Présenté vendredi 27 avril en Conseil des ministres, le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » entend rendre obligatoire la mise en ligne de chaque condamnation pour travail dissimulé (en bande organisée uniquement). Il y a encore quelques semaines, le gouvernement promettait pourtant un dispositif bien plus ambitieux.
Prêt illicite de main-d’œuvre, travail dissimulé, emploi d’étrangers sans titre de travail, cumul irrégulier d’emplois... Toutes ces infractions au Code du travail, qui constitue ce qu’on appelle généralement du « travail au noir », peuvent depuis une loi de 2014 faire l’objet d’une peine complémentaire plutôt inhabituelle dans le droit français : une sorte de « mise au pilori numérique », sur le site officiel du ministère du Travail.
Les magistrats ont en effet la possibilité, lorsqu'une amende est prononcée, d’ordonner la diffusion de leur décision sur Internet, sans anonymisation. Pendant une durée maximale de deux ans, ont ainsi vocation à se retrouver en ligne : le nom de l’entreprise condamnée, son numéro de SIREN ou de SIRET, son adresse, l’identité de son représentant légal, la date et le « dispositif » de la décision (c’est-à-dire le détail des sanctions), etc.
Le gouvernement revoit sa copie
Début février, à l’occasion d’un bilan intermédiaire du « plan national de lutte contre le travail illégal », le gouvernement a annoncé qu’il voulait « rendre systématique » – et non plus facultative – cette peine complémentaire prévue par l'article L8224-3 du Code du travail. « Le « name and shame » permet de donner une plus grande visibilité aux sanctions pénales prononcées en cas de travail illégal », se justifiait alors le ministère du Travail.
La semaine dernière, les arbitrages de l’exécutif ont été rendus publics. Finalement, cette « mise au pilori numérique » ne sera obligatoire que pour le délit de travail dissimulé, et ce à la condition que celui-ci soit commis en bande organisée.
Les juges choisiront la durée de cette peine complémentaire (jusqu’à un an maximum). Ils resteront par ailleurs libres d'exempter certains condamnés, « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur » – afin de respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Leur décision devra alors être « spécialement motivée ».
Une demande du Conseil d’État, qui pointait le caractère disproportionné de la réforme
« La mesure retenue s’avère la plus satisfaisante au regard des critères du délit de travail dissimulé, de l’impact de dissuasion recherchée et de la volonté de la limiter à certains employeurs au regard de la masse des décisions pénales prononcées par les juges correctionnels », explique le gouvernement dans son étude d’impact.
L’exécutif affirme que cette réforme permettra « d'accroître le caractère dissuasif de la sanction du travail dissimulé dans les cas les plus graves, c’est-à-dire lorsqu’il est commis en bande organisée ».
C’est toutefois en lisant l’avis rendu par le Conseil d’État que l’on comprend mieux pourquoi le ministère du Travail a (partiellement) fait machine-arrière. La juridiction administrative lui a en effet demandé de revoir sa copie pour que la diffusion de condamnations « soit proportionnée à la gravité de l’illégalité sanctionnée, notamment en ciblant le caractère obligatoire de celle-ci au seul cas de délit commis en bande organisée ».
Seules quatre décisions mises sur « liste noire » à ce jour
D'après l’exécutif, la peine complémentaire en vigueur aujourd’hui se révèle « très peu utilisée par le juge pénal ». Seules quatre décisions de diffusion auraient ainsi été prononcées depuis 2014. Au regard des milliers de condamnations rendues chaque année pour travail dissimulé, ce chiffre devrait très logiquement être amené à augmenter. L’étude d’impact du gouvernement ne s’avance toutefois sur aucun chiffre, ni même estimation.

Les modalités techniques de mise en œuvre de ce dispositif seront fixées ultérieurement, par décret en Conseil d’État pris après avis de la CNIL – une fois que le Parlement aura avalisé (ou éventuellement modifié) ces dispositions figurant à l'article 59 du projet de loi porté par la ministre du Travail. Il y a toutefois fort à parier pour que ces informations restent introuvables depuis les moteurs de recherche, la gardienne des données personnelles ayant plaidé pour une telle restriction lors de son avis sur le dispositif actuel.