À peine déployé, le registre de représentants d’intérêts instauré par la loi « Sapin 2 » s’apprête à subir un premier détricotage. Le gouvernement veut en exclure les associations cultuelles, tandis que le Sénat s'apprête dans le même temps à revenir sur son élargissement aux élus locaux (normalement prévu pour juillet).
À ce jour, plus de 1 000 représentants d’intérêts figurent au répertoire géré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Sans surprise, on y retrouve des entreprises telles que Google France, la SNCF, Yoplait, Total, Carrefour... D’autres organisations moins connues du grand public s’y sont également inscrites, à l’image de la Fédération nationale des podologues ou de l’Association des avocats lobbyistes.
En application de la loi « Sapin 2 » de 2016, ces acteurs avaient jusqu’au 31 décembre dernier pour s’enregistrer auprès de la HATVP, sous peine de sanctions. Ils ont désormais jusqu’au 30 avril pour fournir à l’autorité administrative indépendante les détails de leurs activités de lobbying : montant des dépenses consacrées aux actions de représentation d'intérêts au cours du second semestre 2017, éventuelle identité du client, type d’action engagée, etc.
Ce dispositif, déjà jugé « très en-deçà des attentes » en raison de sa grande souplesse (voir notre article), risque toutefois de faire l’objet d’un nouveau coup de rabot. Le gouvernement veut en effet profiter du projet de loi Darmanin sur le droit à l’erreur pour « dispenser » complètement les associations à objet cultuel de toute inscription au registre.
Vers une dérogation totale pour les associations cultuelles
Actuellement, l’Église catholique ou l’association des Témoins de Jéhovah n’ont pas à se manifester auprès de la HATVP dès lors que leurs actions de lobbying s’effectuent uniquement dans le cadre de « leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes ».
Pour justifier cette demande d’exclusion totale (au même titre que les partis politiques ou les élus), l’exécutif fait valoir que « le champ habituel » des interventions des représentants des cultes est « beaucoup plus large » que la seule dérogation prévue par la loi Sapin 2. L’étude d’impact du gouvernement donne ainsi en exemple les échanges avec les élus locaux, qui sont pour l’instant considérés comme des actions de lobbying.
Le gouvernement soutient d’autre part que sa réforme vise à « préserver un climat de confiance ». L’exécutif craint en ce sens d’avoir à « dénoncer » certaines associations auprès de la HATVP, alors qu’il les invite dans le même temps à se mettre régulièrement autour de sa table. « Enfin, poursuit l’étude d’impact, ne peut être exclu un risque d’inégalité de traitement entre les cultes, du fait de disparités dans leur organisation respective, se traduisant paradoxalement par davantage d’exigence à l’égard des cultes les plus structurés sans pour autant aboutir à un renforcement de la transparence s’agissant de représentations cultuelles plus empiriques. »
Mise sous silence du lobbying sur les lois sociétales par exemple
Derrière ces arguments, se profile une réforme aux conséquences très concrètes : les associations cultuelles n’auront de comptes à rendre à personne quant à leurs actions de lobbying sur tel ou tel texte législatif (par exemple sur les futures lois de bioéthique). L’épisode du mariage pour tous a en effet démontré que les acteurs religieux n’hésitaient pas à se mobiliser pour influencer les décideurs publics sur des sujets autres que cultuel...
« Une association laïque devrait s'inscrire sur le registre, mais pas l'association des évêques de France ou le conseil français du culte musulman, etc. Pourquoi ? On ne voit pas très bien... » soupire un familier du dossier, qui craint au passage que l’ouverture de cette brèche ne donne des idées à d’autres acteurs de l’ombre.
Votée sans grands débats à l’Assemblée nationale, où le rapporteur, Stanislas Guérini, y a vu « une réelle mesure de simplification », cette réforme a passé sans accroc le cap de la commission, au Sénat, la semaine dernière. « Certaines associations cultuelles ont bien dû faire du lobbying pour obtenir cette disposition, preuve qu’elles savent très bien faire », ironise une autre source proche du dossier.
En commission, annulation de l'élargissement aux élus locaux
Les sénateurs ne se sont toutefois pas contentés de valider les dispositions voulues par le gouvernement (et avalisées par les députés). En commission spéciale, les élus de la Haute assemblée ont également souhaité annuler la « phase 2 » de mise en œuvre du registre numérique de lobbyistes.
Visant actuellement les représentants d’intérêts entrant en communication avec des décideurs de rang national (ministres, parlementaires, membres d’autorités administratives indépendantes...), la loi Sapin 2 doit également s’appliquer, à partir du 1er juillet 2018, aux lobbyistes qui tentent d’influencer des élus locaux – conseillers régionaux et départementaux, maires de communes de plus de 20 000 habitants, etc.
Pourquoi une telle volonté de recul ? La rapporteure du Sénat, Pascale Gruny, craint que l’élargissement prévu par la loi Sapin 2 vienne « amoindrir la lisibilité du dispositif, en augmentant de près de 73 % le nombre d’entités inscrites dans ce répertoire ». Surtout, l’élue LR fait valoir que la plupart des lobbyistes agissant au niveau local « ne mènent jamais d’action de représentation d’intérêts pour l’élaboration des lois ou des décrets ».
Reculer pour se focaliser sur « l'empreinte normative »
« L’intention louable de transparence risque de se heurter à la réalité des faits et rendre le répertoire numérique inexploitable », a ainsi prévenu Pascale Gruny, en appui de son amendement. Fait notable : celui-ci a été déposé « en accord avec le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, M. Jean-Louis Nadal ». L’institution craint visiblement de ne pas avoir les moyens suffisants pour faire respecter le dispositif prévu par la loi Sapin 2, comme elle nous l’avait laissé entendre il y a quelques mois – à l’occasion d’un reportage sur la mise en œuvre du registre numérique de lobbyistes.
En creux, l’on comprend que la HATVP préfère se concentrer sur l’objectif premier du répertoire (faire ressortir « l’empreinte normative » des actions de lobbying sur les textes de loi et de règlement, de portée nationale), plutôt que d’avoir à répondre aux centaines de PME et d’associations locales qui voudront bientôt savoir si elles doivent s’enregistrer auprès de ses services.
Contactée, l’autorité administrative indépendante n’a pas souhaité faire de commentaire.
Le projet de loi sur le droit à l’erreur doit maintenant être examiné en séance publique, à compter du 13 mars, avant qu’une commission mixte paritaire (comprenant sept députés et sept sénateurs) ne se réunisse.