Une élève peut-elle piocher en ligne une photo pour illustrer un exposé, diffusé ensuite sur Internet, sans allumer la dynamite d’une action en contrefaçon ? Ce cas sera tranché par la Cour de justice de l’Union européenne dans quelques mois. Hier, l’avocat général a rendu ses conclusions pour l'éclairer. Elles sont favorables à cet usage libre.
En 2009, une élève d’une école du Land de Rhénanie du Nord Westphalie avait illustré son exposé d’espagnol avec une photo de la ville de Cordoue récupérée sur Schwarzaufweiss.de, un site librement accessible dédié aux voyages. La source était bien mentionnée, non le nom de l’auteur, absent du site originel.
Ce travail a ensuite été diffusé en ligne sur le site de l’établissement. Cependant, Dirk Renckhoff, le photographe professionnel auteur de ce cliché, a estimé qu’il y avait violation de ses droits. Il a attaqué la ville et le Land en justice, faute pour les intéressés d’avoir obtenu son autorisation préalable.
L’affaire est montée jusqu’à la Cour fédérale de justice allemande, qui a soulevé cette question préjudicielle à destination de la Cour de justice de l’Union européenne :
« L’insertion, sur un site Internet accessible au public, d’une œuvre librement accessible à l’ensemble des internautes sur un autre site Internet avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur constitue-t-elle une mise à la disposition du public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsque l’œuvre a d’abord été copiée sur un serveur puis, de là, chargée sur le site Internet ? »
Une communication au public ?
Il s’agit en clair de savoir si la reprise d’une œuvre disponible sur un site Internet avec l’autorisation de son auteur est susceptible d’être une communication au public.
L’expression est la condition juridique préalable à une possible action en contrefaçon dans ce genre de cas. L’article 3 de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins de 2001 pose en effet que « les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs oeuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ».
Dans ses conclusions, diffusées hier par la CJUE, l’avocat général a désossé chacune des strates de la « communication au public ». Considérant que la Cour avait développé au fil d’une dense jurisprudence deux séries de critères, objectifs (l’intervention de l’utilisateur pour rendre l’œuvre au public) et subjectifs, il s’est surtout attaché à ces derniers éléments très concrets.
Des critères subjectifs
Il a considéré en particulier que le travail de l’élève ne se focalisait pas dans la publication de la photo en tant que telle, mais sur l’exposé où le cliché était intégré. En somme, la photo n’était qu’un accessoire.
De plus, l’image source était sans mention de son auteur. « On pourrait donc légitimement penser qu’il s’agissait d’une simple image de la ville de Cordoue utilisée en tant que publicité touristique et dépourvue de la protection dont bénéficient les œuvres protégées » explique l’avocat général, dans une phrase qui fera peut-être bondir les professionnels du secteur.
Il ajoute que l’œuvre était facilement accessible, sans avertissement, sans restriction. « Cela a pu contribuer, avec ce qui précède, à ce que l’élève et son enseignante présument, à nouveau légitimement, sans nécessité de recherches supplémentaires, que la photographie était à la libre disposition du public » avance-t-il, dans une démarche toujours très favorable à ces reprises.
De ce contexte, il était d'une certaine manière possible de présumer que le photographe avait autorisé la diffusion de son œuvre sur Internet, d’autant que l’élève a agi sans but lucratif.
Pas de public nouveau
Surtout que, d’après lui, la photo n’a pas été mise à disposition d’un public « nouveau ».
Explication ? Lorsqu’un contenu est mis en ligne alors qu’il l’était déjà sur un autre site et si le public visé par ces deux sites est le même, alors il n’y a pas de communication au public, faute de « public nouveau ».
Justement, ici, « l’image étant facilement et légalement (c’est‑à‑dire avec le consentement du titulaire du droit d’auteur) à la portée de tous les internautes, on ne voit pas comment l’intervention de l’élève et de son enseignante aurait pu être décisive pour faciliter l’accès à un plus grand nombre de personnes ».
Exception pédagogique et test en trois étapes
Dans une incise, alors que la question n’a pas été posée par les juridictions allemandes, il ajoute que l’utilisation de la photo pourrait entrer dans l’exception d’utilisation des œuvres à des fins d’enseignement, prévue par l’article 5 paragraphe 3 de la directive sur le droit d’auteur.
De même, elle semble respecter le test en trois étapes de l’article 5, qui conditionne la mise en œuvre des exceptions à un cas spécial, qui ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou autre objet protégé, ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.
En somme, répond-il, « l’insertion sur le site Internet d’un établissement scolaire, sans but lucratif et en indiquant la source de l’image, d’un travail scolaire contenant une photographie à laquelle tous les internautes avaient un accès libre et gratuit ne constitue pas une mise à la disposition du public (….) lorsque cette image figurait déjà, sans avertissement quant à ses restrictions d’utilisation, sur le site Internet d’une revue de voyages ».
Ces conclusions ne lient pas la Cour. Dans son arrêt, attendu pour dans quelques mois, elle pourra choisir une solution diamétralement opposée, comme elle l’a déjà fait. Si la justice européenne confirme l’analyse, il ne faudra surtout pas déceler l’éclosion d’une sorte de droit d’usage généralisé des images disponibles en ligne, tant les faits et conditions empilées sont spécifiques et nombreux.