Les plateformes de type Airbnb, Uber ou BlaBlaCar sont prévenues – de même que leurs utilisateurs. Au travers du projet de loi de lutte contre la fraude, le gouvernement prépare la mise en œuvre de la déclaration automatisée des revenus au fisc, qui s’appliquera aux sommes perçues à partir de 2019. Des sanctions sont désormais prévues.
« La situation est kafkaïenne », avait lâché le député Joël Giraud (LREM), rapporteur du projet de loi de finances, le 10 octobre dernier. « Contrairement aux banques et aux employeurs qui transmettent automatiquement les informations à l’administration fiscale », les plateformes « ne sont pas obligées de vérifier l’identité du bénéficiaire des revenus », s’était expliqué le parlementaire. Résultat ? « Si seul un pseudonyme est transmis à l’administration fiscale, il ne sera pas facile d’identifier les bénéficiaires des revenus. »
Si l’Assemblée a finalement refusé d’avancer d’un an la réforme introduite sous la précédente, comme le souhaitait notamment Éric Woerth (LR), elle n’a en revanche pas modifié ses imperfections rédactionnelles. Au travers du projet de loi de lutte contre la fraude, présenté hier en Conseil des ministres, le gouvernement s’apprête toutefois à corriger celles-ci.
Réécriture des dispositions visant les plateformes
L’article 4 du texte porté par Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des comptes publics, vise ainsi à préciser, au sein d’un seul et même article du Code général des impôts, « les obligations fiscales et sociales imposées aux plateformes d’économies collaboratives (obligation d’information des utilisateurs depuis 2017, et de déclaration à l’administration des revenus réalisés par ces derniers à compter de 2019) ».
Son spectre est relativement large, puisqu’il s’applique à toutes les plateformes qui « mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service ». Et ce « quel que soit leur lieu d’établissement ». Airbnb, Uber, BlaBlaCar, eBay ou Priceminister devraient ainsi être concernées, à titre d’exemple.
Afin d’éviter certaines « imprécisions », dixit l’étude d’impact du gouvernement, le projet de loi Darmanin impose aux plateformes d’adresser à l’administration fiscale un document récapitulant :
- Les « éléments d'identification » de l'opérateur de la plateforme concerné
- Les « éléments d'identification » de l'utilisateur
- Le statut de particulier ou de professionnel (tel qu’ « indiqué par l'utilisateur »)
- Le « nombre et le montant total brut des transactions réalisées par l'utilisateur au cours de l'année civile précédente et dont l'opérateur a connaissance »
- Les coordonnées du compte bancaire sur lequel les revenus sont versés (uniquement si celles-ci « sont connues de l'opérateur »)
Ces informations devront être transmises à Bercy (mais aussi aux utilisateurs concernés) « au plus tard le 31 janvier de chaque année ». Cela signifie que les premières déclarations automatisées seront envoyées début 2020, pour les transactions relevant de l’année 2019.
Avec ces données, la Direction générale des finances publiques (DGFiP) pourra pré-remplir les déclarations de revenus des utilisateurs identifiés. L’objectif est bien entendu que toutes les sommes perçues au travers des plateformes soient imposées – si elles ont à l’être, ce qui n’est pas forcément le cas.
Si l’exécutif espère ainsi « fiscaliser des revenus dont certains sont aujourd’hui soustraits à l'impôt », son étude d’impact affirme que ces recettes supplémentaires « sont non chiffrables ». La réforme ne sera en tout cas pas indolore pour le Trésor public, puisque Bercy prévoit d'y consacrer au moins 220 000 euros (voir ci-dessous).
Il est au passage précisé que le dispositif s’appliquera aussi bien aux internautes qui résident sur le territoire national qu’à ceux « qui réalisent des ventes ou des prestations de service en France ».
Faire face au risque d'inexploitabilité des données
Mais quelles différences y a-t-il par rapport aux dispositions que le gouvernement souhaite remplacer ?
Pour identifier chaque utilisateur, la loi de finances rectificatives pour 2016 demandait aux intermédiaires de communiquer au fisc des détails sur l’état civil de leurs utilisateurs (nom, prénom et date de naissance). Or, « dans les faits, les plateformes exigent rarement [ces] données] », explique le gouvernement.
En renvoyant à un arrêté des ministres chargés du budget et de la sécurité sociale le soin de déterminer les « éléments d'identification » des internautes, l’exécutif choisira de lui-même les informations entrant dans ce périmètre. Autre avantage : cette liste pourra être modifiée bien plus facilement que la loi.
« Afin d'assurer l'identification des contribuables, les référentiels de la Direction générale des finances publiques doivent être alimentés d'informations incontournables et fiables », prévient d’autre part le gouvernement. Contrairement au dispositif prévu initialement, le projet de loi Darmanin prévoit ainsi une transmission des coordonnées bancaires des internautes (à condition que celles-ci soient « connues » de la plateforme).
S’il est impossible de savoir pour l’heure ce que contiendra le futur arrêté du gouvernement, l’étude d’impact indique qu’il pourrait même imposer la divulgation du « numéro fiscal des contribuables ». Ce qui faciliterait alors grandement l’automatisation du processus...
Autre différence notable : les dispositions présentées par le gouvernement offrent une échappatoire aux plateformes n’ayant pas « connaissance » de certaines informations. Cela prévaudra pour les coordonnées bancaires, mais aussi – et surtout – pour les données relatives au nombre et au montant des transactions réalisées par l’internaute. Cette sorte de dispense pourrait ainsi soulager Leboncoin.
Des sanctions pouvant atteindre 5 % des sommes non déclarées
« Pour être respectée et pour ne pas créer de distorsion avec les entreprises dites de l'économie réelle, l'obligation déclarative doit être assortie d'une pénalité », se justifie ensuite l'exécutif. Afin d’inciter les plateformes à transmettre à l'administration fiscale « des informations complètes et sincères dans les délais prévus par la loi », le projet de loi Darmanin prévoit l'application d'une amende égale à 5 % des sommes non déclarées.
En cas de défaut d’information des utilisateurs quant à leurs obligations fiscales et sociales (dispositif d’ores et déjà en vigueur), Bercy mise sur l’introduction d’une amende forfaitaire globale pouvant atteindre 50 000 euros. Celle-ci sera pourra être prononcée uniquement suite à un contrôle administratif.
Enfin, il est à noter que le Conseil d’État a prévenu le gouvernement que ces dispositions, si elles étaient validées par le Parlement, devraient faire l’objet d’une notification auprès de la Commission européenne. L’institution fait valoir que cette formalité pourra être effectuée lors de la rédaction de l’arrêté prévu par le projet de loi, mais qu’il ne faudra pas traîner : un délai dit de « statu quo » de trois mois minimum empêche au texte concerné d'entrer en application.