Emmanuel Macron a esquissé hier de nouvelles lignes du projet de réforme constitutionnelle que devrait présenter le gouvernement « dans les semaines qui viennent ». Le chef de l’État est tout particulièrement revenu sur les transformations concernant le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Inutile, coûteux, quasiment inconnu du grand public... Le CESE n’a guère la cote. Cela fait d’ailleurs plusieurs années que certains proposent la suppression pure et simple de la « troisième assemblée » constitutionnelle, dont le rôle consiste à éclairer les travaux du législateur, notamment au travers d’avis.
L’institution ne devrait pas pour autant disparaître. Dans le prolongement de son discours de cet été devant le Congrès, Emmanuel Macron a confirmé mardi 30 janvier, à l’occasion de ses vœux aux corps constitués, que le Conseil avait vocation à se transformer en « une grande interface de concertation entre les pouvoirs publics et la société civile ».
Le président veut faire du CESE le « canal privilégié de la participation des Français à la décision publique », une véritable « Chambre du futur » adaptée aux nouvelles formes de « démocratie numérique ».
Le CESE, future « pierre angulaire » des consultations en ligne ?
Dans le cadre du projet de révision constitutionnelle, « nous proposerons de faire du CESE le point de passage des consultations gouvernementales sur les projets de loi en matière économique, sociale et environnementale », a annoncé le chef de l’État. En contrepartie, différentes commissions consultatives (les fameux « comités Théodule ») seront supprimées.
Emmanuel Macron souhaite surtout que « le gouvernement puisse déléguer au CESE l'organisation de consultations publiques sur tout projet de réforme » – à l’image de celle déployée, par exemple, sur l’avant-projet de loi Numérique. Il appartiendra à l’institution « de rechercher la participation du plus grand nombre (organisations comme citoyens) à ses propres travaux, mais aussi de recourir à des expertises indépendantes pour rendre des avis plus éclairés et plus étayés que nous ne l'avons aujourd'hui », a poursuivi le président.
Le Conseil pourrait ainsi se voir confier l’organisation de l’intégralité des consultations en ligne décidées par l'exécutif, plutôt que chaque ministère lance « sa » consultation, selon des modalités bien souvent très différentes.
Emmanuel Macron a au passage prévenu que cette « Chambre du futur » devrait éclairer le gouvernement « sur les impacts à long terme de ses projets de loi, sur les conséquences de ceux-ci au-delà du court terme ». « Il faudra jeter des ponts entre le CESE et la communauté scientifique, afin que le Conseil puisse être éclairé en toute indépendance par des analyses scientifiques pointues sur les sujets dont il sera saisi et qu'il puisse à son tour rendre des avis utiles aux pouvoirs publics » a-t-il également souligné.
Une courroie de transmission des pétitions
Le locataire de l’Élysée estime que « le CESE doit devenir le réceptacle des pétitions citoyennes, avec la possibilité de recueillir des signatures numériques, sur une plateforme dédiée à cet effet ». L’idée est qu’à partir d’un certain seuil, « par exemple celui de 500 000 signatures », « le CESE puisse voter leur transmission au gouvernement, mais aussi aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale, pour y déclencher un débat ».
Emmanuel Macron n’a pas détaillé quels seraient les internautes autorisés à « voter » pour des pétitions, ni comment ceux-ci pourraient s'authentifier. Il a cependant précisé que « la jonction de plusieurs pétitions identiques » serait possible.
Cette prise de position de la part du chef de l’État devrait satisfaire le CESE, qui travaillait depuis des mois à une telle évolution de ses compétences. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le Conseil peut en effet recevoir des pétitions citoyennes (auxquelles il reste libre de choisir « les suites qu'il propose d'y donner »), mais uniquement sur support papier.
Pour être recevable, toute pétition doit de surcroit remplir une série d’impératifs « pratiques » pour le moins rédhibitoires... Il faut tout d’abord qu’au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant régulièrement en France, signent le texte en question. Chacune d’entre elles doit pour cela avoir laissé ses noms et prénoms ainsi que son adresse postale complète, de même qu’une signature manuscrite. Le tout doit ensuite être envoyé au CESE par liasses de cent, contenues dans des cartons numérotés, etc.
Le CESE se prépare d'assez longue date à l'évolution de ses compétences
Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 30 octobre dernier, le secrétaire général du CESE a ainsi raconté qu’une seule procédure était jusqu’ici arrivée à son terme, en 2013, au sujet du mariage pour tous. « J’étais bien embarrassé pour vérifier l’authenticité de ces 700 000 signatures et repérer les éventuels doublons, triplons ou quadruplons, a-t-il admis. Sans une dématérialisation bien organisée, il nous est quasiment impossible de traiter une telle pétition. »
« Nous sommes convaincus qu’il faut permettre la dématérialisation pour donner sa pleine effectivité à cette disposition » avait-il insisté, expliquant que « sur papier, le dénombrement, la vérification et l’archivage sont impossibles ». L’institution plaide ainsi pour que la Constitution lui permette dorénavant de recevoir des pétitions présentées « par voie électronique ».
En attendant, le CESE a trouvé la parade pour commencer à prendre en compte les avis des internautes : il surveille les sites spécialisés (de type Change, MesOpinions, Avaaz...) afin d’identifier des thèmes sur lesquels le Conseil pourrait s’auto-saisir.
« Cette veille quotidienne nous permet d’établir une première sélection, à l’aide d’une grille de recevabilité : la pétition doit entrer dans notre champ de compétence économique, social et environnemental, être conforme à nos orientations stratégiques et elle doit pouvoir être formulée dans les termes d’une autosaisine du Conseil selon les formes qui sont les nôtres, avait expliqué Luc Machard. J’ajoute que nous excluons celles qui concernent une seule personne, une seule entreprise ou un seul territoire. »
L’institution s’est ainsi auto-saisie sur le thème des déserts médicaux.
Quant à une éventuelle extension de ses compétences aux consultations, le CESE s’y prépare là aussi de longue date, puisqu’il a lancé ces dernières années différentes initiatives en la matière (avec notamment une plateforme sur l’orientation des jeunes).
Un dernier point, et non des moindres, risque néanmoins de contrarier l’institution : Emmanuel Macron souhaite réduire ses membres « de moitié ». De 233 conseillers (désignés au sein de la société civile : artisans, représentants de salariés, etc.), le CESE n’en compterait plus que 116 ou 117. Le chef de l’État propose en guise de bonne volonté de renoncer aux 60 « personnalités associées » nommées à titre complémentaire par le gouvernement.
Des e-pétitions auprès de l’Assemblée nationale et/ou du CESE ?
Les projets du locataire de l’Élysée risquent d’autre part de se télescoper (au moins pour partie) avec ceux du président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, qui souhaite de son côté revoir le droit de pétition exerçable directement auprès du Palais Bourbon. Lors de ses vœux à la presse, le 11 janvier, l’ancien élu EELV a plaidé pour qu’une « forte mobilisation des citoyens déclenche automatiquement un droit d’interpellation de la représentation nationale », selon les seuils suivants :
- Une pétition recueillant plus de 10 000 signatures « bénéficierait d’une réponse de la commission compétente ou du rapporteur d'un texte de loi ».
- À partir de 100 000 signatures, les auteurs de la pétition « seraient entendus par la commission compétente qui organiserait un débat et pourrait prendre une initiative législative ou de contrôle ».
- Au-delà du million du signatures « et si 1/10ème des parlementaires soutenait l'initiative, un débat serait automatiquement inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ».
Afin de peaufiner cette réforme, François de Rugy a annoncé que la commission des lois de l'Assemblée nationale allait engager « une réflexion » sur ce dossier, en association avec le CESE, dans l’objectif de présenter des propositions « au cours du premier trimestre 2018 ».
« Ce n'est pas l'outil qui fait la démocratie, c'est la façon dont on s'en sert »
Si l’extension des modes de participation citoyenne est généralement bien perçue, nombre d’acteurs mettent en garde contre les suites qui sont données par les responsables publics à ces initiatives. « Si le sujet c'est seulement de rassurer les gens, de leur donner le sentiment qu'on les écoute, de leur laisser un petit espace d'agitation, on ratera la cible » avait par exemple prévenu Henri Verdier, le numéro un de la Direction interministérielle au numérique (DINSIC), devant l’Assemblée nationale. Avant d’ajouter : « Beaucoup d'institutions se sentent en situation de défiance et veulent restaurer de la confiance. Et beaucoup se plantent parce qu'elles veulent restaurer la confiance pour refaire de l'abus de confiance. »
« Ce n'est pas l'outil qui fait la démocratie, c'est la façon dont on s'en sert » abondait Henri Isaac, maître de conférences en management des systèmes d'information et président du think tank Renaissance numérique. « Il ne faudrait pas que les consultations numériques deviennent les nouveaux hygiaphones de la démocratie, et établissent des barrières entre les citoyens « experts » et ceux, « non experts », qui ne savent même pas que ces consultations existent... »