Le gouvernement s’oppose à ce que toutes les décisions individuelles ne comportant pas de « mention explicite » relative à la transparence des algorithmes publics soient systématiquement considérées comme nulles. Il souhaite également maintenir la « brèche » entrouverte pour Parcoursup. Le Sénat pourrait toutefois en décider autrement.
Afin « d’inciter l’administration à se conformer à la loi [Numérique de 2016] », la commission des lois du Sénat a adopté, mercredi 14 mars, un amendement en vertu duquel l'absence de « mention explicite » relative à la transparence des algorithmes publics provoquerait la « nullité » automatique de la décision en question. Pas moins !
Taxe d’habitation, impôts sur le revenu, allocations familiales, chômage... Depuis le 1er septembre 2017, les administrations sont en effet tenues d’avertir les usagers dès lors qu’un « traitement algorithmique » est venu s’immiscer dans une décision les concernant. Cette fameuse « mention explicite » doit surtout permettre aux citoyens d’apprendre qu’ils peuvent demander à connaître les « règles » définissant ce programme informatique, « ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre », au regard de leur situation individuelle.
Problème : impossible à ce jour de trouver la moindre « mention explicite » dans les décisions notifiées par les impôts, Pôle emploi ou les Allocations familiales. « Il semble en effet que de nombreuses administrations rechignent à appliquer cette disposition légale », souligne ainsi Sophie Joissains, rapporteure du projet de loi « RGPD » pour le Sénat.
Des décisions d’ores et déjà entachées d’irrégularité ?
L’élue va même plus loin : « Compte tenu de la jurisprudence Danthony du Conseil d'État, il est vraisemblable que l'omission de cette formalité, en ce qu'elle prive les intéressés d'une garantie, serait jugée entacher l'acte d'illégalité ». La facture pourrait alors être salée pour le Trésor public, notamment si les Français venaient contester leur taxe d’habitation par exemple...
Afin de « lever le doute sur ce point », Sophie Joissains a donc fait adopter un amendement pour que l’absence de « mention explicite » soit une cause systématique de « nullité » de la décision correspondante.
Une réforme disproportionnée, selon le gouvernement
L’exécutif ne l’entend toutefois pas de cette oreille. « Si le gouvernement partage pleinement l’objectif de faire appliquer l’article L. 311-3-1 du Code des relations entre le public et l’administration [qui impose cette mention explicite, ndlr], il n’est pas favorable à ce que l’absence de mention dans la décision conduise immédiatement à la nullité de cette dernière, ce qui serait disproportionné », fait-il valoir au travers d’un amendement de suppression des dispositions votées en commission.
Le gouvernement ajoute que la nullité des actes en question devrait être laissée à « l’appréciation du juge ». Il soutient enfin « qu’il n’existe pas de précédent de ce type, en matière d’obligations d’éditique ».
Les débats sur ce dossier conduiront les sénateurs à examiner un autre amendement, soutenu par le groupe PS. L’idée : que les « règles » et « principales caractéristiques » de mise en œuvre des algorithmes publics soient directement communiquées aux citoyens (et non plus sur demande). « L’objectif principal est d’assurer l’information des administrés qui sans devoir en faire la demande, se verront communiquer le degré et le mode de contribution du traitement algorithmique à la prise de décision, les données traitées et leurs sources, les paramètres de traitement et, éventuellement, leur pondération, appliqués à la situation de l'intéressé ainsi que les opérations effectuées par le traitement. »
Un amendement identique avait été – vainement – défendu à l’Assemblée nationale, toujours à l’initiative des socialistes. Les débats autour de cette proposition avaient d’ailleurs conduit Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État au Numérique, à une surprenante sortie de route sur ce dossier.
L'exécutif veut maintenir la brèche ouverte pour Parcoursup
L’amendement voté la semaine dernière en commission est d’autre part venu colmater la brèche ouverte début février par le législateur à l’occasion du projet de loi sur Parcoursup – lequel a été promulgué le 8 mars dernier. Pour mémoire, le gouvernement a fait adopter en toute fin de navette parlementaire des dispositions introduisant une sorte de dérogation à la loi Numérique, et ce au profit de la plateforme succédant à Admission Post-Bac (voir nos explications détaillées).
« Si des décisions d'acceptation ou de refus de candidats sont prises par les établissements sur le fondement de traitements automatisés, ces établissements ne seront ni dans l'obligation de faire figurer une mention explicite en ce sens sur le texte de la décision », ni « de communiquer à l'intéressé, à sa demande, les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre », déplore Sophie Joissains.
« Cette exception n'a pas lieu d'être », insiste la sénatrice dans son rapport. Alors que le gouvernement avait justifié son amendement par la « nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques », la rapporteure affirme qu’il n'y a « aucune raison de protéger le secret de délibérations inexistantes... Si la décision d'accepter ou non un candidat est prise sur le fondement de règles générales transcrites en un programme informatique, l'intéressé a le droit de savoir lesquelles. »

« Le gouvernement ne partage pas cette position », rétorque toutefois l’exécutif au travers d’un amendement visant au maintien de la loi sur Parcoursup. Celui-ci soutient que les dispositions litigieuses visent à « instaurer un équilibre entre l’existence d’une délibération des équipes pédagogiques qui ne se confond pas avec le recours à un traitement automatisé local et la protection du secret de leurs délibérations ».
Le gouvernement explique que les établissements de l’enseignement supérieur pourront parfois sélectionner des bacheliers à partir de délibérations (ne relevant donc pas d’algorithmes). La suppression votée en commission « fragiliserait le rôle de la délibération des équipes pédagogiques », prévient ainsi l’exécutif.
Les débats en séance publique doivent débuter en fin d’après-midi. Ils se poursuivront au besoin jusqu’à demain.