Annoncée début janvier, l’expérimentation à Nice de l’application Reporty a été pilonnée de critiques par la CNIL. La ville a finalement décidé d’y mettre un terme, non sans un communiqué cinglant de Christian Estrosi.
L’application, conçue par la start-up de l’ancien premier ministre israélien Ehoud Barak, permet à quiconque de dénoncer des faits, infractions, incivilité en les filmant sur son smartphone puis en entrant en contact directement avec le CSU, le centre de supervision urbaine et donc les policiers municipaux.
« Chacun d’entre nous doit devenir un citoyen engagé acteur de sa propre sécurité, et donc de la sécurité collective » s’était enchanté Christian Estrosi lors du lancement.
La solution géolocalisée a été testée auprès de 2 000 volontaires dans une ville qui compte près de 27 caméras de surveillance au kilomètre carré.
Une atteinte au respect de la vie privée selon un collectif
Elle avait fait sursauter un collectif qui épinglait un palier supplémentaire dans le « tout sécuritaire » : « La surveillance de tous contre tous est érigée en règle de vie. Quiconque voudra régler des comptes personnels, nuire à un voisin ou une voisine, pourra utiliser « Reporty » pour cela. Cela va trop loin. Une ville où la délation est érigée en système, où les pouvoirs publics incitent à la défiance, ne peut retrouver le chemin du vivre ensemble ».
Les signataires (la LDH section Nice, le PCF Section Nice, le MRAP, le Syndicat des Avocats de France section de Nice, etc.) doutaient, comme la Quadrature du Net, de sa légalité notamment au regard de la loi CNIL : « Lors de la pose des caméras de vidéo surveillance, la ville de Nice s’était engagée auprès de la CNIL à respecter les obligations réglementaires (article L 251-3 du Code de la Sécurité Intérieure), c'est-à-dire à ce que les opérations de vidéoprotection ne permettent pas de filmer l’intérieur des maisons et la vie privée des citoyens et citoyennes. Avec Reporty, il sera possible de le faire et d’adresser une image instantanément "visionnable" aux policiers de permanence. Cela porte manifestement atteinte à la liberté fondamentale qu’est le respect de la vie privée ».
Une application sans base légale et disproportionnée
Deux mois plus tard, la commission a examiné Reporty en séance plénière. Dans un communiqué publié hier en fin de journée, elle a tenu a rappeler quelques fondamentaux avant de suggérer à Christian Estrosi de cesser cette expérimentation.
D’une part, l’application « s’inscrit en effet difficilement dans le cadre légal actuel de la videoprotection fixé par le CSI (code de la sécurité intérieure) sur la voie publique, du fait notamment de l’intégration de terminaux mobiles des particuliers dans un dispositif public, sous la responsabilité de la police ». En somme, Reporty ne trouve pas de base légale et est donc de facto considérée comme indélicatesse.
D’autre part, le système est disproportionné à ses yeux. Dans la mise en balance entre sécurité et vie privée, Reporty est un aspirateur à données comme l’image et la voix de tiers. Son champ est très vaste, « allant d’incivilités jusqu’à des infractions délictuelles et criminelles graves » et les garanties jugées insuffisantes. Enfin, le dispositif est « susceptible de faire courir des risques réels pour les personnes dénonçant les incivilités ou la "situation critique" dont elles sont témoins ou victimes, de nature à porter atteinte à leur sécurité ».
La colère d'Estrosi à l'encontre de la CNIL
Alors qu’elle s’apprête à lui adresser un courrier, Christian Estrosi a publié lui aussi un communiqué sur Twitter où il dénonce une CNIL qui « s’oppose aux initiatives prises en matière de sécurité en brandissant la protection des libertés individuelles comme étendard, sans s’intéresser à ceux qui subissent chaque jour des agressions sur leurs propres libertés ».
Avec sa légèreté légendaire, l’ex-motard estime que ce sont « les terroristes et ceux qui veulent porter atteinte à notre démocratie qui bénéficient de cette décision ». Et celui-ci de dégommer une CNIL « enfermée dans une époque où les smartphones et les réseaux sociaux n’existaient pas ». Il lui reproche au passage de rester bien silencieuse « face aux déferlements d’informations, de fake news et d’images ou de vidéo diffusés chaque jour, sans contrôle, sur ces supports ».
Il n’a pas tort. On trouve même sur ces réseaux sociaux des hommes politiques qui racontent n’importe quoi faute d’avoir pris le temps de découvrir le champ d’application de la loi de 1978.