Le projet de loi contre les « fakes news » va donner de nouvelles ailes au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Fait notable, on retrouve dans le texte une expression commune avec la loi sur le renseignement, celle de l’« atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ».
La future loi contre la désinformation, diffusée in extenso dans nos colonnes, a été préparée par l’exécutif, avec en première ligne le ministère de la Culture.
Tout reste à faire aujourd'hui. Elle doit en effet désormais passer le cap de l’Assemblée nationale et du Sénat, où différents amendements pourront être adoptés. Normalement, un projet de loi doit impérativement être accompagné d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État.
Le gouvernement préfère opter pour une proposition de loi où un généreux parlementaire se chargera d’un simple dépôt devant l’une des deux chambres. En somme, c'est un texte gouvernemental, et en même temps, une proposition de loi.
Après notre analyse ligne par ligne, un point mérite une attention un peu plus soutenue. Il concerne les pouvoirs du CSA.
Le CSA et la défense des intérêts fondamentaux de la Nation
À l’article 4, le Conseil aura en effet la possibilité de refuser de passer une convention de diffusion avec une chaîne lorsque celle-ci est contrôlée ou sous influence d’un État étranger. L’autorité indépendante devra alors démontrer que le service « est susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de participer à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles ».
Pour apprécier ce risque (le texte dit « susceptible »), l’autorité pourra scruter tous les contenus diffusés par cet écosystème, en particulier sur les réseaux sociaux, mais aussi glaner d’autres informations.
On retrouve ces critères d’atteinte « aux intérêts fondamentaux de la Nation » ou de participation « à une entreprise de déstabilisation de ses institutions » à l’article 5, lequel vise la suspension administrative d’une chaîne pendant la période électorale, à l’article 6 relatif au retrait d’une convention par le CSA, et enfin à l’article 8 sur le référé administratif audiovisuel.
Les intérêts fondamentaux de la Nation ?
La définition des « intérêts fondamentaux de la nation » est donnée par le Code pénal. Selon l’article 410-1, ils s'entendent « de son indépendance, de l'intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ».
Fait notable, l’expression entre en résonnance parfaite avec la loi Renseignement. Explication : avec ce texte voté en 2015, les services ont la capacité d’organiser des mesures intrusives sur les réseaux de communication dès lors qu’est justifiée l’une des finalités décrites à l’article L811-3 du Code de la sécurité intérieure.
En conséquence, les services peuvent recourir à différentes techniques pour recueillir des renseignements relatifs à la défense ou à la promotion des « intérêts fondamentaux de la Nation ». Parmi ces portes, on trouve l’inévitable lutte contre le terrorisme, mais également la « prévention de toute forme d’ingérence étrangère ».
La loi relative à la surveillance des communications électroniques internationales mentionne elle aussi l’article L811-3 pour autoriser des mesures plus amples encore au-delà de nos frontières, notamment par des traitements automatisés à l’image des boites noires réservées en France à la lutte contre le terrorisme.
Difficile de savoir exactement quel sera le lien entre la loi contre la désinformation et celles sur le renseignement, mais une certitude : il y a unité dans ces expressions. Seuls les débats parlementaires pourront éventuellement éclairer sur cette possible articulation, les propos introductifs n’étant pas éclairants.
Sans vouloir flirter avec la fake news, on peut néanmoins dresser un scénario où le CSA serait averti par une note des services du renseignement que telle chaîne est « susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation », puisque que la diffusion de fausses nouvelles, un élément bien visible, n’est pas le seul pouvant justifier la mobilisation de l’autorité indépendante.