Altered Carbon aurait pu être une série où l'on nous explique à longueur d'épisodes comment des consciences sont transférées d'un corps à l'autre, sur fond de gadgets technologiques à tout va et d'IA surpuissante. Ce n'est pas le cas, et c'est tant mieux.
Début décembre, on découvrait la bande-annonce d'une nouvelle série Netflix : Altered Carbon. Un nom qui n'est pas totalement inconnu puisqu'il s'agit d'une adaptation du roman de Richard Morgan.
Se révélait un futur où la conscience humaine avait été numérisée au sein d'une « pile corticale », qui pouvait être placée dans des « enveloppes », promettant une vie presque éternelle aux plus aisés. Le tout centré autour de la société Psychasec et de Laurens Bancroft (James Purefoy), un « Math » qui vient d'être assassiné.
Un « Diplo », Takeshi Kovacs (Joel Kinnaman), est alors ramené à la vie après plusieurs siècles pour résoudre l'affaire.
Grosse communication, la crainte d'une déception
La publication de cette bande-annonce signait le lancement d'une campagne de promotion de deux mois, dont le point d'orgue était le CES de Las Vegas. La plateforme de SVOD y diffusait en effet les premiers épisodes, faisait tourner des camions publicitaires partout dans la ville. Elle avait même loué un stand sur le salon. Bref, la totale.
Ce vacarme nous avait fait craindre le pire. Tout d'abord parce que Netflix nous a déjà réservé des adaptations décevantes. Ensuite, parce qu'une telle débauche de communication peut être le signe d'une grande réussite comme d'un ratage total. Et là aussi, Netflix a quelques casseroles à son actif.
Mais nos craintes ont rapidement été dissipées. Si elle est imparfaite, Altered Carbon vaut le coup d'œil et maintient éveillé presque tout le long de ses dix épisodes. Elle est en effet portée par une histoire qui, bien que parfois un peu déroutante, est aussi tortueuse qu'imaginative. Et le duo composé de Miguel Sapochnik (réalisateur) et Laeta Kalogridis (scénariste) n'a pas lésiné sur les détails pour nous faire vivre cet univers qui se veut à la fois réaliste et porté dans un futur où la technologie est partout.
Du déjà vu, seulement en apparence
Commençons par le commencement. Le monde dépeint dans Altered Carbon peut apparaître comme un classique du genre. On y retrouve des villes surchargées, de la pollution, des publicités à tout va, des voitures qui volent et surtout une société totalement déséquilibrée, séparée en plusieurs « couches » assez bien représentées par leur « élévation ».
La violence et le sexe y sont omniprésents, les deux parfois entremêlés avec un zeste de drogue. La religion constitue un point de repère pour ceux refusant les évolutions introduites par la création de la pile. Tout cela génère de la contestation et des rebellions, qu'il s'agisse de manifestants ou de résistants, le tout sur fond de bataille juridique.
Malgré l'évolution technologique, certaines traditions ont la vie dure. Une des héroïnes parle ainsi constamment en espagnol avec sa famille, très croyante. Et tout le monde se retrouve autour de la fête des Morts (Día de los Muertos), une tradition mexicaine qui n'a pas grand-chose à voir avec notre Toussaint.
Il s'agit surtout d'un prétexte à la réflexion autour des changements imposés par la création de la pile. Un fil rouge de la série, qui pousse à s'interroger sur l'impact d'une technologie qui peut avoir des effets profondément positifs, mais pouvant aussi lever tous les garde-fous d'une humanité à la bestialité jamais très loin. Ce, tant sur le terrain de la morale que du juridique ou dans des aspects plus... pratiques.
Technologie partout, facilité presque nulle part
Au regard de la promotion essentiellement orientée « Tech » opérée par Netflix, nous avions pourtant craint de voir une histoire qui s'enlise autour de Psychasec, la création des enveloppes, le fonctionnement des piles, etc. Il n'en est rien. L'avancée technologique est diffuse, naturelle, presque invisible.
Ce n'est pourtant pas faute de multiplier les éléments évoqués. S'il est question d'autres planètes, ne vous attendez pas à voir des extraterrestres à foison, à la manière de la Cantina de Star Wars. Si les intelligences artificielles sont là, ce n'est pas forcément de manière superficielle comme un passage obligé pour faire dans la « tendance » du moment.
Pas d'IA parfaite qui guide vos journées ou de frigo qui parle ici, mais plutôt des assistants affectés à des tâches précises qui ne comprennent pas toujours les requêtes. Il est aussi question d'intelligences « fortes », qui font presque partie du passé, comme pour nous faire comprendre que l'humain a gagné cette bataille-ci. Mais tant leur fonctionnement que leur organisation ou leur rapport à l'humain est analysé, montré, détaillé.
Cette précision se retrouve à tous les niveaux, de la simple partie de jeu vidéo aux méthodes de surveillance, en passant par les interfaces et autres moyens de communication. Même les petites « tracasseries » juridiques sont là. On nous montre également comment la technologie peut être détournée par les aspects sombres de l'humain (ou l'inverse), avec l'utilisation de la réalité virtuelle comme méthode d'interrogatoire et de torture, par exemple.
Bien entendu, le scénario ne s'embarrasse pas toujours de détails, et fait parfois dans la facilité pour gagner du temps, mais c'est loin d'être une habitude dans un univers où l'on pourrait être tenté d'avoir le Deus Ex Machina facile.
Quelques défauts, mais une première saison plutôt réussie
La série est réservée aux plus de 16 ans, et c'est tout aussi bien. Elle est en effet servie avec une bonne dose de violence et de sexe (parfois gratuitement) qui ne conviendra pas à tous les publics.
Dans l'ensemble, c'est donc plutôt réussi, avec quelques défauts. Notamment les effets spéciaux, assez décevants lorsqu'il s'agit de nous montrer ce monde du futur, lui aussi dépeint avec détail et sans fioriture, notamment au niveau des costumes. La bande originale, adaptée à l'univers, ne nous a pas laissé un souvenir particulier.
Le casting est plutôt bon et fait son office, notre préférence allant à ce bon vieux Poe (Chris Conner). On sent parfois la tentative d'inspiration d'un Blade Runner et quelques références au film de 1982. Quelques plans restent en mémoire, mais il reste encore un certain gouffre à combler pour retrouver le résultat d'un Ridley Scott.
Le découpage des épisodes est assez bien pensé, avec ce qu'il faut de suspens pour nous donner envie de binge watcher, sans faire dans le trop plein de suspens. N'ayez d'ailleurs pas peur d'un affreux cliffhanger de fin de saison, souvent source de déception en cas d'abandon. Ici les dernières minutes apportent une conclusion parfaitement adaptée à l'histoire de Takeshi Kovacs.
À quand la suite ?
Bref, la seule chose qui nous manque une fois Altered Carbon terminée, c'est de ne pas en savoir plus. Sur le Protectorat des Nations Unies, les autres Maths, les différents équilibres au sein de cet univers qui semble complexe, mais que l'on nous a servi sous la loupe d'une ville où les dérives étaient multiples.
Peut-être était-ce l'objectif ? Netflix vise sans doute déjà une adaptation d'Anges déchus et Furies déchaînées, les suites du roman parues respectivement en 2003 et 2005. La réponse probablement dans les semaines qui viennent.
À l'heure où nous écrivons ces lignes, la première saison d'Altered Carbon a droit à une note de 3,8 chez Allociné, 7,6 chez Sens Critique et 8,8 chez IMDb.