Intelligence artificielle : des propositions de Cédric Villani au discours d'Emmanuel Macron

Emmanuel Villani ou Cédric Macron ?
Tech 12 min
Intelligence artificielle : des propositions de Cédric Villani au discours d'Emmanuel Macron

Suite à la mission pour « donner un sens à l'intelligence artificielle » de Cédric Villani, Emmanuel Macron s'est exprimé sur le sujet à l'occasion d'un long discours au Collège de France. Nous avons aligné les propositions du premier avec les annonces du second pour en mesurer l'écart.

Mercredi dernier, Cédric Villani dévoilait son rapport sur les enjeux de l'intelligence artificielle. Comme nous l'avons expliqué dans le cadre de ce dossier, le député s'est attaqué à de nombreuses problématiques et a proposé des mesures – certaines très concrètes – à plus ou moins courte échéance.

Dans la foulée, Emmanuel Macron prenait la parole jeudi après-midi au Collège de France pour dévoiler le plan du gouvernement sur l'intelligence artificielle. Il s'est évidemment appuyé sur la mission du député et a d'ailleurs repris une partie (seulement) de ses propositions.

Le président de la République en a profité pour donner quelques chiffres sur la volonté d'investissement de l'État sur l'intelligence artificielle.

Notre dossier sur le rapport de Cédric Villani sur l'intelligence artificielle :

7 axes de développement et 22 propositions

Pour reprendre les déclarations de Cédric Villani, ce rapport n'est pas « une prédiction sur ce qui va se passer [...] ni une liste de projets à soutenir », et il est bien difficile de le résumer en quelques mots. Contrairement à ce qui avait été annoncé, il comprend néanmoins une longue liste de recommandations générales.

Le site Ai for Humanity, mis en ligne pour l'occasion par le Conseil national du numérique, en propose d'ailleurs un rapide tour d'horizon. Plus d'une vingtaine de propositions sont ainsi regroupées autour de sept axes de développement pour l'intelligence artificielle en France et en Europe.

Pour une politique offensive de la donnée :

  • Inciter les entreprises à mutualiser et partager leurs données
  • Créer des données d’intérêt général
  • La portabilité citoyenne des données

Miser sur 4 secteurs stratégiques : (santé, transport-mobilité, écologie et défense-sécurité)

  • Mener une politique sectorielle autour de grands enjeux
  • Expérimenter des plateformes sectorielles
  • Mettre en place des bacs à sable d’innovation

Libérer les potentiels de la recherche française : 

  • La création d’Instituts Interdisciplinaires d’IA (3IA)
  • L’attribution de moyens conséquents pour la recherche en mettant en place un supercalculateur conçu spécifiquement pour les applications d’intelligence artificielle
  • La revalorisation des carrières dans la recherche publique en améliorant l’attractivité de la France

Anticiper l’impact de l’IA sur le travail et expérimenter :

  • Créer un Lab public de la transformation du travail
  • Penser la complémentarité humain/machine
  • Expérimenter de nouveaux modes de financement de la formation professionnelle

Pour une IA écologique : 

  • La puissance publique doit accompagner la transition écologique grâce à l’intelligence artificielle 
  • Penser une IA moins consommatrice d’énergie en accompagnant l’industrie du cloud européen
  • Une libération de la « donnée écologique »

Ouvrir les boîtes noires de l’IA : 

  • Développer la transparence et l’audit des algorithmes
  • Se pencher sur la responsabilisation des acteurs de l’IA autour des enjeux éthiques
  • Créer un Comité consultatif d’éthique pour les technologies numériques et l’intelligence artificielle
  • Garantir un principe de responsabilité humaine, particulièrement lorsque des dispositifs d’IA sont utilisés dans le cadre de fonctions régaliennes

Pour une intelligence artificielle inclusive et diverse : 

  • Viser 40 % d’étudiantes dans les filières numériques d’ici 2020
  • Faire évoluer les procédures administratives et renforcer les capacités de médiation
  • Soutenir les innovations sociales basées sur l’IA

Des propositions concrètes, mais quid du financement ?

Ce nouveau rapport fait largement le tour de la question, s'appuyant sur les travaux des précédentes publications de parlementaires et d'autres organismes. Maintenant que le ballon de l'intelligence est posé sur son tee, l'essai doit encore être transformé.

L'argent est nécessaire afin de concrétiser les différentes propositions : politique ambitieuse sur les données, émergence d'Instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle, création de Labs, augmentation du salaire des jeunes chercheurs, renforcement de l'enseignement, label écologique, fonds d'aides et de valorisation...

Problème, la question des moyens financiers n'est pas évoquée dans le rapport. Interrogé par nos confrères du Monde, le député affirme avoir « fait ces calculs, et plutôt trois fois qu’une », mais ajoute qu'il « ne voulait pas qu’ils soient dans le rapport pour éviter que l’expression publique se précipite dessus »...

Bruno Le Maire rêve d'une DARPA à la française

Lors de la conférence de presse de présentation du rapport, Bruno Le Maire explique que l'intelligence artificielle occupera une place importante dans « le fonds pour l'innovation de rupture » doté de dix milliards d'euros. « Certains critiques en disant : ce n'est pas assez, m'enfin c'est un début. Demain ce sera un fond de dimension franco-allemande et un ensuite un fond européen » ajoute le ministre de l’Économie.

Ce dernier souhaite ainsi créer un équivalent de la DARPA américaine, une agence citée à plusieurs reprises comme source d'inspiration par la mission de Cédric Villani. Le but étant de « trouver un moyen de financer des innovations qui ne sont pas rentables dans six mois ou dans un an, mais qui nous permettront de rester dans la course technologie mondiale ». 

Emmanuel Macron prône une approche européenne, basée sur quatre piliers

Après le ministre, c'était au tour du président de la République de monter sur scène. Tout au long de son « discours fleuve », il n'aura de cesse de rappeler que le travail autour de l'intelligence artificielle ne doit pas uniquement être français, mais avoir une dimension européene, en commençant par une étroite collaboration franco-allemande : « Ce serait vain de le faire dans un seul pays ».

Dans un cadre général sur les promesses de l'intelligence artificielle, le président affirme qu'il « ne faut pas avoir peur et refuser le changement », mais qu'il « ne faut pas pour autant pas être naïf ». S'il reconnait que, « parfois, la France a tardé », il souhaite désormais passer la seconde (et il est temps).

S'appuyant largement sur le rapport de Cédric Villani, il annonce quatre piliers pour développer l'intelligence artificielle dans l'Hexagone : « Nous mettre en situation de conforter en France et en Europe l'écosystème de l'intelligence artificielle et en particulier les talents », « engager une politique résolue d'ouverture des données », « avoir une stratégie à la fois de financement et de projets » et « penser les termes d'un débat politique et éthique ». Dans les grandes lignes, ils reprennent les recommandations du rapport, mais le diable se cache souvent dans les détails.

Emmanuel Marcon IA

Un programme national pour la recherche sur l'IA

Première annonce concrète : un « programme national pour l'intelligence artificielle, coordonné par INRIA, en lien avec les autres organismes de recherches et [impliquant]  l'ensemble de la communauté scientifique française ». Il prendra la forme de « quatre ou cinq instituts dédiés, ancrés dans des pôles universitaires et maillant le territoire ».

Il reprend donc la proposition de création d'Instituts Interdisciplinaires d’IA (3IA) de Cédric Villani. Le président fait par exemple référence à l'initiative PRAIRIE (inauguration prévue ce printemps) et au récent institut DataIA, mais « d'autres nœuds à Toulouse et Grenoble » sont également évoqués. Le but est de créer un réseau jouant le rôle de « vaisseau amiral de la recherche publique française en matière d'intelligence artificielle ».

Bien évidemment, « il aura vocation à accueillir des financements privés », notamment avec des « chaires d'excellence » pour attirer des chercheurs du monde entier.

La volonté de doubler le nombre d'étudiants

« Nous devons faire un effort pour particulier sur la formation » lâche sans surprise Emmanuel Macron, abondant dans le sens du rapport de Cédric Villani. « Nous doublerons le nombre d'étudiants formé à l'intelligence artificielle depuis la licence, jusqu'au doctorat, en passant par les formations professionnelles courtes et prévoirons les financements qui correspondent à ce doublement ». L'échéance pour y arriver n'est pas précisée.

C'est donc un cran en-dessous des espérances du rapport. Il vise pour rappel à « multiplier par trois le nombre de personnes formées en intelligence artificielle, à horizon trois ans ». Il faudra par contre attendre quasiment la fin du discours pour que le président parle d'« inclusivité », une des six grosses parties du rapport. Emmanuel Macron affirme qu'il veut changer cette situation, mais sans donner de chiffres, alors que le rapport vise pour sa part « 40 % d’étudiantes dans les filières numériques d’ici 2020 ».

Il s'agit d'augmenter le nombre de femmes dans l'intelligence artificielle, mais aussi d'apporter plus de diversité sociale, et donc d'égalité.  « Il ne faut pas qu'ils soient un peu ce que je suis devant vous [...], c'est-à-dire des mâles blancs quadragénaires formés dans les grandes universités européennes ou américaines » explique le président en parlant des chercheurs.

Make our intelligence artificielle great again

Pour attirer de nouveaux talents, Emmanuel Macron souhaite lancer « des appels à projets sur le modèle Make our planet great again », sélectionner les meilleurs et les financer. Alors que la mission de Cédric Villani recommande le « doublement des salaires en début de carrière » pour les chercheurs « comme point de départ minimal indispensable » pour éviter la fuite des cerveaux, le président n'a fait aucune annonce dans ce domaine.

Il veut néanmoins « attirer les meilleurs enseignants, enseignants chercheurs, pour une part de leur carrière ou pour une année [...] pour faire de la France un lieu d'attractivité et de compétitivité internationale ». Pour y arriver, il prône « une réforme qui supprimera le passage obligatoire auprès de la commission déontologique ou qui autorisera un chercheur public à consacrer jusqu'à la moitié de son temps à une entité privée alors qu'aujourd'hui c'est plafonné à 20 % ».

Simplification des démarches

À l'image des expérimentations sur les voitures autonomes qui vont enfin pouvoir prendre leur envol, « nous avons besoin d'améliorer notre rapidité dans les délais, les autorisations en matière d'expérimentation » constate le président. « Le temps aujourd'hui nécessaire pour tester une innovation en France, qu'il s'agisse d'un algorithme ou d'un médicament, n'est pas toujours et tout à fait celui d'une économie de l'innovation » ajoute-t-il.

Il veut donc « introduire par amendement dans la loi Pacte des modifications législatives autorisant les expérimentations les plus significatives ». Une annonce allant dans le sens du rapport de Villani affirmant qu'il « faut relâcher la pression administrative », mais sans entrer dans les détails.

Sur la question des données, le premier et gros chapitre du rapport sur l'intelligence artificielle, le président veut « une ouverture pro-active » des données publiques et affirme qu'« il faut maintenant passer aux travaux pratiques ». Cela concerne toutes les données financées sur des deniers publics (transports, santé, etc.), et le gouvernement soutiendra également « toutes les initiatives privées d'ouverture ».

Comme nous l'avons expliqué, ce discours est néanmoins en décalage complet avec la situation sur certains dossiers comme Parcoursup, l'Open Data par défaut, etc.

1,5 milliard d'euros pour l'IA, 800 millions pour la nano-électronique

Maintenant que les bases sont posées (amélioration de la recherche et de la formation, ouverture des données, simplification administrative), il est temps de passer à la question du financement. Lors de son discours, Emmanuel Marcon reprend la déclaration de Bruno Le Maire et indique que « l'intelligence artificielle sera le premier champ d'application du fonds pour l'innovation et l'industrie de 10 milliards d'euros ».

Il donne également des informations supplémentaires :

« Nous isolerons dès les prochains mois 100 millions d'euros destinés à l'amorçage et la croissance de nos start-ups en intelligence artificielle. Plus globalement, il consacrera 70 millions d'euros par an, via la banque publique d'investissement, à l'émergence de start-up dites "deep technologie" dans notre pays.

Les financements du programme d'investissement d'avenir, à hauteur de 400 millions d'euros seront consacrés au financement des défis d'innovation, à la fois en amont et aval, ou à des projets industriels dédiés à l'intelligence artificielle.

Au total, ce sera un effort dédié d'un milliard et demi d'euros entrainant directement plus de 500 millions d'euros d'investissements privés supplémentaires. »

Impossible par contre de savoir si ce montant est en adéquation avec les prévisions du rapport de Cédric Villani puisque ce dernier ne mentionne – volontairement – aucun chiffre.

Emmanuel Macron ajoute une enveloppe de « près de 800 millions d'euros que l'État investira d'ici 2024 dans la nano-électronique », là encore on repassera pour les détails. Pour rappel, ce domaine occupe une part importante dans le rapport de Cédric Villani, notamment pour réduire la consommation électrique de l'intelligence artificielle.

Ne pas « confier le monopole de la décision » à une intelligence artificielle

Enfin, dernier point évoqué par le président de la République : les enjeux éthiques et politiques. Le discours est exactement dans la lignée du rapport de Cédric Villani :

« Il nous faudra mettre à la fois de la transparence et de la loyauté dans le système. La clé est de mettre partout de la transparence publique sur les algorithmes.

Rendre les algorithmes publics, s'assurer qu'ils sont utilisés en transparence, traquer leurs biais, ne pas leur confier le monopole de la décision, s'engager à les enrichir ou les compléter par la décision humaine, c'est tout cela que nous devons faire dans les prochains mois et prochaines années ».

De plus, le gouvernement veut lancer une « réflexion sur le contrôle et la certification des algorithmes », au niveau européen et mondial. L'idée d'un « GIEC [NDLR : Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat] de l'intelligence artificielle » est lâchée. Cette entité internationale pourrait « mesurer, organiser le débat collectif et démocratique sur les évolutions scientifiques de manière totalement autonome et indépendante ». « Une formation à l'éthique du numérique » est également évoquée. Des points mis en avant par la mission du député.

Certains points passés sous silence

Finalement, Emmanuel Macron reprend une bonne partie des recommandations du rapport de Cédric Villani, mais pas toutes... et loin s'en faut. Aux abonnés absents, nous avons par exemple l'augmentation des salaires des jeunes chercheurs, la mise en place d'un supercalculateur dédié, l'impact de l'intelligence artificielle sur les emplois, la complémentarité humain/machine, etc.

D'autres sont (trop) rapidement évoqués. C'est le cas du domaine de la défense-sécurité, de la nécessaire transition écologique pour réduire l'empreinte et la consommation des systèmes d'intelligence artificielle, de l'augmentation de la diversité sociale dans l'intelligence artificielle, etc.

L'ensemble de la journée dédiée à l'intelligence artificielle est disponible dans la vidéo ci-dessous. Elle dure plus de 8h30, commence par des tables rondes avec différents intérevants et se termine par le discours d'Emmanuel Macron (à partir de 7h28) :

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