L'utilitaire de copie de fichiers, maintenu depuis près de dix ans, a abandonné le minage de crypto-monnaies essayé entre 2013 et 2014. Il s'agit pourtant de la rémunération la plus importante qu'a reçu l'outil, qui vend par ailleurs une version Ultimate. Entretien avec son développeur, Herman Brule, qui revient avec nous sur le financement de logiciels.
Ultracopier est l'un de ces utilitaires open source classiques, qui remplace la fenêtre de copie de fichiers sur Windows et Linux, en y apportant quantité d'améliorations. Il y a quelques jours, la version 1.4 est sortie (sous licence GPLv3). Au menu : réécriture majeure du code, unification des versions 32 et 64 bits et bascule vers un support payant.
Pourtant, cette version conserve une option « Donnez du temps GPU pour financer le développement », décochée par défaut, pointant vers l'intégration d'un outil de minage de crypto-monnaie. De quoi inquiéter certains utilisateurs.
« L'option était effectivement présente, mais n'avait pas de code derrière, donc elle ne correspondait à rien. J'ai supprimé cette case à cocher dans la version 1.4.0.4, que je publierai sous peu » nous répond son développeur, Herman Brule, connu comme « alpha_one_x86 ».
Un mineur de crypto-monnaie pendant quelques semaines
Né en 2009, le logiciel a intégré un temps un mineur de bitcoin, CGMiner pour Windows, dans une version dédiée. Selon Herman Brule, cela a seulement duré un mois en 2013 et deux semaines en 2014. En avril 2013, il cherchait d'ailleurs des conseils à ce sujet. L'opération aurait rapporté de 150 à 200 euros, « ce qui m'a motivé, car je ne recevais que cinq euros par an de dons », se souvient-il.
Il soupçonne une utilisation importante de versions piratées de la version Ultimate. L'édition intègre des correctifs plus rapidement, un support prioritaire et des moutures adaptées à certains processeurs. Ces internautes ne veulent donc pas payer cette édition, vendue pour 9,99 euros actuellement.
« Par contre, en discutant avec ma communauté, j'ai vu qu'ils acceptaient un mineur, qui m'est encore demandé aujourd'hui. J'avais aussi besoin de passer le logiciel d'amateur à professionnel, car Ultracopier manipule les données des utilisateurs. Je ne voulais pas être incriminé en cas de pertes de données » détaille le développeur.
Il n'empêche que si des utilisateurs ont proposé l'intégration d'un outil de minage par carte graphique (GPU), cela ne plaît pas à tous. « J'ai toujours mis beaucoup de messages d'alerte sur la version avec mineur et j'ai publié le code source pour bien informer les gens » défend Herman Brule.
Coup d'arrêt pour les crypto-monnaies en Bolivie
Ces réactions ont contribué à retirer CGMiner de la version Windows de l'utilitaire, même si le minage de crypto-monnaie est le seul modèle à lui avoir vraiment rapporté de l'argent.
« J'ai essayé plusieurs formules, aucune ne m'a satisfait. À part la rémunération par minage, mais elle a suscité de fortes réactions. Certains criaient au scandale, que je devais avoir honte, que c'était un malware... J'ai donc tout coupé », comme l'illustre cette entrée du projet GitHub.
L'ajout de CGMiner lui vaudrait aussi les foudres de la justice française, pour conception de malware, sans qu'il ne veuille en dire plus. Des antivirus auraient aussi épinglé Ultracopier pour cette intégration. En clair, le climat n'était pas favorable à ce mode de financement.
Une autre contrainte, presque plus importante, est l'interdiction des crypto-monnaies par la banque centrale bolivienne en 2014. Herman Brule vit en Bolivie depuis plusieurs années, cette décision a donc été le clou dans le cercueil de son essai. En mai 2017, les autorités boliviennes ont arrêté 60 « promoteurs du Bitcoin », qui auraient par ailleurs monté un système de vente pyramidale.
Un développement ralenti pendant quelques années
Ultracopier ne rapporte pas assez à son développeur pour vivre. L'arrêt du mineur a signifié un ralentissement de ses efforts sur le logiciel. Jusqu'en 2013, il affirme avoir travaillé 30 heures par semaine sur l'outil, puis 90 heures par semaine entre 2013 et 2014, puis 10 heures hebdomadaires.
« Après déduction des charges, je gagne de quoi me payer un petit café de temps de temps. Je maintiens ce projet car j'aime ce que je fais et que ça aide d'autres personnes, pas vraiment pour gagner ma vie. J'en tire surtout une bonne connaissance des systèmes d'exploitation, que je monétise dans ma vie professionnelle à côté » résume le développeur.
Les utilisateurs sont nombreux : deux millions d'utilisateurs ouvraient quotidiennement le logiciel il y a un an, compte Herman Brule. Moins de 0,5 % d'entre eux seraient en version Ultimate, mais même ce nombre serait gonflé : « Je n'ai pas reçu autant d'argent, je suspecte donc des versions pirates ».
Le développement, passé sur le temps personnel depuis 2014, redevient une activité professionnelle. « Depuis 2018, j'ai trouvé le capital pour monter un datacenter. Je pourrai donc avoir plus de fonds mais aussi allouer plus de ressources humaines inoccupées » espère Brule.
À l'annonce de la version 1.4, il déclarait qu'Ultracopier passait sous le contrôle de son entreprise d'hébergement, Confiared. Sans que cela n'entraine de changement de philosophie, promet-il.
« Oui, je crois au minage » pour le financement de logiciels
Au fond, quel intérêt a encore un tel logiciel aujourd'hui ? L'outil apporte « une gestion avancée des erreurs, des collisions, en programmant l'écrasement en cas de date ou de taille différentes... Contrairement à Windows qui peut dans certains cas détruire vos données » selon son développeur. Il vante aussi son interface, plus complète, « qui peut dérouter les utilisateurs débutants, mais ceux avancés sont ravis ».
Encore maintenant, il nécessiterait un développement important. « Même si on peut concevoir un équivalent en quelques mois (avec un risque de perte des données utilisateurs), Ultracopier est fortement vérifié, multiplatforme, avec beaucoup d'options. Les deux fonctions les plus lourdes sont celles de checksum et de limitation de vitesse. Ultracopier, c'est dix ans de travail, beaucoup de recherche, et un quart d'un énorme projet du type MySQL ou PostgreSQL » avance-t-il.
Malgré ses déconvenues, les crypto-monnaies sont toujours une option pour les logiciels, selon lui. « Oui, je crois au minage. Il permet une source de revenus, sans atteinte à la vie privée et sans être inondé de publicités. » Il appelle tout de même à la prudence, prônant la transparence sur la pratique.
« Pour l'utilisateur cela ne change pas grandement d'utiliser son GPU pour jouer. Les dons ne marchent pas dans mon cas. Le support payant ne fonctionne pas pour ce projet, car il n'y a pas vraiment besoin de support, mais je pense que c'est une bonne solution » justifie-t-il encore.
Le minage pour soutenir le logiciel resterait une demande forte des utilisateurs, représentant un email sur les deux qu'il reçoit environ chaque jour, selon lui.
La prochaine étape pour Ultracopier est la version 2, promise à une date indéterminée. Il attend une « bonne compatibilité de Windows avec la spécification C++17 » (via MinGW). Cette mouture doit représenter une révision totale de la logique de manipulation des fichiers, qui demanderait un environnement mature pour être lancé.