Des sénateurs veulent faire barrage aux coups de rabot sur le registre numérique de lobbyistes

Lobby ne fait pas le moine
Droit 5 min
Des sénateurs veulent faire barrage aux coups de rabot sur le registre numérique de lobbyistes
Crédits : Romain Vincens (CC BY-SA 3.0)

Le Sénat débattra cette semaine du registre numérique de lobbyistes introduit par la loi « Sapin 2 » de 2016. Deux points sensibles seront évoqués : l’introduction d’une dérogation au profit des associations cultuelles, et l’annulation de la « phase 2 » de déploiement du dispositif (qui devait être élargi à la sphère locale à partir de juillet).

Le répertoire de représentants d’intérêts confié à la Haute Autorité pour la transparence, tout juste déployé, va-t-il bientôt faire l’objet d’un premier détricotage ? C’est en tout cas ce qui se profile à grands pas.

Au travers du projet de loi « Darmanin » sur le droit à l’erreur, l’exécutif a réussi à introduire, tout d’abord à l’Assemblée nationale, une « dispense » totale d’inscription au fameux registre pour les associations à objet cultuel (en lien avec le culte). Actuellement, l’Église catholique ou l’association des Témoins de Jéhovah bénéficient d’une telle dérogation, mais uniquement dès lors que leurs actions de lobbying s’effectuent dans le cadre de « leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes ».

En commission spéciale, le 22 février dernier, les sénateurs ont approuvé cette réforme, au motif que « l'exclusion partielle actuelle ne reflète pas la réalité des relations que [les associations cultuelles] entretiennent traditionnellement avec d'autres représentants de l'État que le ministère de l'Intérieur, dans le domaine par exemple de la culture ou de la fiscalité, ou avec les élus locaux ».

L’argument est toutefois loin de convaincre tous les sénateurs. « Les lois sur le mariage pour tous ou en faveur des malades et des personnes en fin de vie peuvent témoigner que les associations cultuelles pèsent dans le débat public, sollicitent les parlementaires par l'envoi de pétition ou d'amendements, interviennent dans le processus de la décision politique. La future révision sur les lois bioéthiques en fera sans nulle doute une nouvelle fois la démonstration » considère ainsi Marie-Pierre de la Gontrie (PS).

Des amendements pour faire barrage à la réforme

Au travers d’un amendement co-signé par l’ensemble du groupe socialiste, l’élue demande un maintien de la situation actuelle. « Répondre de cette catégorie [de représentant d’intérêt, ndlr] et des obligations déontologiques qui en découlent ne constitue pas une sanction. C'est la garantie d'une plus grande transparence dans le processus de décision publique. Ce n'est donc ni infamant, ni déshonorant », fait valoir la sénatrice.

Cette dernière souligne au passage qu’une telle réforme « n’a pas sa place » dans un « projet de loi qui traite des relations entre l’administration et ses usagers ». À ses yeux, il s’agit « à l’évidence d’un cavalier législatif » (dès lors susceptible de censure de la part du Conseil constitutionnel).

Un amendement à l’objectif similaire a été déposé par les sénatrices Nathalie Delattre et Josiane Costes (RDSE). « L'inscription des associations cultuelles au registre des représentants d'intérêts doit être maintenue, au risque de créer une inégalité de traitement flagrante, en particulier avec les associations laïques », clament les deux parlementaires.

Annulation de l’élargissement aux élus locaux

Nathalie Delattre et Josiane Costes veulent d’autre part faire barrage à une autre réforme, introduite cette fois en commission spéciale, à l’initiative des sénateurs : l’annulation de la « phase 2 » de mise en œuvre du registre numérique de lobbyistes.

Visant actuellement les représentants d’intérêts entrant en communication avec des décideurs de rang national (ministres, parlementaires, membres d’autorités administratives indépendantes...), la loi Sapin 2 doit également s’appliquer, à partir du 1er juillet 2018, aux lobbyistes qui tentent d’influencer des élus locaux – conseillers régionaux et départementaux, maires de communes de plus de 20 000 habitants, etc.

La rapporteure du Sénat, visiblement aiguillée par la HATVP elle-même, craint que l’élargissement prévu par la loi Sapin 2 vienne « amoindrir la lisibilité du dispositif, en augmentant de près de 73 % le nombre d’entités inscrites dans ce répertoire ». En commission, Pascale Gruny a ajouté que la plupart des lobbyistes agissant au niveau local « ne mènent jamais d’action de représentation d’intérêts pour l’élaboration des lois ou des décrets ».

En creux, l’on comprend que la Haute Autorité pour la transparence préfère se concentrer sur l’objectif premier du répertoire (faire ressortir « l’empreinte normative » des actions de lobbying sur les textes de loi et de règlement, de portée nationale), plutôt que d’avoir à répondre aux centaines de PME et d’associations locales qui voudront bientôt savoir si elles doivent s’enregistrer auprès de ses services.

Mais pour Nathalie Delattre et Josiane Costes, les dispositions votées le mois dernier en commission « n'ont pas leur place dans ce dispositif ».

Le groupe PS propose un compromis, avec un report à 2021

« L'argument invoqué du caractère trop ambitieux du dispositif ne nous parait pas recevable, objectent de leur côté les sénateurs socialistes. Le chantier est conséquent mais il s'agirait d'un très mauvais signal de renoncer au moment même où le registre des représentants d’intérêts est en train de se mettre en place. »

Plutôt qu’une annulation pure et simple, le groupe PS propose de décaler l’entrée en vigueur de cette « phase 2 » à juillet 2021 : « Un report de trois ans permettrait de tirer un premier bilan des usages du registre et, éventuellement, laisserait le temps de réviser son décret d’application pour simplifier et améliorer le dispositif. »

« On note une dynamique positive dans les collectivités locales (comme par exemple la plateforme de transparence des agendas de la Mairie de Paris), qu'il serait préférable d'encourager et non de freiner », abonde Elsa Foucraut, de l’association Transparency International France, jointe par Next INpact. « Nous entendons les difficultés de faisabilité pointées par la HATVP, mais nous préférerions un simple report plutôt que de renoncer purement et simplement à décliner le registre au niveau local. »

L’intéressée relève surtout que s'il était voté en l'état, le projet de loi Darmanin « s'inscrirait en contradiction avec les engagements de campagne d'Emmanuel Macron ». Ce dernier avait confirmé à l’ONG qu’il souhaitait « s’assurer de l’inscription au registre des représentants d’intérêts de tous les acteurs publics et privés qui exercent une action d’influence ».

 macron registre lobbyistes

L’examen du projet de loi sur le droit à l’erreur doit débuter cet après-midi en séance publique. Les dispositions relatives au registre numérique de lobbyistes pourraient toutefois n’être débattues que demain ou plus tard dans la semaine.

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