Dans leur dernière proposition, les médiateurs du ministère de la Culture raccourcissent l'ensemble des fenêtres de diffusion de films après leur sortie en salles, en premier lieu pour ceux ayant échoué lors de ce grand oral. Pas de réforme en profondeur, alors que les services en ligne contournent toujours le système classique, au désespoir de la SACD.
Le Monde a obtenu une copie de la proposition d'accord éditée par les deux médiateurs nommés par le ministère de la Culture en novembre, Dominique d’Hinnin (ex-dirigeant de Lagardère) et François Hurard (ancien du Centre national du cinéma).
Depuis quelques années, le secteur se déchire (entre chaines, producteurs, exploitants de salles…) pour revoir le calendrier de diffusion des films, de la salle de cinéma aux chaines TV gratuites. Chacun tirant la couverture à soi, au détriment de tout accord.
Des raccourcissements, mais pas de chamboulement
Dans ce « compromis », la fenêtre pour la vidéo à la demande payante (VOD) est ramenée à trois mois au lieu de quatre actuellement… si le film ne trouve pas succès en salles. Les droits en VOD n'expireraient plus au bout de six mois, les œuvres restant donc en ligne par la suite.
La fenêtre pour la télévision payante (comprendre Canal+) est ramenée à sept mois après la sortie au cinéma, contre dix mois auparavant (et six mois réclamés). La contrepartie : une fenêtre plus courte et l'impossibilité de bloquer une sortie VOD. Le premier financeur du cinéma français doit, aussi, prolonger son accord avec la profession.
Les autres chaines payantes, qui contribuent moins que Canal+ (OCS ou Ciné+) pourront diffuser les films après 15 mois, contre 22 actuellement. Les grandes chaines gratuites pourront passer ces titres au bout de 19 mois (au lieu de 22 mois aussi) et celles de la TNT au bout de 27 mois, ou 24 mois en cas d'échec du film en salles (contre 30 mois aujourd'hui).
Les services de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) étrangers, comme Amazon Prime Video ou Netflix, voient leur fenêtre raccourcie d'un mois, à 35 mois. Exception : les films ayant raté leur carrière en salles, diffusables 31 mois après leur sortie.
Pour obtenir ce rapprochement, ils devront tout de même s'engager à un financement minimal de la production française, comme les y obligerait la future directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMAD). En clair, ils doivent devenir « vertueux », avec de nombreux engagements en termes de diversité. Le sujet est un serpent de mer, datant du rapporte Lescure sur la « Culture Acte 2 » de mai 2013.
Enfin, les plateformes vidéo gratuites, à la Dailymotion et YouTube, n'auraient plus que 43 mois à attendre, contre 48 mois actuellement.
Le contournement de la chronologie des médias toujours possible
Rappelons que le sujet a été des plus brûlants l'an dernier. Lors du Festival de Cannes, en mai, deux films produits et diffusés par Netflix ont été châtiés par une partie de l'industrie, qui refuse de voir concourir des titres qui « esquivent » la distribution traditionnelle, à savoir les salles de cinéma.
En s'occupant de ses films de A à Z, le service de streaming est ainsi en capacité d'être totalement indépendant, au grand dam des exploitants de salles. Il n'est pas dit que le raccourcissement d'un mois de la fenêtre SVOD, toujours proche de trois ans, convainque à elle seule Amazon ou Netflix de changer son fusil d'épaule.
Les médiateurs du ministère de la Culture ne semblent pas avoir retenu la proposition de diffusion cinéma dans des « salles virtuelles », posée par la Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP), en octobre à Dijon. Un film aurait ainsi pu être diffusé via des services en ligne en parallèle des cinémas classiques.
Ils ont aussi écarté la « neutralité technologique », qu'ils comptaient pourtant défendre. Selon ce principe, une fois la carrière du film finie en salles, le reste des fenêtres d'exploitation serait aplani, avec un seul critère pour départager les diffuseurs potentiels : leur « vertu ». Soit les engagements de financement, de diversité ou de respect du droit d'auteur. De quoi mettre Netflix au même niveau que le mastodonte Canal+.
Une occasion manquée, selon la SACD
Pour l'un des lobbies du secteur, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), cette réforme est une occasion manquée. « Alors que l’un des enjeux de la réforme de la chronologie des médias est d’intégrer les acteurs du numérique et de l’Internet dans la politique de soutien à la création pour préparer l’avenir du financement des films, la proposition mise sur la table s’en écarte beaucoup » écrit son directeur général, Pascal Rogard.
Il pointe une inégalité de traitement entre Canal+ et les plateformes de SVOD, à investissement équivalent. La société de gestion collective note d'ailleurs qu'aujourd'hui, Netflix respecte mieux ses engagements auprès des auteurs que Canal+, un temps empêtré dans un défaut de paiement de dizaines de millions d'euros. La SACD considère aujourd'hui cet acteur historique comme « un passager clandestin ».
La société demande donc quatre garanties : assurer le meilleur financement des œuvres (en protégeant les financeurs), inciter les nouveaux opérateurs (comme les services de SVOD) à investir, imposer une neutralité technologique et soumettre les acteurs bénéficiant d'une chronologie revue à des obligations de respect du droit d'auteur.
La filière a jusqu'au 19 mars pour donner son avis sur cette proposition, pour remplacer l'ancien compromis datant de 2009. En juillet dernier, la commission de la Culture du Sénat menaçait une réforme législative, en l'absence d'accord. Il y a quelques jours au Figaro, Françoise Nyssen a déclaré que la transposition de la directive SMAD en fin d'année pourrait bien être le vecteur de cette réforme forcée, si les acteurs du cinéma peinent à s'entendre.