Liste noire, miroirs : Françoise Nyssen plaide pour une Hadopi surarmée et rebaptisée

Marie-Françoise Nyssen
Droit 8 min
Liste noire, miroirs : Françoise Nyssen plaide pour une Hadopi surarmée et rebaptisée
Crédits : Marc Rees (CC-BY-SA 3.0)

Hadopi en avait rêvé, Françoise Nyssen l’a promis. Hier, lors d’une réception en l’honneur des films français sélectionnés à Cannes, la ministre de la Culture a dévoilé son plan antipiratage. Au menu : liste noire, action contre les sites miroirs et une haute autorité de retour sur scène. Une consécration, fruit d’années de lutte existentielle, Rue du Texel.

Le 17 mai 2003, dans la Déclaration de Cannes, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture d’alors et Jack Valenti, président de la Motion Picture Association, plantaient les premières graines d’où a germé Hadopi

L’un et l’autre militaient pour un usage débridé de « tous les outils technologiques pour défier les pirates », épaulés par la mise en application des protections juridiques les plus aiguisées. Jack Valenti avait même demandé au ministre d’être « fer de lance » de cette politique. « Nous serons avec lui ».

Quelques années plus tard, la graine Hadopi germe. Après la loi DADVSI sur la sécurisation des dispositifs anticontournement notamment, le texte préparé dès 2004 est adopté en 2009 après des débats rocambolesques. 

Le piratage, le fléau absolu

Plus près de nous, Hadopi reste cependant une institution datée. Certes, elle a adressé plus de 10 millions d’avertissements, mais sa cible est considérée comme désuète. Tel le chasseur armé d’un tromblon, elle n’est focalisée que sur l’échange illicite en peer-to-peer, alors que le streaming et le direct download sont aujourd’hui aussi naturels que l’air que l’on respire. À l’aide d’un simple moteur, regarder le dernier film à l’affiche, parfois même en avant-première, est à la portée de quiconque, même des plus jeunes. 

Lors d’une réception organisée au ministère, hier, face à une industrie du film conquise, Nyssen a dit tout le mal qu’elle pensait du piratage. « Un fléau absolu. Il détruit votre valeur. Il détruit votre pouvoir et votre devoir de dissidence. Il détruit notre modèle. Il détruit notre cinéma, notre création. Il met en danger les moyens d’expression de générations à venir ». 

Nyssen veut faire évoluer la riposte graduée

Les pistes d’action déroulées à l’occasion sont denses : d’abord, elle veut faire « évoluer le mécanisme de riposte graduée ». Elle avait déjà qualifié ce chantier d’« urgent », pas plus tard qu’en janvier 2018. 

Et bel hasard, des scénarios d’évolution sont déjà ébauchés par deux conseillers d’État à la demande de la Rue du Texel. Révélée dans nos colonnes, leur étude portant sur la faisabilité juridique d’une amende infligée par la Hadopi déborde de suggestions. 

Ils ont par exemple envisagé de raboter les étages de la riposte graduée, en particulier l’envoi de l’avertissement par mail. L’amende est, elle, déclinée sous plusieurs formes (forfaitaire pénale, administrative avec l’alternative de la transaction). Poussées par les ayants droit, ces solutions sont analysées comme juridiquement faisables, mais d’une efficacité relative. Aux sociétés de gestion collectives qui rêvent d’automatisme industriel, les deux rapporteurs rétorquaient qu’une dense phase d’instruction restera toujours nécessaire. 

L’action contre les sites pirates

Ce n’est pas tout. De la Rue de Valois, la ministre a entendu les revendications du nouveau président de la Hadopi, Denis Rapone. L’idée ? Assécher les sites pirates « de toute ressource et les faire disparaître ». Pour cette extermination, elle souhaite l’introduction de « listes noires » qui seraient établies par la Hadopi.

Ces listes noires auraient une vocation : « permettre aux annonceurs, aux services de paiement ou aux moteurs de recherche de connaître les sites illicites et de cesser leurs relations avec eux ».

Ce système est une novation toute relative. Déjà, au ministère de la Culture, deux chartes ont été signées avec les acteurs de paiement et les régies. Avec elles, les ayants droit fournissent une liste de sites à éradiquer de leurs écosystèmes, à charge pour les prestataires de faire le ménage. C’est ce qui est arrivé à 1Fichier.com, l’hébergeur français édité par DStorage, coupé de Visa et Mastercard, et dépourvu des moyens habituels de la défense.

En 2017, la Hadopi avait demandé à être intégrée dans cette boucle. Dans son rapport annuel publié le 10 janvier 2018, elle demandait « l’intervention d’une autorité publique », afin de « garantir l’objectivité de l’analyse retenue pour le recensement dans la liste ». Dans son esprit, cette autorité « serait en position de contacter les sites avant leur inscription sur la liste afin de mettre en œuvre un certain contradictoire. Cette prise de contact pourrait donner lieu à une phase de médiation ». Mieux, on trouvait des suggestions similaires dans le rapport Lescure et ceux de Mireille Imbert-Quaretta sur la contrefaçon commerciale en 2013 et 2014. 

La ministre désire aussi disposer de « moyens efficaces pour bloquer ou déréférencer les sites, et tous les sites miroirs qui se créent après la fermeture du site principal ». Pour aiguiser l’effectivité des décisions de blocage, plutôt que de repasser par la case justice, c’est la même autorité qui serait chargée de mettre à jour la liste noire à destination des FAI et des moteurs de recherche. 

Gain de temps, mais aussi gain d’argent pour les sociétés de défense du secteur qui déporteraient une partie de ces fonctions sur les épaules du budget public.

Consacrée, Hadopi aux anges 

Pour la Hadopi, c’est une consécration. Alors que l’idée de sa suppression fut régulièrement d’actualité, la voilà inscrite profondément dans le marbre législatif et politique. Du côté de Denis Rapone, son nouveau président depuis le 1er mars, c’est du pain bénit. 

Devant la mission d'information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l'ère numérique, il a justement défendu l’idée de faire d’Hadopi un tiers de confiance de la lutte antipiratage. On retrouve dans ce compte-rendu du 5 avril la plupart des préconisations portées aujourd’hui par Françoise Nyssen : approche follow the money, action contre les sites miroirs, etc. 

Pas étonnant que l’autorité applaudisse sans nuance aujourd’hui : « On salue l’initiative, la première en la matière. Nous partageons l’analyse de la ministre de la Culture sur la nécessité de lutter contre les sites pirates, et on collabore étroitement avec eux », nous commente ce matin la Hadopi.

Certes, le passage du vœu à la réalité est toujours douloureux. Se posera de multiples questions. Par exemple : à partir de quand un site peut être qualifié de miroir d’un autre désormais bloqué ? Faut-il une correspondance parfaite entre les contenus, ou acceptera-t-on une certaine marge de manœuvre ?

Le temps qui s’ouvre va désormais être celui de la plume et du papier avec pour prochain véhicule la future grande loi de transposition de la directive sur les Services des Médias Audiovisuels. Mais cela supposera d’abord l’adoption du texte européen, soit pas avant la fin de l’année, au mieux. Et il faudra surtout que le gouvernement confirme vouloir ouvrir la loi Hadopi 3, en priant de ne pas tomber dans le bourbier de 2009.

Les yeux de Pascal Rogard tournés vers l’amende

Pascal Rogard, directeur général de la SACD, voit dans ces propos « une annonce pour calmer les impatiences des professionnels avant le Festival de Cannes ». Une manière aussi de répondre aux voeux du secteur qui ont conditionné le sujet de cette lutte au dossier chronologie des médias. « Il y avait même une demande de Canal+ pour lutter contre la  piraterie. C’est bizarre parce que la chaîne diffuse actuellement sans autorisation ». 

« Sur le fond, on n’a pas encore d’informations plus précises au-delà des déclarations qui expriment une volonté de bouger. On parle de déréférencement, mais c’est dans la continuité de cet accord ». Et quid de l’intervention de la Hadopi ? « On en revient à des idées anciennes : on garde l’institution, on étend un peu plus son champ d’action. Le système de détection des ayants droit puis la transmission à la Hadopi a plutôt bien fonctionné. Le système bloque cependant sur l’efficacité puisque derrière l’avertissement, sauf transmission au parquet, il n’y a pas de vraies sanctions. L’explication est simple, la transmission aux tribunaux ne permet pas de traiter des infractions massives ». 

La tête de la SACD revient d’ailleurs sur le passé de la Hadopi. Le système Olivennes, celui de la suspension d’accès, est considéré comme « une erreur », alors qu’aujourd’hui, « on demande à tous les gens de tout faire par Internet, que ce soit les banques ou les administrations ». 

Une amende « raisonnable », sauf pour les récidivistes 

Sa préférence penche sur une « amende raisonnable ». Pour quel montant ? « Je ne sais pas, une cinquantaine d’euros ? » Pour un tel montant, on peut s’abonner à des sites licites, nous indique-t-il, avant de rappeler que « l’offre légale a beaucoup changé » depuis 2009, où elle était « très faible ». Néanmoins, « il faut prévoir une amende sensiblement plus élevée pour les récidivistes ». 

Pour la « piraterie mafieuse », sites de streaming et de DDL compris, Rogard a une autre piste d’action. « Je me rappelle que la meilleure méthode, pénalement, c’est celle du FBI américain contre le tout puissant MegaUpload qui se moquait du monde. Il a été ridiculisé avec un débarquement digne des films policiers ». Procédure quelque peu contestée en Nouvelle-Zélande tout de même… 

Un nouveau nom pour Hadopi, faites vos suggestions ! 

Hier, Françoise Nyssen a également glissé un autre de ses projets. Pour accompagner le renforcement du rôle et des pouvoirs de la Hadopi, elle veut « symboliquement que son nom soit modifié, pour marquer l’entrée dans une nouvelle ère ». 

Une Hadopi rebaptisée, mais en quoi ? Une excellente occasion d’entendre les suggestions des lecteurs dans les commentaires.

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