L’Adullact et l’Aful, deux associations de promotion du logiciel libre, viennent d’adresser une lettre ouverte à la ministre de la Culture pour « alerter les pouvoirs publics sur la place de la création libre dans l'écosystème national, au regard des futures dispositions législatives françaises et européennes. »
Le courrier, signé de Franck Macrez (Aful) et Frédéric Duflot (Adullact), par ailleurs représentants au sein du CSPLA, sont pour le moins agacés de voir les « défiances » qui s’abattent sur l’univers du logiciel libre.
Sous leur plume, ils épinglent « les missions du conseil supérieur de la propriété intellectuelle et artistique ou les articles juridiques qui cherchent à mesurer l’impact du libre sur le droit d’auteur ou la création ». À bien y regarder, l’approche revient à chaque fois à jauger les effets du libre sur « les équilibres économiques et les industries culturelles déjà en place ». Dit autrement, ces licences sont considérées davantage comme des menaces contre les situations acquises plutôt que comme des opportunités.
Or, la lettre des associations rappelle le récent rapport annuel de la Cour des comptes, où celle-ci a dressé au contraire un « lien évident entre protection de la souveraineté nationale et l’utilisation de logiciels libres ».
L’autorité note en particulier que le recours aux logiciels libres « permet à leur utilisateur de s’assurer des actions réalisées par le logiciel, de se protéger contre les fonctions indésirables et éventuellement de le modifier en fonction des usages identifiés. À l’inverse, les solutions propriétaires ne permettent pas aux usagers de connaître l’ensemble des actions d’un logiciel ; ils sont distribués sans le code source, qui reste le secret de l’éditeur » (page 152 du document).
La création libre by design
Pour les deux auteurs, en conséquence, la création libre « est devenue une réalité pérenne, stratégique pour la France face aux grands éditeurs de logiciels et de plateformes qui modèlent aujourd’hui l’espace numérique. Elle n’est plus une nouveauté dont il conviendrait de vérifier la comptabilité avec le droit positif, qu’on observerait à distance ».
Selon eux, il devient donc essentiel aujourd’hui de dépasser ces positions, et faire en sorte que les textes en gestation prennent en compte « la création libre by design et que le ministre de la Culture, ministère de toutes les cultures (…), marque sa confiance et assure la promotion de cette création et des communs ».
Ils plaident pour que la Rue de Valois se lance dans un véritable « plan de soutien » en faveur du libre, par exemple « en désignant une commission chargée d’étudier les modes de gouvernance et de valorisation alternatifs à l’exploitation des œuvres à travers la monétarisation du droit exclusif ».
Derrière ces propos, les signataires demandent qu’une commission chargée du libre soit instituée au CSPLA pour éplucher les différentes facettes de cet univers. L’avantage d’une commission, nous explique-t-on, est qu’elle engagerait le conseil dans son entier, contrairement à une mission qui ne concerne que ses auteurs.
Le libre, un peu trop oublié dans la réforme européenne
Pour l’heure, ce plébiscite a des difficultés à s’enraciner dans les esprits. En témoigne cette question parlementaire posée par Sabine Rubin où la députée FI prend le cas de l’article 13 du projet de réforme de la directive sur le droit d'auteur en gestation au sein des institutions européennes.
La disposition oblige les plateformes à s’engager dans une logique de filtrage des contenus. Or, écrit la députée, « un certain nombre d'associations spécialisées dans la question du logiciel libre et des libertés informatiques s'inquiètent de l'impact qu'une telle mesure aurait pour les forges logicielles ; plateformes hébergeant des contenus, les codes sources, soumis au droit d'auteur et mis en ligne par les utilisateurs ».
Inquiétudes ? « Les développeurs, auteurs des codes sources, publient leurs œuvres sous licence dite « libre » sur des plateformes d'hébergement, les forges logicielles, afin d'en permettre la libre circulation et la libre modification ».
Un mécanisme de filtrage, considère la parlementaire, « s'opposerait donc à la volonté de celles et ceux dont le droit d'auteur est censé être protégé, tout en portant le risque de sérieusement limiter l'innovation et la réactivité des projets de logiciels libres ».
Pire, ce mécanisme constituerait de facto un frein aux mises à jour. « Or il y a un principe indiscutable en sécurité informatique : plus un logiciel est mis à jour, plus une communauté de développeurs est réactive, plus ledit logiciel est sûr. Tout frein au développement des logiciels libres est donc un frein à la sécurité globale des systèmes informatiques ».