Livre : un rapport parlementaire dresse un bilan mitigé de la loi anti-Amazon

Le livre délivré, libéré
Droit 8 min
Livre : un rapport parlementaire dresse un bilan mitigé de la loi anti-Amazon
Crédits : killerbayer/iStock

Dans un rapport d’évaluation, les députés Yannick Kerlogot (LREM) et Michel Larive (FI) dressent un bilan mitigé de la loi du 8 juillet 2014 relative à la vente à distance des livres. Le marché reste en retrait par rapport à nos homologues étrangers. Quant aux ebooks, le point dur reste celui de l’interopérabilité.

En 2014, afin d’aider les libraires sur un marché où la concurrence fait rage avec les plateformes, le Parlement a adopté deux mesures phares. La loi précitée met fin à la pratique visant à cumuler la réduction de 5 % sur le prix fixé par l’éditeur et la gratuité des frais de port. Ce volet dit « anti-Amazon » compte des exceptions, en particulier au profit des ventes en ligne suivies d’un retrait dans un commerce au détail ou des abonnements.

On se souvient qu’Amazon, la FNAC ou Cdiscount avaient trouvé une parade en ponctionnant un centime de frais de port. Un tarif dérisoire qui ruinait l’efficacité de la loi, sauf pour la sénatrice Bariza Khiari pour qui, « même symbolique, la facturation de la livraison aura un effet psychologique sur le consommateur ».

Trois ans plus tard, comme prévu, deux députés ont dressé un bilan d’évaluation de cette loi. Leur rapport vient d’être mis en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. 

Les effets sur la vente à distance de livres

Premier constat, il est finalement délicat d’apprécier les effets de cette législation sur la vente à distance de livres, en raison « non seulement des réticences des grandes entreprises à fournir leurs chiffres de vente, mais aussi du grand éparpillement des points de vente de livres dans notre pays et de l’absence de collecte centralisée d’informations sur les ventes ».

Faute de mieux, les deux parlementaires se sont contentés d’une enquête Kantar Sofres réalisée à partir d’un panel de consommateurs. D’après cette étude, la part des achats de livres effectués en ligne s’établirait en 2017 à 20 %, avec un gain annuel moyen de 0,5 point depuis 2013.

Difficile de creuser plus en profondeur puisque la FNAC comme Amazon ont opposé le secret des affaires aux parlementaires. S’il y a eu des « progrès significatifs » des retraits en magasins suite à des achats réalisés sur Fnac.com, l’enseigne juge impossible « d’en attribuer la cause à la seule loi de 2014 ».

D’autant que d’autres facteurs ont pu jouer, telle la démultiplication des magasins pratiquant le retrait de livres commandés en ligne. « En revanche, [l’entreprise] déclare n’observer aucun effet quantifiable sur le chiffre d’affaires des ventes en ligne ou sur le nombre d’adhérents à la carte Fnac » ajoute encore le rapport.

Pour la FNAC, la loi n’a finalement pas atteint son objectif, qui était d’améliorer la concurrence face à l’ogre Amazon. Et pour cause, « les consommateurs n’ont pas pleinement conscience de l’existence de cette différence et continuent d’avoir le sentiment diffus que l’achat en ligne est toujours moins coûteux qu’en boutique ».

Une loi inéquitable selon Amazon France

Du côté d’Amazon France, le segment de marché du livre est plus en retrait, mais là encore difficile d’en attribuer la cause au texte du Parlement. Cette loi reste cependant « inéquitable » aux yeux de Frédéric Duval, PDG d'Amazon France, en ce qu’elle privilégie les enseignes disposant d’un magasin physique qui peuvent du coup pratiquer les 5 % de décote. 

Du côté des librairies indépendantes, même prudence. « Les libraires ont tous estimé qu’il était très difficile, voire impossible pour eux de quantifier les effets de la loi sur leurs chiffres de vente. Certains ont jugé l’effet « résiduel », d’autres ont surtout souligné l’impact symbolique de la loi et l’émergence de comportements ouvertement militants de la part de certains clients ».

Mais un bilan non négligeable selon les rapporteurs

Pour les deux parlementaires, le bilan est loin d’être négligeable. Par exemple, il est désormais plus avantageux d’acheter un livre en librairies « ne serait-ce que d’un centime dans le cas où le détaillant ne pratique pas la décote de 5 % ».

Ils voient en outre dans la loi « une nouvelle occasion de rappeler l’existence de la loi sur le prix unique du livre, même si la question de la perception de cette loi par une majorité de consommateurs reste posée ».

Alors certes, pas de révolution, mais « un jalon supplémentaire dans la prise de conscience des consommateurs du différentiel qualitatif entre achat en ligne et achat en librairie. Preuve supplémentaire : aucune des personnes entendues par les rapporteurs, à part peut-être les représentants d’Amazon France, n’a préconisé un retour en arrière… »

Le Médiateur du livre et les marketplaces

Au fil de leur rapport, Yannick Kerlogot et Michel Larive reviennent aussi sur un sujet connexe, la concertation lancée par le Médiateur du livre suite à un différend entre éditeurs et « MarketPlaces ».

Comme déjà révélé par Next INpact, si plusieurs points d’entente ont été atteints, aucun accord n’a été trouvé sur l’affichage des mentions « neuf » et « occasion » sur les sites internet de vente en ligne.

Pour mémoire, Amazon voudrait limiter ces obligations à la version de son site accessible sur ordinateur, en excluant son application mobile. Mieux, la plateforme estime que l'obligation de mentionner « livre d’occasion », tout en distinguant le prix du neuf, est inapplicable dans les résultats des moteurs en raison de contraintes technologiques et financières.  La FNAC estime que ces distinctions ne peuvent concerner les résultats des recherches de son application mobile.

Dans ce bras de fer, actuellement arbitré par le Médiateur du livre, les deux rapporteurs font la grimace. Ils considèrent que ce genre d’attitude « risque d’accréditer la thèse d’une politique délibérée visant à brouiller la perception du prix par l’internaute en entretenant un flou entre prix du livre neuf et prix du livre d’occasion et, in fine, à fragiliser la loi sur le prix unique du livre afin de donner l’impression –fausse – qu’acheter en ligne coûte moins cher à l’internaute ».

Une France en retrait sur le marché de l’ebook

Sur le marché du livre numérique, la France est bien en retrait par rapport à ses homologues étrangers. Alors que la part des ventes d’ouvrages grand public talonne les 12 % au Royaume-Uni, et est au-dessus des 10 % aux États-Unis, elle n’est que de 3,5 % en France.

En intégrant les ouvrages scientifiques, techniques et professionnels achetés par les bibliothèques et les entreprises, « la part de chiffre d’affaires réalisée par les éditeurs dans le livre numérique au plan global (c’est-à-dire comprenant les livres scolaires et les abonnements professionnels) représentait en 2016 plus de 8 % » en France, tempère le rapport, qui nous prive néanmoins de comparaison internationale sur ce vaste segment.

Quelles sont les pistes d’explication des faiblesses françaises ? La loi du 26 mai 2011 a transposé le régime du prix unique sur le livre numérique. Dans la concurrence entre livres numériques et livres papier, son objectif était d’éviter que les premiers puissent bénéficier de prix cassés au détriment de ces biens tangibles. Un livre numérique ne coûte que quelques euros de moins qu’un livre papier à sa sortie, et même plus qu’un livre au format poche. 

De même, il y aurait un attachement des lecteurs à l’objet, bien plus qu’au fichier. Le rapport rappelle d’ailleurs que contrairement à un livre physique, on ne devient pas propriétaire d’un fichier, qui ne confère qu’un droit d’usage.

Que ce soit sur Amazon, Apple ou encore Kobo , tous « ont mis en place des systèmes dits « propriétaires » ou fermés : un livre numérique acheté sur une de ces plateformes ne peut être lu que sur les liseuses vendues par elle ». Une stratégie qui « permet d’enfermer le lecteur dans un écosystème dont il ne peut sortir, sous peine de perdre ses achats ».

La question de l'interopérabilité

Pour les deux députés, la question centrale est finalement celle de l’interopérabilité. « Sans remettre en cause les mesures techniques de protection (DRM) assurant la protection et le contrôle de l’usage des fichiers, l’interopérabilité doit permettre aux utilisateurs de changer d’environnement, de passer d’une tablette de lecture à une autre, en conservant les usages attachés à l’acquisition du fichier ».

En 2014, la députée Isabelle Attard avait justement déposé un amendement visant à ne réserver la TVA réduite qu’aux ebooks dépourvus de verrou numérique. En achetant un livre ainsi cadenassé, les clients « croient acheter des livres numériques, mais c’est faux : ils souscrivent en réalité une licence de lecture extrêmement limitée. S’ils changent de système de lecture, ils ne peuvent plus accéder aux livres qu’ils croient avoir achetés. »

Valérie Rabault, rapporteure générale du projet de loi de finances, s’était opposée à une telle discrimination considérant qu’elle viendrait fragiliser la position française dans les contentieux alors en cours devant la Cour de justice de l’Union européenne. « En effet, nous défendons l’éligibilité des textes dématérialisés au taux réduit au même titre que les livres papier en affirmant que leurs contenus sont de même nature ».

En mars 2015, patatras : la CJUE a jugé que la France ne pouvait appliquer le même taux réduit que les livres papier. Si celui-ci est considéré comme un bien physique éligible, l’ebook est analysé comme une prestation de service.

Alors que le Syndicat national de l’édition avait regretté cette décision, l’April, association de défense du libre, avait dénoncé au contraire la position du syndicat, position qui « occulte totalement le fait que les DRM (« menottes numériques ») réduisent grandement les droits des lecteurs et font que, justement, un livre électronique n'est pas équivalent à un livre imprimé ».

En décembre 2016, la Commission européenne a ouvert la voie d'une possible réforme en la matière. Bruxelles aimerait que l'UE puisse « autoriser les États membres à appliquer le même taux de TVA aux publications électroniques telles que les livres électroniques et les journaux en ligne qu'à leurs équivalents imprimés ».

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