Bras de fer entre Molotov, TF1 et M6 : pourquoi nous saisissons la Hadopi

La Télé ré-éventée
Droit 6 min
Bras de fer entre Molotov, TF1 et M6 : pourquoi nous saisissons la Hadopi
Crédits : Molotov.tv

Molotov subit depuis son lancement de nombreuses restrictions imposées par M6 et TF1, en particulier sur le terrain des bookmarks, petit nom maison des enregistrements réalisés sur l’autel de la copie privée. Nous avons décidé de saisir la Hadopi pour tenter de purger ces difficultés qui sont autant de préjudices pour les utilisateurs. 

Molotov, la télé réinventée chère à Pierre Lescure, Jean-David Blanc et Jean-Marc Denoual, a depuis ses origines vocation à réconcilier les internautes avec la télévision. Comme exposé lors du lancement, le service en ligne, accessible sur n’importe quel écran, veut remettre la fameuse expérience-utilisateur au goût du jour, en poussant aux oubliettes la télévision de papa. 

Replay, live, classements des chaînes, moteur aux petits oignons, et cerise sur le gâteau, une fonction d’enregistrement des programmes en cours ou à venir (« les bookmarks »). Un moyen « de ralentir le temps audiovisuel », dixit ses fondateurs, agacés de ces masses de flux audiovisuels jusqu’à présent noyés dans le siphon cathodique. 

Sur le papier, tout était huilé. Le projet de loi Création tombait au bon moment pour véhiculer une révolution : l’extension de la copie privée des supports tangibles à cette forme de stockage dans le « cloud ». Une technique vieille comme le monde : face à un mur infranchissable, autant le contourner ! Molotov allait donc profiter de cette exception pour évincer la douloureuse case de l’autorisation des créateurs, nécessaire en principe dès lors qu’on veut « fixer » leurs œuvres. 

Un travail législatif inachevé, une pluie de restrictions

Seulement, les dépôts de calamine n’allaient pas tarder dans les pistons. Tiraillé entre les intérêts de cette start-up et les viscosités des chaînes mastodontes, le législateur a fait le choix d'une solution mi-chèvre, mi-chou. Il a conditionné la copie privée à un accord entre éditeur et distributeurs, où doivent être définies « préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». Et le Conseil supérieur de l'audiovisuel a été érigé en arbitre des différends relatifs à la conclusion ou à l'exécution de cette convention.

Ou comment saupoudrer un régime d’autorisation traditionnel dans un univers qui aurait dû s’en passer. Autant mélanger moutarde, confiture et huître ! Résultat des courses : les groupes TF1 et M6, opposés dès l’origine à ce régime, sont par instinct montés sur les barricades pour défendre leur pré carré. Ils ont imposé des restrictions multiples sur les capacités de copie privée proposées aux abonnés gratuits ou payants. Et c'est peu de le dire, la liste est longue :

  • Le groupe M6 a demandé au service en ligne de bloquer l’avance rapide sur les programmes enregistrés sur ses chaines (soit M6, W9 et 6ter).
  • Les capacités d’enregistrement sur les chaînes de TF1 et toujours celles de M6 sont limitées à 20 heures cumulées.
  • Un abonné ne peut enregistrer plusieurs des flux simultanément et, sur les comptes « premium », visant toujours ces chaînes, la planification d’enregistrement est limitée à deux semaines.
  • Les fichiers enregistrés sur une quelconque des chaînes diffusées par Molotov ne sont pas copiables sur d’autres supports.

Ces derniers temps, M6 a aiguisé davantage encore ses revendications. La chaîne, pourtant disponible gratuitement sur TNT, voudrait que ses flux ne soient accessibles qu’en version payante, et donc derrière un paywall.

Autant de moyens qui ont pour effet, pour ne pas dire objectif, de rendre Molotov le moins sexy possible. En dégradant les capacités de copie privée, par empilement, l’utilisateur sera peu ou prou incité à revenir sur les sites officiels, bardés de publicités. Qui auraient en effet accepté pareils cadenas sur la prise péritel menant à son magnétoscope VHS ?

Un barème calqué sur celui des box, étrangères à ces restrictions

Ces bisbilles pourraient n’être cantonnées qu’à un bras de fer entre professionnels. Une vulgaire histoire entre services administratifs, avec certes l’utilisateur comme victime collatérale. Business as usual. Seulement, le plus beau arrive.

En Commission copie privée, le barème de redevance que doit payer Molotov a été publié au Journal officiel le 9 juillet 2017, suite à une décision de cette instance en date du 19 juin 2017. Or, il a été calqué par analogie sur celui des box (avec une adaptation financière puisque la redevance est payée en une fois par les FAIchaque mois par Molotov, sans plafonnement dans le temps).

Problème : cette pluie de restrictions n’existe pas chez les FAI. En somme, des barèmes identiques, voire plus chers chez Molotov, mais des droits d’utilisateurs largement en retrait sur la plateforme. Est-ce normal, comme le pensent les sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) qui glanent ces sommes ?

La bouée Hadopi 

Pour tenter de détricoter cette situation kafkaïenne, nous avons décidé d’appeler la Hadopi à la rescousse. Cette haute autorité n’a pas seulement vocation à engager la riposte graduée, laquelle, il est vrai, mobilise l’essentiel de ses ressources.

Un bénéficiaire de la copie privée, donc n’importe quelle personne physique, peut aussi la saisir pour avis « de toute question relative à la mise en œuvre effective de cette exception », pose l’article L331-36 du Code de la propriété intellectuelle.

Une fenêtre de tir idéale, le CSA attendu à l’orée du bois

Certes, nous ne disposerons dans quelque temps que d'un avis simple. Il n’engagera que ceux qui voudront bien y prêter attention. Il pourra être oublié, comme l'expérience l'a montré en 2014. Néanmoins, faisons un pari sur son poids « politique », d’autant que la fenêtre de tir est idéale.

Retour à l’agenda. Le barème Molotov en vigueur n’a été adopté que pour une période d’un an, à titre provisoire. Dans les prochaines semaines, la Commission Copie privée va donc revoir, corriger, adapter la ponction selon les usages constatés ces douze derniers mois, afin d’ébaucher un barème cette fois définitif. On peut donc considérer que les travaux de la Hadopi nourriront utilement cette antenne du ministère de la Culture où les SPRD sont reines

Si notre procédure devait rester sans effet, une deuxième carte s’ouvre à nous : celle du règlement de différend. Dans ce plan B, qui obéit à une procédure bien plus longue, on monte en gamme. La Hadopi pourra cette fois émettre « une injonction prescrivant, au besoin sous astreinte, les mesures propres à assurer le bénéfice effectif de l'exception » pour copie privée.

Juridiquement, c’est Molotov qui est directement visé, non TF1 ou M6. L’enjeu n’est pas tant de cibler un acteur en particulier, mais que la plaie soit nettoyée pour défendre les intérêts des utilisateurs. Sans action, en effet, on peut anticiper une épidémie de restrictions chez les futurs concurrents, couplés à des barèmes toujours plus hauts. Évidemment, les yeux sont aussi tournés vers le CSA, dans l’espoir qu’il sorte enfin du bois.

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