SFR a attaqué Orange pour obtenir une plus grande part des déploiements de la fibre dans les agglomérations moyennes, qu'elle avait abandonnées un temps après son rachat par Numericable. Le tribunal de commerce de Paris a toutefois rejeté ses demandes. L'entreprise se réserve le droit d'interjeter appel. Explications.
L'attaque de SFR contre Orange sur le déploiement de la fibre en zones moins denses a fait un flop. La marque au carré rouge a été déboutée de ses demandes par le tribunal de commerce de Paris le 29 janvier dernier, après une procédure engagée en mai 2017.
L'opérateur reprochait à Orange d'avoir refusé une nouvelle répartition des déploiements dans les agglomérations moyennes, où ce dernier est chargé de la majorité du travail sur les 12 millions de lignes.
En vertu d'un accord signé en 2011 par les deux parties, Orange a l'exclusivité sur 7,8 millions de lignes, contre 2,4 millions pour SFR. Ce protocole suit la réponse des deux opérateurs à l'Appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII) lancé par le gouvernement en 2011, où les deux sociétés ont constaté qu'elles convoitaient toutes deux certains endroits.
Depuis, SFR a été racheté par Numericable en 2014. Devant l'Autorité de la concurrence, SFR s'était engagé à échanger des communes avec Orange. L'ADLC craignait alors que SFR n'oublie de fibrer des zones où Numericable avait déjà son câble. Ce qui n'a pas manqué d'arriver, avant que le groupe ne reprenne ses déploiements de fibre et se réveille deux ans plus tard sur son accord avec Orange.
En justice, SFR a finalement reproché à son concurrent de ne pas avoir négocié de bonne foi, comme l'y aurait obligé une clause de l'accord conclu six ans auparavant. Deux affirmations battues en brèche par le tribunal de commerce, parmi d'autres.
Une contre-mesure d'Orange à 2,2 milliards d'euros
Selon le jugement, dont nous avons eu copie, SFR demandait au tribunal de prononcer la résiliation de l'accord ou de le déclarer caduque. L'objectif ? Ou bien dégager SFR de ses obligations, ou bien obliger Orange à revenir autour de la table des négociations. En outre, l'entreprise réclamait 100 000 euros de préjudice à Orange.
Pour sa part, Orange a plaidé au rejet des demandes de SFR et de l'astreindre à exécuter le contrat, et donc déployer la fibre sur toute la zone qui lui est allouée dans les délais convenus.
Dans le cas où le tribunal aurait suivi SFR, l'opérateur historique demandait 2,245 milliards d'euros de dommages et intérêts. Pourquoi ? Au titre de « l'arrêt de la souscription obligatoire par SFR à l'offre de gros d'Orange » sur les millions de lignes qu'Orange doit fibrer pour les quatre opérateurs nationaux.
Une clause au cœur des débats
Sur le fond, la marque au carré rouge a réclamé le déclenchement d'une disposition de l'accord pour obliger Orange à accepter une renégociation. Une procédure programmée en cas de « survenance d'évènements nouveaux affectant la cohérence initiale », par exemple un « changement de contexte » législatif ou réglementaire, mais la liste n'est pas limitative.
Dans la version initiale de l'accord, « SFR bénéficiait au titre de ce protocole de communes à plus fort rendement même si Orange disposait d'un plus grand nombre de communes, ce qui permettait à chaque opérateur de dégager une rentabilité équivalente » note SFR . Les deux se sont engagés à une couverture « avant 2020 ».
Depuis son rachat par Numericable, « l'équilibre contractuel a été fortement bouleversé » estime le groupe. De quoi l'activer, donc ? Non, répond le juge. « En effet, le bouleversement de l'économie du protocole allégué par SFR comme résultat de l'engagement souscrit n'est pas un élément nouveau extérieur indépendant des parties, ce que SFR a d'ailleurs admis » écrit le tribunal de commerce.
Deux propositions, deux refus
Dans tous les cas, l'Autorité de la concurrence avait demandé la réouverture des discussions fin 2014, laissant six mois à SFR pour s'arranger avec l'opérateur historique. SFR a donc attaqué Orange sur le terrain de la bonne foi dans ces négociations.
Le détail, jusqu'ici inconnu, apparaît désormais. La première phase de négociations a été ouverte le 4 février 2015. Elle consistait en une première proposition de lever l'exclusivité de SFR sur 160 communes (800 000 prises), en échange de 3,1 millions de prises en zones Orange. Autant dire qu'elle était peu équilibrée. « SFR a admis que c'était une proposition volontairement basse de début de négociation » note le tribunal.
Une seconde proposition a suivi le 16 juin, avec 172 communes rétrocédées à Orange, en échange du même nombre de prises (inconnu). Le 30 juin, Orange a déclaré officiellement à SFR que « cette proposition ne visait selon elle qu'à retarder le déploiement de la fibre dans les zones où Numericable disposait d'un réseau câblé ». Une belle fin de non-recevoir.
L'échec des négociations est constaté le 22 juillet 2015. L'exclusivité de SFR sur 208 communes a été levée, permettant à Orange d'y déployer sans contrepartie. Pourtant, en ne mettant pas de contre-proposition sur la table, Orange n'aurait pas négocié de bonne foi selon SFR. D'autant qu'Orange serait en retard sur ses déploiements ; ce dont son concurrent l'accuse de manière croisée.
Pour le tribunal de commerce, il est impossible d'établir un éventuel retard d'Orange, vu que SFR n'a pas saisi le comité de pilotage prévu dans l'accord. De plus, l'opérateur historique est resté ouvert à la discussion, en atteste une lettre du 5 avril 2017 proposant un nouvel échange de prises. Il n'est donc pas possible de l'accuser de mauvaise foi.
Le jeu du chat et de la souris en zones AMII
Le tribunal déboute donc SFR de ses demandes et le condamne à verser 100 000 euros à Orange, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Contacté, SFR nous répond longuement : « Face aux enjeux du gouvernement d’apporter le très haut débit partout en France, une meilleure répartition aurait permis un déploiement plus rapide de la fibre sur le territoire grâce aux capacités réunies des deux opérateurs. En effet, SFR, avec plus de 10,5 millions de prises offrant un débit supérieur à 100 Mbit/s, dispose aujourd’hui de la première infrastructure « excellent débit » en France selon les termes du gouvernement, seule alternative à celle d’Orange, seule garantie d’une véritable concurrence par les infrastructures en France. Il en sera donc autrement avec le risque, à terme, de reconstitution d’un monopole sur la boucle locale fibre ».
Pour résumer, « SFR regrette cette décision et se réserve la possibilité d’interjeter appel ».
Pour sa part, Orange se refuse à tout commentaire, renvoyant vers ses déclarations précédentes. En somme, elle maintient être en mesure de déployer sur l'ensemble de la zone prévue d'ici 2020, sans besoin de redistribuer certaines prises entre ses concurrents. Il garde la responsabilité de l'immense majorité des zones AMII, avec cofinancement des autres opérateurs.
Dans les faits, comme nous le révélions en septembre, les deux entreprises mènent une course sur trois millions de lignes en zones AMII baignant dans un flou artistique, alimenté par ce différend. Dans des villes où Orange signe des conventions de déploiement avec les collectivités, SFR lui grille la priorité sur la pose des armoires de rue, l'élément qu'il n'est pas question de doublonner physiquement, tout en tentant de signer des conventions avec les mêmes collectivités.
Orange, lui, déposerait des demandes pour des poses d'armoires dans des zones préemptées par SFR... dans un contexte où l'Avicca, une association de collectivités, accuse les deux opérateurs de retards importants (voire de gel) de déploiements sur des millions de lignes.