Think 2018 : comment IBM voit l'avenir de l'informatique dans cinq ans

Cryptographie, quantique et IA, tout y passe
Tech 13 min
Think 2018 : comment IBM voit l'avenir de l'informatique dans cinq ans
Crédits : xijian/iStock

Comment sera l'informatique dans cinq ans ? Bien malin celui pouvant le prédire. IBM avance tout de même cinq pistes étudiées par ses chercheurs  : minuscules « ancres cryptographiques », chiffrement et ordinateurs à l'ère post-quantique, intelligence artificielle débarrassée de ses biais et au service de la qualité de l'eau.

IBM organisait cette semaine sa convention annuelle Think à Las Vegas. L'occasion pour ses équipes de recherche de présenter leurs nouveautés et autres travaux en cours, notamment lors de la conférence 5 in 5 où sont dévoilées « cinq innovations qui aideront à changer nos vies dans les cinq ans ».

Une version maison du 4FYN – « four years from now », ou quatre ans à partir de maintenant – du MWC de Barcelone, où sont regroupées chaque année de nombreuses startups. Ici, il ne s'agit que de prédictions, pas de certitudes ou d'annonces officielles de la part d'IBM ; les plans peuvent donc changer.

Commençons par des systèmes permettant de vérifier l'authenticité d'un produit, avant de passer au chiffrement des données, puis à l'informatique quantique, l'intelligence artificielle et enfin le machine learning.

Des « ancres cryptographiques », un ordinateur plus petit qu'un grain de sel

Première prédiction : les « ancres cryptographiques ». Il s'agit « d'empreintes numériques inviolables que les chercheurs d'IBM sont en train d'élaborer pour les intégrer dans des produits ou des parties de produits et les lier à la blockchain ». Elles permettent ainsi de s'assurer de l'authenticité et de la provenance d'un produit et peuvent prendre de nombreuses formes afin de s'adapter à toutes les situations, explique la société.

Une des pistes étudiées par les chercheurs est de l'encre magnétique comestible servant à « marquer » une pilule contre le paludisme par exemple. Lorsqu'elle arrive jusqu'au malade, « par le simple scan d'un smartphone, un médecin ou un patient peut immédiatement vérifier que son médicament est sûr et authentique ».

Il est aussi question du dispositif en plastique de test sanguin pour le dépistage du paludisme : il pourrait être « gravé avec un code optique inaltérable » afin de s'assurer de son authenticité. IBM explique que ce test est contrefait par millions en Afrique, avec tous les risques que cela comporte.

IBM ancres cryptographiquesIBM ancres cryptographiques

En plus du domaine médical, les chercheurs pensent également pouvoir certifier du vin ou des métaux précieux sur lesquels il n'est pas possible d'installer un tel dispositif. Pour ces cas de figure, la société annonce également « une crypto-ancre disponible dès aujourd'hui ».

« Cette approche combine un capteur mobile ou un téléphone portable équipé d'un dispositif optique spécial et des algorithmes d’intelligence artificielle pour apprendre et identifier la structure optique et chacune des caractéristiques à partir d'une étiquette en papier – et cela prend autant de temps que de faire un selfie. Il peut également identifier la présence de séquences d'ADN en quelques minutes » explique la société, malheureusement sans donner de détails supplémentaires. 

Les ancres cryptographiques devraient donc arriver dans moins de cinq ans. La société semble optimiste et table plutôt sur une disponibilité dans les 18 prochains mois.

« Le plus petit ordinateur au monde » de 1 mm² seulement

« Certaines ancres cryptographiques feront plus qu'authentifier des biens physiques » ajoutent les chercheurs. Ils présentent ainsi « le plus petit ordinateur au monde [...] Il est plus petit qu'un grain de sel et coûtera moins de dix centimes à fabriquer ».

Il sera notamment capable de « surveiller, analyser, agir et même communiquer des données ». Sa puissance de calcul n'est pas précisée, mais il ne faudra évidemment pas s'attendre à des miracles. Selon IBM, elle devrait être au niveau d'une machine des années 90. Ce micro-ordinateur est conçu sur un substrat de silicium de 1 mm² seulement, comprenant pas moins d'un million de transistors, dont plusieurs centaines de milliers rien que pour le processeur.

Le tout est accompagné de mémoire SRAM (Static Random Access Memory) en quantité non précisée, de diodes pour émettre des signaux lumineux, d'un photo-détecteur et de cellules photovoltaïques. Grâce à ces dernières, un tel ordinateur pourrait fonctionner de manière totalement autonome. 

IBM micro-ordinateurIBM micro-ordinateur
Sur l'image de droite, il faut zoomer pour voir deux micro-ordinateurs sur la plaque de plusieurs dizaines de cartes mères.

Cryptographie, réseaux euclidiens et chiffrement homomorphe

Deuxième axe de développement mis en avant par les chercheurs : la cybersécurité. « L'ampleur et la sophistication des cyberattaques augmentent chaque année, comme les enjeux ». Le montant des préjudices estimé pour 2021 serait de 6 000 milliards de dollars selon IBM, excusez du peu.

« Dans cinq ans, de nouvelles méthodes d'attaques rendront les mesures de sécurité actuelles terriblement inadaptées » ajoute la société, appuyant au passage sur la corde anxiogène. En creux, l'augmentation de la puissance de calcul et l'arrivée des ordinateurs quantiques. « Dans plusieurs années, un ordinateur quantique universel, tolérant aux pannes, avec des millions de qubits, pourrait rapidement passer au crible les probabilités et décrypter même le chiffrement courant le plus puissant » prédit IBM... avant de présenter sa solution pour contourner ce problème.

Durant l'événement Think, Cecilia Boschini a ainsi présenté une nouvelle méthode pour sécuriser les données en se basant sur la « cryptographie par réseaux euclidiens [NDLR : lattice cryptography dans la langue de Shakespeare] en cachant des données à l'intérieur de structures algébriques complexes ».

Notez que dans certains cas, le terme « treillis » est utilisé à la place de « réseau euclidien », qui n'a rien à voir avec un réseau au sens informatique du terme. Dans le cas présent, il s'agit simplement d'un ensemble de points arrangés de façon régulière sur n dimensions.

Pour faire simple, IBM se base sur le problème du vecteur le plus court consistant à trouver le point dans le réseau le plus proche de l'origine. Simple en théorie, bien plus compliqué en pratique lorsque le nombre de dimensions augmente. De plus amples informations sur les réseaux euclidiens sont disponibles par ici pour approfondir la question.

En plus de pouvoir résister à l'arrivée des ordinateurs quantiques, y compris une machine universelle avec des milliers de qubits, la cryptographie basée sur des réseaux telle que présentée par IBM dispose d'un avantage de taille : elle est homomorphe. Cette particularité permet d'effectuer des opérations sur des données chiffrées sans avoir besoin de les déchiffrer auparavant. Un point très intéressant pour la confidentialité (voir notre précédent dossier).

IBM donne quelques exemples pratiques, comme la santé : des médecins pourraient partager des dossiers médicaux avec des tiers à des fins d'analyses, sans jamais avoir accès aux données déchiffrées. De même pour des organismes de crédit donnant « un score » à un dossier sans pour autant en connaitre le moindre détail.

Jusqu'à présent, le FHE (Fully Homomorphic Encryption) était « trop lent et coûteux pour être utilisé largement » affirme les chercheurs, mais les « techniques d'optimisation algorithmique et d'accélération matérielle ont réduit le temps et les coûts d'utilisation du FHE de plusieurs ordres de grandeur. Les calculs qui auraient requis des années peuvent désormais être effectués en quelques heures, voire minutes ».

Les scientifiques d'IBM ont soumis leurs techniques de chiffrement post-quantique au NIST (National Institute of Standards and Technology) en décembre dernier afin d'en faire une norme, sans que l'on sache ce qu'il en est. IBM se contente donc de rappeler une nouvelle fois que ses équipes planchent sur le sujet, mais sans détails supplémentaires pour le moment. 

Mais malgré les annonces récentes, les ordinateurs quantiques capables de mettre à genoux la cryptographie actuelle ne sont pas encore là et ne devraient pas arriver avant au moins plusieurs années... même si leur cas est évoqué durant la conférence « 5 in 5 ».

Dans cinq ans, l'informatique quantique sera entrée dans les mœurs

En effet, l'une des prédictions d'IBM concerne la démocratisation – dans une certaine mesure – de l'informatique quantique : « Dans cinq ans, l'industrie aura découvert les premières applications pour lesquelles un ordinateur quantique (utilisé aux côtés d’un ordinateur classique) offrira un avantage dans la résolution de problèmes spécifiques ».

Si c'est encore loin d'être le cas aujourd'hui, des solutions hybrides existent néanmoins avec les machines de D-Wave. Elles utilisent le « recuit simulé quantique » capable de donner de très bons résultats sur un domaine précis : l'optimisation de fonction. 

Dans les récentes annonces d'IBM, il était question de processeur avec 16 ou 17 qubits (des bits quantiques). Cette année, Intel a passé la seconde avec 72 qubits, mais il n'était pas encore question de suprématie quantique, le point où un ordinateur quantique dépasse les capacités d'un ordinateur classique. C'est néanmoins l'objectif des constructeurs.

Selon les prédictions d'IBM, l'informatique quantique sera profondément ancrée dans les universités, voire les lycées, et sera même « un pré-requis pour les programmes de sciences et d'ingénierie dans le monde entier [...] Aucun étudiant ne sera diplômé sans avoir été exposé à un enseignement consacré au quantique ». 

En attendant, vous pouvez toujours vous entrainer sur le programme IBM Q permettant à tout le monde de « s'amuser » sur un ordinateur quantique.

La société ne donne là encore pas beaucoup plus de détails, mais estime que « le grand public va embrasser cette nouvelle ère [...] Les concepts et le vocabulaire associés à l'informatique quantique ne seront plus vagues ou incompris, mais feront plutôt partie du vocabulaire courant. [...] Tout le monde saura ce qu'est un qubit - ou sera familiarisé avec l'idée ». On demande quand même à voir...

IBM Q

L'intelligence artificielle au service de la qualité de l'eau

Toujours à une échéance de cinq ans maximum, IBM pense déployer dans le monde de petits microscopes autonomes qui « surveilleront en permanence l'état de la ressource naturelle la plus critique pour notre survie : l'eau ». Pour mesurer l'évolution du niveau de pollution, les chercheurs se concentrent sur le plancton, présentés comme étant des « capteurs biologiques naturels de la santé aquatique ».

De plus, le plancton est à la base de la chaine alimentaire aquatique. Les poissons sont à leur tour consommés par l'Homme, qui peut donc se retrouver infecté indirectement par le plancton. Jusqu'à présent, il fallait prélever des échantillons sur place pour les envoyer en laboratoire afin de les faire analyser, mais IBM veut faire des mesures in situ.

« Les résultats peuvent être utilisés pour mieux comprendre leur comportement, notamment la façon dont ils réagissent à n'importe quel changement de leur environnement, de la température au déversement de pétrole. Ils pourraient même être utilisés pour prédire des menaces envers notre approvisionnement en eau, comme les marées rouges » explique IBM.

Le microscope n'a pas de lentille et dispose simplement d'une puce d'imagerie comme celle des smartphones. Il s'en sert pour capturer l'ombre du plancton lorsqu'il nage « sur la puce ». Une intelligence artificielle spécialement entrainée se chargera alors d'analyser les données localement afin de détecter une éventuelle pollution ou un changement dans l'écosystème aquatique, et surtout le signaler en temps réel.

IBM plancton

« Seule l'IA impartiale survivra »

Enfin, la dernière prédiction concerne également l'intelligence artificielle, mais au sens large du terme. Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'expliquer à de nombreuses reprises, une IA a besoin de beaucoup de données pour s'entrainer. Problème, cette phase d'apprentissage peut occasionner des biais en fonction des jeux de données utilisés. 

Dans un rapport sur les risques de l'intelligence artificielle (lire notre analyse), le Comité économique et social européen pointait du doigt ce point : 

« Le développement de l’IA se déroule dans un environnement homogène, composé principalement de jeunes hommes blancs, ce qui contribue à ancrer (sciemment ou non) les disparités culturelles et de genre dans l’IA, notamment du fait que les systèmes d’IA apprennent sur la base de données de formation. Il importe que celles-ci soient correctes, mais également de qualité, diversifiées, suffisamment approfondies et objectives.

On croit généralement que les données sont objectives par définition, mais il s’agit là d’une erreur. Elles sont faciles à manipuler et peuvent être tendancieuses, influencées par des préférences et préjugés culturels, de genre ou autres, ou encore être erronées. »

La CNIL aussi s'était penchée sur le sujet (notre analyse de son épais rapport) avec l'exemple pratique d'un cas de 2015 : « un logiciel de reconnaissance faciale de Google a ainsi suscité une forte polémique. Un jeune couple d’Afro-Américains s’est rendu compte qu’une de ses photos avait été étiquetée sous le tag "gorille" ».

L'intelligence artificielle n'était pas raciste, mais son entrainement s'était probablement déroulé avec des photos de personnes blanches : « En conséquence, l’algorithme a considéré qu’une personne de couleur noire présentait plus de similitudes avec l’objet "gorille", qu’elle avait été entrainée à reconnaitre, qu’avec l’objet "humain" ». Les exemples comme celui-ci sont nombreux.

Ce phénomène devrait s'amplifier au cours des prochaines années selon IBM. L'objectif des chercheurs est donc de « construire des machines qui appliquent des valeurs et principes humains dans la prise de décision ». Ils ont ainsi développé une méthodologie permettant de réduire les biais présents dans un ensemble de données d'apprentissage. Là encore, on repassera pour les détails techniques.

Intelligence artificielle
Crédits : VLADGRIN/iStock/Thinkstock

Pour y arriver, les chercheurs, en collaboration avec le MIT, mettent au point des algorithmes pour « comprendre les valeurs humaines et les définir en termes d'ingénierie ». Ils planchent également sur « un système d'évaluation qui classe l'équité relative d'une intelligence artificielle ».

Le niveau de partialité d'un système pourrait ainsi être quantifié. Si les intelligences artificielles actuelles ne sont pas exemptes de biais, les plus avancées pourraient l'être dans les cinq prochaines années selon IBM, visiblement optimiste sur le calendrier.

Toujours selon les chercheurs, à terme, « seule l'IA impartiale survivra »... encore faudrait-il qu'elle existe réellement.

Watson et le machine learning à l'honneur

Think 2018 ne se résume pas uniquement à la conférence « 5 in 5 ». IBM a effectué également de nombreuses annonces sur ses sujets de prédilection. Par exemple, l'ouverture de l'assistant numérique Watson, déjà évoqué dans notre #Brief.

Il est ainsi proposé en marque blanche à ses partenaires afin qu'ils puissent créer leur propre assistant numérique et l'intégrer dans la maison, la voiture, etc. Les différentes instances de Watson sont indépendantes : les données de l'une ne sont pas accessibles aux autres, ni même à IBM. Un argument qui pourrait séduire face à Google et Amazon

Dans le domaine du machine learning, la société vante la puissance de calcul de son serveur Power System AC922. Il intègre un processeur POWER9 maison avec des Tesla V100 de NVIDIA. Le fabricant annonce jusqu'à « 5,6x plus de bande passante E-S que les serveurs x86 ». 

IBM Power 9

Avec la bibliothèque SNAP Machine Learning développée pendant deux ans par IBM, les résultats avancés semblent impressionnants : traiter plus de 4 milliards d'exemples ne prendrait que 91 secondes sur la machine IBM, contre 70 minutes sur TensorFlow (via Google Cloud). Des données fournies par IBM à prendre avec des pincettes, en attendant des tests indépendants.

Plus de puissance et de sécurité pour IBM Cloud

L'entreprise explique enfin que des serveurs POWER9 seront prochainement proposés via IBM Cloud. La sécurité est également mise en avant : « Désormais, les développeurs et les clients peuvent créer, déployer et héberger des applications avec une protection renforcée qui chiffre les informations en mémoire, lors des transferts et au repos ».

Bref, IBM mise beaucoup sur l'intelligence artificielle et le cloud pour se développer cette année, comme bon nombre de ses concurrents. Rendez-vous dans cinq ans pour vérifier si ses prédictions étaient justes ou non.

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