Saisie par Free, la Cour de cassation met un coup de pied dans les mobiles subventionnés

#Couscous-boulette
Droit 5 min
Saisie par Free, la Cour de cassation met un coup de pied dans les mobiles subventionnés
Crédits : LeWeb13 (CC BY 2.0)

Dans un arrêt du 7 mars 2018 que nous avons pu consulter, la Cour de cassation considère que les offres de mobiles subventionnés peuvent effectivement cacher une opération de crédit à la consommation. Une analyse défendue par Free depuis plusieurs années dans son bras de fer avec SFR.

Les premières pierres de cette affaire avaient été posées par Xavier Niel au début des années 2010. Le trublion s’en prenait alors aux forfaits SFR couplant d’un côté abonnement, de l’autre smartphone subventionné. La formule est connue : plutôt que d’acheter un téléphone au prix fort, un opérateur le propose à tarif défiant toute concurrence… tout en gonflant concomitamment le montant de l’abonnement mensuel.

Le numéro un de Free a toujours vu là des contrats de vente à crédit déguisé. Un masque aux juteux effets. Les professionnels esquivent les contraintes légales, comme l’interdiction des taux usuraires, l’obligation d’information des consommateurs pour prévenir le risque de surendettement, etc. Ce mobile subventionné, c’est « une sorte de couscous-boulettes : on mélange tout, et vous ne savez pas au juste ce que vous payez ni combien » expliquait Xavier Niel.

Son analyse culinaire était d’ailleurs partagée par l’UFC Que Choisir, qui s’exprimait dans nos colonnes en 2012 : « le subventionnement nous a toujours posé problème, car c’est une forme de crédit qui nous semble échapper à la législation qui encadre cette matière. Il y a des obligations et même des devoirs ».

Selon l’association, « nous avons eu des cas de consommateurs qui avaient par exemple pris des abonnements, mais n’arriveraient plus à payer. Ils ont opté pour des abonnements très chers afin d’avoir un terminal haut de gamme. Avec ces formules, on ne sait pas quelle est la partie prestation de service et la partie subventionnée téléphone. Et avec de tels contrats, on peut payer le téléphone beaucoup plus cher que son véritable prix. »

Un crédit est une facilité de paiement, rappelle la Cour de cassation

Devant la justice, Free avait connu des échecs successifs. Le 15 janvier 2013, le tribunal de commerce de Paris reconnaissait ainsi la légalité des offres SFR et condamnait le concurrent à 300 000 euros de dommages-intérêts, outre 100 000 euros pour frais de justice. Rebelote devant la cour d’appel de Paris le 9 mars 2016, avec 500 000 euros de dommages et intérêts et 150 000 euros de frais. Mais Free n’a pas lâché prise. La société a déposé un pourvoi en cassation. Bien lui en a pris.

Dans l’arrêt du 7 mars 2018 que nous avons pu consulter, la haute juridiction a asséné une petite leçon à la cour d’appel, lui reprochant une approche un peu trop lapidaire de ce qu’est exactement un crédit.

Les juges du second degré avaient analysé les différentes offres pour estimer à chaque fois que la qualification d’une opération de crédit ne pouvait être retenue. Par exemple, ces contrats couplés sont soumis à des aléas qui empêchent le remboursement intégral (rétractation, chômage, hospitalisations, incarcération, déménagement, force majeure, augmentation de tarif en cours d'exécution ou changement de forfait dès quatre mois après l'achat du mobile).

Or, ont encore estimé les juges du fond, ces caractéristiques ne sont pas compatibles avec un contrat de crédit.

L’analyse de la Cour de cassation a été toute autre. Elle rappelle avant tout qu’un crédit est une « facilité de paiement » qui peut prendre de multiples visages. Donc, gare aux conclusions un peu trop rapides, aux déguisements trop clinquants ! En particulier, la cour d’appel aurait dû être beaucoup plus attentive, et vérifier si la majoration des mensualités payées par le consommateur n’était pas concomitante à la réduction substantielle du prix du mobile.

Le droit français, examiné sur l'autel du droit européen

De même, les juges du fond avaient considéré, toujours pour rejeter la qualification de crédit, que « la propriété du mobile ne dépend pas du paiement des échéances mensuelles du forfait d'abonnement ». Dans son arrêt, la Cour rétorque qu’une opération de crédit n’est en rien incompatible avec un tel transfert de propriété.

L’arrêt s’est surtout intéressé à la législation française interprétée à la lumière de la directive du 23 avril 2008 sur les contrats de crédit à la consommation.

La cour d’appel de Paris avait encore vu dans les offres SFR une sorte de contrat à exécutions successives, pour expliquer son refus de les assimiler à un contrat de crédit. Pour la Cour de cassation, « une opération consistant à livrer un produit dont le prix est payé par des versements échelonnés, intégrés chaque mois dans la redevance d'un abonnement souscrit pour un service associé » peut tomber au contraire dans la réglementation encadrant les crédits !

Les conséquences de cet arrêt, qui rejoint un mouvement déjà constaté en Europe, en particulier aux Pays-Bas, vont être lourdes.

Le dossier devra être rejugé par la cour d’appel de Paris, mais on peut déjà anticiper les effets : si le mobile subventionné est bien un crédit, les boutiques devront respecter l’ensemble des contraintes en vigueur : obligation d’informations sur les frais et  intérêts cachés, contrôle de la solvabilité du client afin d’éviter les dépenses inconsidérées, faculté de rétractation sur 14 jours, comme le prévoit l’article L311-12 du Code de la consommation.  

À ce titre, dans une note publiée en juin 2012, le professeur Francis Limbach, un juriste de l’université de Kiel, expliquait que faute de respecter ce formalisme, un abonné pourrait résilier ce crédit à n’importe quel moment.

Voilà pourquoi dans son communiqué du jour, Free espère pouvoir désormais viser « un marché supplémentaire de 17 millions d'abonnés engagés dans ce type de forfait sur lequel il n'était pas présent ». Si ces contrats un peu particulier sont en perte de vitesse selon les derniers chiffres de l'ARCEP (33% du marché), on devine sans mal le petit tressaillement chez les opérateurs fans de couscous-boulettes.

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