Afin de lutter contre les conflits d’intérêts, le Sénat s’apprête à mettre en place son registre numérique de déports (comme le prévoyaient les « lois Confiance » de 2017). Plus surprenant : Haute assemblée devrait d’autre part publier des listes correspondant aux cadeaux, dons et avantages perçus par ses élus.
Saura-t-on bientôt en quelques clics si un sénateur s’est vu offrir une montre de luxe, un repas dans un prestigieux restaurant ou l’intégrale de Derrick en DVD ? C’est en tout cas ce qui se dessine au travers d’une proposition de résolution déposée hier par le président du Sénat, Gérard Larcher.
Déclaration obligatoire des cadeaux, dons et avantages de plus de 150 €
Au-delà d’un certain montant (actuellement fixé à 150 euros), les élus du Palais du Luxembourg sont actuellement tenus de déclarer « les invitations à des déplacements financés par des organismes extérieurs au Sénat qu'ils ont acceptées, ainsi que les cadeaux, dons et avantages en nature qu'ils ont reçus ».
Si le texte porté par Gérard Larcher était voté en l’état, les sénateurs auraient l’obligation de signaler ces éléments « dès leur réception ou leur remise », et non plus sous trente jours, comme aujourd’hui. Surtout, le Bureau du Sénat devrait « rend[re] publiques » ces informations.
« Dans un souci de transparence, la liste des déplacements de sénateurs financés par des organismes extérieurs figure déjà sur le site Internet du Sénat, explique le président de la Haute assemblée. Il est proposé de publier de même la liste des cadeaux, dons et avantages déclarés. »
Le dispositif souffre cependant de plusieurs angles morts. D’une part, il est question de la publication de « listes », sans plus de détail. Or la transparence autour des déplacements des sénateurs est aujourd’hui bien relative : on ne sait pas par exemple qui a profité de ces invitations (voir l’extrait ci-dessous). Le tout est d’ailleurs uniquement diffusé sous forme de rapport, en PDF, ce qui complexifie toute tentative de réexploitation.

D’autre part, ne rentreraient dans ce dispositif que les invitations, cadeaux, dons et avantages dont la valeur « excède un montant fixé par le Bureau du Sénat ». Si ce seuil est aujourd’hui de 150 euros, rien ne dit qu’il n’augmentera pas prochainement... Dans ses propos introductifs, Gérard Larcher laisse d’ailleurs toutes les portes ouvertes, puisqu’il souligne que ce montant « pourrait être maintenu ».
Comme aujourd’hui, les « cadeaux d'usage » seraient enfin exclus du dispositif, de même que « les invitations à des manifestations culturelles ou sportives » (entre autres).
Et en cas de manquement de la part d’un sénateur ? Les déclarations ont vocation à être portées à la connaissance du Bureau du Sénat, lequel « resterait seul maître pour saisir le comité de déontologie parlementaire d'une situation personnelle de conflit d'intérêts qui ressortirait d'une de ces déclarations », explique Gérard Larcher.
Les contrevenants s’exposeraient à une « censure » (interdiction de prendre part aux travaux parlementaires), éventuellement assortie d’une exclusion temporaire de quinze jours. L’élu sanctionné verrait ses indemnités mécaniquement amputées.
Un registre en Open Data
Autre mesure prévue par la proposition de résolution : l’instauration d’un registre dit de déport, pour tous les sénateurs qui s’estimeraient en situation de conflit d’intérêts. Ce dispositif, destiné aux parlementaires qui jugeraient qu’ils ne sont pas capables de débattre en situation d’impartialité, était prévu par les récentes lois de moralisation de la vie politique.
Celles-ci imposent que le registre de chaque assemblée fasse l’objet d’une publication par voie électronique, « dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé » – conformément aux principes de l’Open Data. L’objectif : faciliter la réexploitation des informations en question, afin de procéder à des croisements, des comparaisons, etc.
Le texte de Gérard Larcher confie au Bureau du Sénat la tenue de ce « registre public des déports ». Ce dernier recensera, à partir de leurs déclarations, les sénateurs ayant décidé de ne pas prendre part à certains travaux de la Haute assemblée, « avec la mention des travaux concernés par cette décision ».
Pour des situations plus « intermédiaires », lorsqu'un sénateur estime « qu'il détient un intérêt ayant un lien avec ces travaux sans toutefois le placer dans une situation de conflit d'intérêts », l'intéressé pourra opter pour une simple « déclaration orale de cet intérêt » (lequel sera mentionné au compte rendu officiel des débats).
Le président du Sénat rappelle toutefois que le dispositif repose sur le volontariat : « Le choix de ne pas participer aux travaux du Parlement sur un sujet donné relève de la seule appréciation du parlementaire, excluant d'empêcher d'autorité un parlementaire de participer aux travaux ou de remettre en cause postérieurement la participation d'un sénateur en situation de conflit d'intérêts. »
Toutes ces modifications au Règlement du Sénat devraient bientôt être soumises à l’approbation des élus du Palais du Luxembourg. Quant à l'Assemblée, elle n'a pas encore fait d'annonce sur le sujet, contrairement au gouvernement, qui a déjà mis en place son registre de déports (voir notre article).