Alors que les discussions autour du projet de loi RGPD entrent dans une phase décisive, l’Assemblée examinant aujourd’hui le texte en nouvelle lecture, le gouvernement vient de déposer ses amendements relatifs à l'explicitation, par les administrations, des algorithmes publics. L’exécutif continue de demander une dérogation pour Parcoursup.
Pour bien comprendre les débats qui s’annoncent, mieux vaut se replonger dans l’article L311‑3‑1 du Code des relations entre le public et l’administration, introduit par la loi Numérique de 2016. Lequel impose aux administrations :
- D’informer chaque citoyen, lorsqu’une décision individuelle le concernant a été prise à son encontre à l’aide d’un algorithme, qu’il a le droit d’obtenir la communication – sur demande – des « règles » et « principales caractéristiques de mise en œuvre » de ce programme informatique, au regard de sa situation individuelle. Une « mention explicite » doit ainsi être intégrée à cet effet (sur les feuilles d'impôts, les attributions d'aides sociales, etc.).
- De répondre aux demandes des administrés, en fournissant des explications individualisées (opérations effectuées par le traitement, source des données traitées, degré de contribution de l’algorithme à la prise de décision, etc.).
Ce dispositif est ainsi complémentaire au droit « CADA » d’accès aux documents administratifs, qui permet aux citoyens de demander la communication de l’algorithme lui-même.
Des députés tentés par la nullité automatique des décisions sans mention explicite
Le problème est que ce dispositif, bien qu’en vigueur depuis septembre 2017, reste largement ignoré des administrations. Afin d’inciter les acteurs publics à s’y conformer, le Sénat a ainsi souhaité, au travers du projet de loi RGPD, que l’absence de « mention explicite » provoque la nullité automatique des décisions administratives.
« À quoi cela sert-il de créer ou de déclarer des droits si le citoyen n'en est pas informé et si, finalement, ces droits restent lettre morte ? » s’était justifiée Sophie Joissains, rapporteure pour la Haute assemblée. Au grand dam de Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État au Numérique, pour qui une telle réforme serait « tout à fait disproportionnée ».
Et mardi, surprise : en commission des lois, les députés ont suivi les sénateurs.
À l’approche des débats en séance publique, qui devraient débuter dans quelques minutes, le gouvernement a toutefois déposé deux amendements pour revenir sur la copie du Sénat. L’exécutif met néanmoins un peu d’eau dans son vin.
Il accepte que l’absence de « mention explicite » soit une cause de nullité automatique, mais uniquement à deux conditions :
- Que cette nullité automatique ne prévale que pour les décisions prises sur le seul fondement d’un traitement algorithmique (alors que la loi Lemaire vise toutes les décisions dans lesquelles un algorithme est intervenu, par exemple en complément d’une action humaine).
- Que l’entrée en vigueur de cette réforme soit reportée au 1er juillet 2020.
Retour à l'offensive sur Parcoursup
Le gouvernement a d’autre part déposé un amendement concernant le cas spécifique de Parcoursup. Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer, l’exécutif a introduit dans la loi sur l’orientation des étudiants une sorte de dérogation à l’article L311‑3‑1 du CRPA.
Dès lors que les utilisateurs de la plateforme seront simplement « informés » qu’ils ont la possibilité de demander « la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise », les obligations de la loi Numérique ont vocation à être « réputées satisfaites ». Un peu comme si la Sécu se voyait autorisée à ne plus rembourser les médicaments, dès lors qu’elle indiquerait préalablement aux assurés qu’ils peuvent prétendre à une prise en charge...

Là aussi, le Sénat est venu apporter son grain de sel en supprimant ces dispositions, contre l’avis du gouvernement. « Est-il légitime que les lycéens sélectionnés par les universités au moyen de traitements automatisés ne puissent savoir quels paramètres leur ont été appliqués ? » s’était faussement interrogée la rapporteure Joissains.
Face aux députés, qui ont maintenu en commission les dispositions votées par la Haute assemblée, l’exécutif s’apprête à repasser à l’offensive. Le gouvernement persiste et signe en affirmant que revenir au dispositif prévu par la loi Numérique « fragiliserait le rôle de la délibération des équipes pédagogiques ».
Pour mieux faire passer la pilule, il propose aux députés que le « comité éthique et scientifique » de Parcoursup remette chaque année un rapport au Parlement, au travers duquel l’institution pourrait formuler « toute proposition afin d’améliorer la transparence de cette procédure ».
Restera maintenant à voir si ce gage convaincra les députés.