Pour la Commission, l’exercice du mandat de député « est dépourvu de toute obligation vis-à-vis de l’autorité administrative et tout lien de subordination à son égard ».
Des documents reçus par les députés, non par l’Assemblée
Cette « décision très frileuse », pour reprendre les termes utilisés par Regards Citoyens, n’a pas dissuadé l'association de poursuivre le débat jusque devant le tribunal administratif.
Cette nuit, nous nous sommes lancés dans le papier. Stay tuned !
— Regards Citoyens (@RegardsCitoyens) 15 mai 2018
#TransparenceFraisMandats pic.twitter.com/A4Ypl6IBFm
L’organisation fait valoir dans ses requêtes que « les relevés bancaires sont établis par les établissements bancaires à titre individuel aux députés et n’ont donc été ni reçus, ni produits, par une assemblée parlementaire ». L’exception visant les actes et documents « produits et reçus » par l’Assemblée et le Sénat serait de ce fait inapplicable.
« Distribuée à la seule destination de l’élu à titre individuel, cette comptabilité n’est par ailleurs transmise par les parlementaires ni à l’Assemblée nationale, ni à aucun de ses gestionnaires administratifs », insiste l’association, avant de souligner :
« Les relevés bancaires demandés contiennent uniquement des éléments comptables liés à l’utilisation des frais de mandat. Ils ne peuvent pas être considérés comme des dépenses personnelles ou liées à toute autre activité que celle de membre du Parlement puisqu’ils sont versés sur un compte bancaire dédié et que leur usage est strictement règlementé. »
Regards Citoyens estime que ces documents s’apparentent à des « actes administratifs individuels détachables », au même titre par exemple que l’embauche d’un collaborateur.
Les parlementaires, des personnes chargées d’une mission de service public ?
Pour démontrer que ces relevés bancaires sont bien des documents administratifs, l’association fait référence à la définition légale, qui vise les « documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par [les] personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission ».
En l’occurrence, Regards Citoyens considère que les députés ont « qualité d’organe de l’État chargé d’une mission de service public », comme l’a parfois reconnu le juge judiciaire dans certaines affaires visant des députés. Le Code pénal contient en effet des circonstances aggravantes en cas de violences sur « une personne (...) chargée d’une mission de service public », comme ce fut le cas pour l’ancienne députée Nathalie Kosciusko-Morizet, agressée l’année dernière lors de la campagne pour les législatives.
« Les députés, étant chargés d’une mission de service public, sont tout aussi comptables de l’usage des deniers publics que les administrations centrales, les collectivités ou les délégations de service public », conclut l’association. « Le juge administratif a déjà indiqué que des relevés bancaires justifiant de la comptabilité d’argent public devaient être considérés comme des documents administratifs communicables. Regards Citoyens espère donc obtenir sur ces fondements, non examinés par la CADA, une décision favorable du juge administratif. »
Les lacunes des « lois Confiance » à nouveau dénoncées
En attendant que le tribunal se penche sur ces centaines de requêtes, ce qui pourrait prendre de longs mois, l’association explique que son initiative « vise d’abord à assurer la transparence et ainsi démontrer que contrairement à l’idée reçue, cette somme forfaitaire assurée chaque mois à tous les parlementaires [d’environ 5 000 euros, ndlr] pour pouvoir payer leurs frais de mandat est utile et nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie ». Regards Citoyens juge toutefois « essentiel que l’usage de cet argent public soit rendu transparent, par exemple comme en Angleterre où la publication de chacune des notes de frais des élus est systématique ».
L’organisation continue ainsi de dénoncer la « réforme a minima » introduite par les lois sur la confiance de l’année dernière, laquelle « ne prévoit aucun mécanisme de transparence, seul moyen qui pourrait permettre de commencer à rétablir la confiance des citoyens dans la bonne utilisation des moyens publics mis à la disposition des élus pour leurs mandats » (voir notre article).
Si le juge administratif ordonnait aux députés de communiquer leurs relevés bancaires, cette décision pourrait faire jurisprudence et pousser les nouveaux élus du Palais Bourbon – de même que les sénateurs – à se montrer eux aussi transparents. Faute de quoi, de nouvelles « demandes CADA » seraient possibles pour inviter les parlementaires à divulguer – pourquoi pas par le biais d’une mise en ligne, comme le prévoit la loi Numérique – les relevés de leurs comptes dédiés aux frais de mandat.
Certains députés, à l’image notamment de Paula Forteza et Éric Bothorel, jouent d’ores et déjà le jeu en publiant leurs relevés bancaires. L’expérience montre toutefois que l’exercice se révèle encore délicat : les lignes correspondant aux débits et aux crédits ne contiennent en principe que des informations relatives au bénéficiaire ou à l’émetteur du paiement.
Si l’on devine facilement l’usage qui a été fait auprès d’une société de taxi ou d’un restaurant, difficile de savoir ce qui a été acquis lors d’un achat sur Amazon par exemple. Sans parler des chèques, dont le destinataire n’est jamais mentionné.