Depuis plus de cinq ans, Twitter réserve certaines fonctions à ses clients officiels, tout en imposant des restrictions aux applications tierces. Dans les prochains mois, ces dernières pourraient perdre les mises à jour des tweets en temps réel. Nous en discutons avec Ludovic Vialle, créateur de Plume, qui a depuis abandonné la plateforme.
Les relations entre Twitter et les applications tierces se compliquent encore. Début avril, les concepteurs de quatre clients tiers publiaient Apps of a Feather, un site prévenant les utilisateurs de la disparition des mises à jour en temps réel de leurs logiciels. La raison : le remplacement de l'actuel canal d'accès aux données (API) le 19 juillet, sans que ces développeurs n'aient d'alternative en main. Le lendemain, le réseau social a promis de différer ce changement, avec une documentation à disposition.
Cet épisode est le dernier d'une longue série de différends entre l'entreprise et les développeurs tiers. Fin 2012, Twitter a instauré une limite d'utilisateurs pour chaque application tierce (via des jetons, ou « tokens »). Pour libérer un de ces « jetons », l'internaute doit révoquer manuellement l'application dans ses paramètres.
La société décourageait aussi la conception de logiciels mimant son service. Autrement dit, les clients concurrents des siens, dont Tweetie sur mobile (racheté en 2010) et TweetDeck (acquis en 2011). L'intégration de services tiers (comme Facebook) est aussi proscrite.
Avant de discuter d'Apps of a Feather avec des concepteurs de clients tiers, nous avons interrogé Ludovic Vialle, fondateur de la société toulousaine LevelUp Studio. En 2012, il revendait son client Plume à UberMedia, avant de cesser son développement en 2014. LevelUp Studio est depuis passé à d'autres logiciels, travaillant actuellement sur un gestionnaire de podcasts, Podiverse. Il revient sur les dernières années de Twitter avec nous.
Quand a été créé Plume et combien de personnes travaillaient dessus ?
Plume a été développé mi-2009 et est sorti le 16 février 2010, si je me souviens bien. J'étais seul pendant longtemps, avant de passer à deux en 2011, puis Steve Lhomme (qui travaille désormais sur VLC) a pris le relais et continué tout seul. À certains moments, nous étions deux à trois dessus afin d'accélérer le développement quand nécessaire.
Qu’est-ce qui vous a fait abandonner le développement de Plume en « propre », pour le revendre à UberMedia ?
Pendant longtemps, Twitter était assez ouvert sur l'utilisation de son API et n'avait pas de soucis avec les applications tierces, car cela leur a permis d'accéder à des plateformes où ils n'étaient pas présents. Mais on a ensuite commencé à ressentir un changement de vent.
Pour la première fois, des API n'étaient pas disponibles pour tous, certaines fonctionnalités étant réservées à leurs propres clients. Par la suite, ils nous ont fait part de leur souhait que les applications ne répliquent plus les fonctionnalités de leur client officiel.
C'est à ce moment-là que je me suis dit que l'avenir des clients Twitter serait assez orageux. D'expérience, je sais qu'un produit basé uniquement sur une API tierce (ici Twitter) risque toujours de disparaitre du jour au lendemain, car ils sont dépendants de ce tiers. Par la suite, j'ai pu encore le confirmer, surtout avec l'arrivée des « tokens ».
Comment percevez-vous la campagne Apps of a Feather, alertant les utilisateurs de la disparition de l’API actuelle ?
Le problème dans ce genre de cas, c'est que l'utilisateur n'est pas forcément au courant des nouvelles restrictions. Pour lui, le fautif est le développeur de l'application.
Leur campagne a deux buts : avertir les utilisateurs en précisant qu'ils ne sont pas les seuls concernés (sinon les utilisateurs changeraient pour un concurrent), et monter un buzz pour que Twitter fasse machine arrière. Mais je sais que Twitter ne cédera pas, ce n'est pas dans leur intérêt, et cela concerne peu d'utilisateurs. Le public peut se passer de son application préférée, mais difficilement de Twitter.
Comment a évolué la courbe des utilisateurs après la mise en place des jetons en 2012 ?
C'est difficile à dire car, bien sûr, Twitter ne fournit pas de compteur de « tokens », donc à part faire ses propres estimations, on ne peut être certain de rien. Cela n'a pas changé grand-chose cela dit. Le « token », ce n'est pas le problème de l'utilisateur. Cette épée de Damoclès pèse sur le développeur.
Réutiliser des « jetons » était-il courant quand vous vous occupiez de Plume ?
Non, pas du tout, c'est impossible à gérer. Il convient à chaque utilisateur de révoquer l'accès à une application Twitter dans les paramètres du site. Cela ne peut pas être automatisé et il est impossible de demander aux utilisateurs de le faire. La tâche est trop contraignante. De plus, si c'est celui-ci n'utilise plus une application tierce, c'est qu'il ne va plus sur Twitter, ou qu'il utilise un autre client. Il n'a donc aucune envie ou intérêt de faire ça pour son ancien client Twitter !
Pensez-vous toujours intéressant financièrement de créer ou maintenir un client ou service tiers dépendant de Twitter ?
Les applications sont de plus en plus complexes à développer (il faut toujours plus de fonctionnalités et les concurrents ont de l'avance), la limite de « tokens » pour les nouvelles apps est de 100 000. Une application gratuite ne pourra jamais rentrer dans ses frais, et pour une application payante, il faudra la vendre cher et qu'elle soit vraiment exceptionnelle (Tweetbot est un bon exemple).
Mis à part l'accent mis sur le design, on ne va pas vraiment trouver d'arguments pour vendre son application. Twitter a le droit de vie ou de mort sur votre accès à l'API, donc c'est un pari très risqué et je n'irais certainement pas moi-même le tenter !
Pourquoi Twitter réserve-t-il certaines fonctions (sondages, DM de groupe, Moments, publicités…) à ses propres clients ?
Tout simplement pour que les utilisateurs de la plateforme migrent au fur et à mesure vers leurs clients. C'est aussi une manière de tuer à petit feu les applications tierces. La disparition du streaming (push) pour les applications tierces sera assez violente, le service étant surtout utilisé pour du temps réel.
Aviez-vous des contacts avec Twitter quand vous conceviez Plume ?
Pas du tout, mis à part quand ils ont demandé que je change le nom original de mon application, Touiteur, ce que je peux comprendre.
Nous évoquons une dépendance des développeurs envers Twitter. Est-ce bien le cas selon vous ?
Totalement ! C'est simple, sans accès à l'API Twitter, une application ne fait plus rien. C'est bien un signe de dépendance totale.
Avez-vous souvenir d’un cas similaire à Apps of a Feather, ou est-ce une première selon vous ?
J'ai été surpris de voir cette coopération, car nous avons tous été en concurrence. C'est une première selon moi mais ils ont fait un bon choix en s'unissant, même si cela ne changera rien. J'aimerais tout de même avoir tort !
Merci Ludovic Vialle.