Si la fermeture plus tardive des bureaux de vote a permis de limiter l’impact du phénomène #RadioLondres lors de la dernière présidentielle, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale indique au travers d’un récent rapport que « plusieurs dizaines » de contrevenants potentiels ont été signalés au Parquet.
Comme en 2012, le ministère de l’Intérieur a mis à la disposition de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale (CNCCE) une « cellule de veille » spécialement chargée de surveiller la façon dont la présidentielle se déroulait sur Internet et les réseaux sociaux.
Dotés « d'outils de recherche permettant, en particulier, d'apprécier la « viralité » des éventuelles fausses nouvelles (et leur qualification juridique) », les agents de cette cellule ont rendu compte quotidiennement de leurs activités à la CNCCE. Ceux-ci ne pouvaient bien entendu ausculter que la partie « publique » du web, et non des correspondances privées par exemple.
Ces mêmes fonctionnaires furent par ailleurs chargés de s’assurer qu’aucun sondage ou estimation ne soit diffusé avant la fermeture du dernier bureau de vote du territoire métropolitain. Le problème est cependant bien connu : si cette interdiction prévaut aussi bien pour les médias traditionnels que pour les particuliers qui relaieraient certaines informations sur les réseaux sociaux, elle n’en demeure pas moins inapplicable aux sites étrangers.
« Plusieurs dizaines » de signalements au Parquet
Dans son bilan de l’élection 2017, publié hier au Journal officiel, la CNCCE rapporte ainsi que « des sites étrangers, notamment belges et suisses », ont diffusé, « avant 20 heures, les 23 avril et 7 mai, des données présentées comme issues soit de sondages réalisés à la sortie des urnes, soit d'estimations, et certains sites français d'en faire état ou de laisser entendre que de tels éléments étaient disponibles en s'y connectant ».
Résultat : la Commission nationale de contrôle a avisé le procureur de la République « de l'ensemble des faits (plusieurs dizaines) susceptibles de recevoir une qualification pénale au regard des dispositions du code électoral et de la loi du 19 juillet 1977 dont elle avait été informée, en y joignant des captures d'écran ». Aucune information n’est cependant donnée quant aux suites ayant été accordées à ces signalements sur le plan judiciaire .
En application des lois de 2016 relatives à l’élection présidentielle, les contrevenants encourent désormais une amende pouvant atteindre 75 000 euros.
Un phénomène à l’impact limité
La CNCCE laisse malgré tout entendre que ce phénomène fut d’une ampleur bien moins inquiétante que par le passé. L’institution conclut en effet qu’il « semble » que « les électeurs aient été, généralement, conscients des risques de manipulation ». Ils n’auraient de ce fait « prêté qu'un assez faible crédit » aux éléments diffusés sur Internet.
Et pour cause. Également en vertu des récentes lois sur la présidentielle, aucun bureau de vote ne pouvait fermer ses portes avant 19h (contre 18h auparavant). « Dans la mesure où l'exploitation des résultats des bureaux de vote « tests » prend environ 45 minutes », la diffusion d’estimations fondées sur des votes réels « n'a pu intervenir, cette année, qu'à quelques minutes de la fermeture des derniers bureaux de vote, et donc trop tardivement pour pouvoir influencer utilement l'issue du scrutin », estime la CNCCE.
D’autre part, la Commission des sondages avait « obtenu des 9 principaux instituts de sondages (BVA, Elabe, Harris Interactive, Ifop, Ipsos, Kantar, Odoxa, OpinionWay, Viavoice) l'assurance qu'aucun d'entre eux ne réaliserait de sondages "sortie des urnes” et l'a fait savoir, afin de décrédibiliser les rumeurs susceptibles de circuler le jour du scrutin ».
Le risque de cyberattaques « resurgira » lors des prochaines élections
La CNCCE s’arrête en revanche sur un autre type d’incident. La cellule de veille a en effet craint « une cyberattaque de grande ampleur » dans les dernières heures précédant la fin de la campagne électorale, lorsque « le vendredi 5 mai au soir », ont été « diffusés sur certains sites Internet des données présentées comme provenant des messageries électroniques de membres de l'équipe de campagne du candidat Emmanuel Macron ».
« La commission, alertée par le mandataire de M. Macron, a immédiatement pris l'attache de l'ANSSI qui a, au cours de la nuit, en lien avec l'équipe du candidat, procédé aux premières investigations techniques, tandis qu'une enquête était ouverte par le Procureur de la République, parallèlement saisi, explique le rapport de la CNCCE. Le président de la commission a, dès le milieu de la nuit, rendu public un communiqué pour indiquer que les données diffusées sur les réseaux sociaux et présentées comme issues des systèmes d'information du candidat pouvaient être constituées en partie de faux, et pour appeler les médias, compte tenu de l'entrée dans la période de réserve depuis le vendredi à minuit, sur leur sens des responsabilités, en leur demandant de ne pas rendre compte du contenu de ces données. »
La Commission de contrôle considère qu’en définitive, « le caractère très tardif de la diffusion de ces données et le discrédit dont elle a été accompagnée, ainsi que l'esprit de responsabilité des principaux médias, ont conduit à limiter la portée de ce piratage informatique ». Elle affirme ainsi « qu'il n'a pas porté atteinte à la sincérité du scrutin ».
Pour autant, l’institution conclut que cet épisode démontre « l'importance » du risque de cyberattaques, « qui resurgira » selon elle « lors des prochaines élections ». Elle ajoute : « Il faut d'ailleurs garder à l'esprit le fait que le caractère difficilement prévisible, quelques mois plus tôt, de la participation au scrutin de certains des principaux candidats, a peut-être permis d'éviter, pour l'élection présidentielle de 2017, la survenance d'attaques préparées de longue date. »
Là aussi, la Commission indique avoir « transmis au Procureur de la République tous les éléments en sa possession relatifs à la mise en ligne par des internautes de données en lien avec le "Macronleaks" ». La peine encourue est ici d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende, en application de l’article L97 du Code électoral sur les fausses nouvelles.
Dématérialisation de la propagande électorale : « le moment paraît venu »
On notera enfin que la CNCCE plaide pour que la question de la dématérialisation des professions de foi des candidats soit « posée, à nouveau ».
« Le coût de la distribution postale et ses aléas, en métropole comme en outre-mer (comme l'a illustré en 2017 le cas de la Guyane), ainsi que la généralisation de l'usage d'internet, rendent en effet souhaitable l'acheminement de la propagande électorale par voie électronique », explique l’institution
Celle-ci rappelle dans son rapport que plusieurs propositions ont été soumises au Parlement ces dernières années, « sans succès ». La dernière tentative en date remonte au projet de loi Darmanin sur le droit à l’erreur (voir notre article).
Pour la Commission, « le moment paraît venu, en raison de la généralisation du raccordement aux réseaux numériques, d'opérer cette mutation, au moins pour l'élection présidentielle ».