Mozilla vient d'annoncer la mise en place d'éléments sponsorisés au sein de Firefox, à travers l'intégration de Pocket. Le tout est désactivable, mais déjà très contesté. Pourtant, c'est la dépendance à Google de la fondation qui devrait inquiéter, notamment les défenseurs de la vie privée.
Avec le lancement de Firefox 57 (puis 58), le navigateur de Mozilla est revenu sur le devant de la scène, au moins sur le plan médiatique. Il est encore trop tôt pour savoir si cela aura de véritables effets sur sa part de marché à long terme, mais les derniers chiffres fournis par des outils comme Net Marketshare et StatCounter continuent de placer le navigateur entre 12 et 15 % environ, stable sur la fin de 2017.
Il faut dire que la montée en puissance de Chrome ces dernières années a été fulgurante, bien poussée par Google et ses différents services, mais aussi par l'intégration de nombreuses fonctionnalités et une base d'extensions assez large.
Outre ses meilleures performances et un écosystème renouvelé, Firefox doit donc à nouveau faire la différence. Et pour se distinguer du géant de la publicité en ligne, quoi de mieux que le respect de la vie privée ? Surtout à l'approche de nouveaux textes européens comme le RGPD ou ePrivacy, attendus pour mai prochain.
Problème : les choix de l'équipe ne sont pas toujours en accord avec les grands principes régulièrement mis en avant. Un souci un peu plus complexe qu'il n'y paraît.
Firefox veut protéger votre vie privée
Ce vendredi, Mozilla profitait de l'arrivée imminente de la journée européenne de la protection des données pour contacter la presse et lui « parler de ce sujet primordial et faire tomber quelques idées reçues ».
Ici, pas de grande annonce ou de nouveauté importante pour le navigateur, qui a déjà introduit de nombreux éléments dans Firefox 57 Quantum. Simplement le rappel qu'« il est maintenant possible de naviguer sur le web grâce à Firefox sans être pisté. L’utilisateur peut activer la protection contre le pistage par défaut en mode navigation normale ».
C'est loin d'être la seule possibilité du navigateur en la matière, mais elle reste simple et a un effet relativement visible puisque ce blocage des trackers est en réalité un bloqueur publicitaire basé sur les listes de Disconnect.
Mozilla est très active sur le terrain ces derniers temps, notamment avec son projet Focus ou l'intégration de ce dispositif aux FireTV d'Amazon. Mais aussi de manière plus générale avec le Tailing ou des projets comme l'alerte en cas de Canvas fingerprinting, la first party isolation, les contextes, etc. (voir notre analyse).
Des éléments jusqu'à maintenant peu mis en avant, mais les choses évoluent doucement. Ainsi, il y a quelques jours, un billet de blog évoquait certains points, entre autres conseils d'utiliser un VPN ou Tor Browser.
Les contextes : une fonctionnalité encore optionelle dans Firefox
La question du financement de Mozilla
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si l'on s'arrêtait là. Mais une annonce effectuée il y a quelques jours a fait grand bruit, notamment chez ceux qui s'opposent au tracking et au modèle publicitaire.
Mozilla a en effet indiqué qu'elle allait commencer à utiliser Pocket de manière commerciale. Pour rappel, il s'agit d'un gestionnaire de liens (voir notre dossier) misant sur l'abonnement pour se financer. Il a également mis en place une offre de recommandations sponsorisées avant son rachat par la fondation en février 2017.
Ces éléments pourront apparaître dans la page affichée lors de la création d'un nouvel onglet. L'équipe a eu beau préciser qu'il ne s'agissait pour le moment que d'un test sur une portion des utilisateurs aux États-Unis, que tout était désactivable d'un simple clic, que les données personnelles étaient préservées, et que tout se ferait de manière transparente, le mal était fait.
De nombreux utilisateurs opposés au modèle publicitaire par principe ont fait part de leur mécontentement, le plus souvent sans se poser la question de la raison de cette annonce. Car on oublie bien souvent que Mozilla est une structure qui doit se financer. Actuellement, elle reste très dépendante de son contrat avec Google, dont elle avait tenté de se débarrasser au profit de Yahoo!, avant de devoir faire machine arrière.
Les dons et autres ventes de goodies n'étant pas franchement de nature à couvrir la différence, la fondation doit diversifier ses revenus. La publicité pratiquée à travers Pocket et les recommandations de contenus sponsorisés sont des moyens d'assurer une plus grande indépendance vis-à-vis du géant du Net. L'idée n'est d'ailleurs pas nouvelle, l'équipe ayant à une époque tenté de mettre en place des tuiles sponsorisées, sans succès.
Google addict
Cette volonté de diversification, si elle est imparfaite, est donc la bienvenue. Car la dépendance à Google est un véritable problème pour Mozilla... notamment sur le terrain du respect de la vie privée.
Ainsi, outre l'impossibilité de mettre plus en avant des alternatives comme DuckDuckGo ou Qwant – excepté à travers des partenariats spécifiques – on retrouve de manière récurrente un service de Google sur les sites et projets de la fondation : Analytics. Et ce, le plus souvent sans même afficher le fameux « bandeau cookies » obligatoire en Europe. Assez ironiquement, c'est d'ailleurs le cas sur le billet de blog évoquant les initiatives de Firefox en matière de vie privée.
Google Analytics est pourtant l'un des dispositifs de suivi des internautes les plus présents qui soit. Certes, il peut être bloqué à travers la protection contre le pistage du navigateur, mais on s'attendrait à ce qu'une structure qui défend la vie privée exploite plutôt un service comme Piwik/Matomo. Il n'en est rien.
Peu de trackers, mais le principal d'entre eux est là
Choisir ses combats
Ainsi, plutôt que de critiquer la volonté de Mozilla de diversifier ses revenus, fût-ce avec un peu de publicité, il faudrait plutôt s'inquiéter de la dépendance continue de la fondation à un Google qui peut décider de stopper son financement du jour au lendemain. Car c'est là que réside le véritable danger.
Surtout que l'introduction d'éléments sponsorisés semble se faire de manière plutôt correcte au niveau des engagements envers l'utilisateur, avec la possibilité de désactiver facilement le dispositif.
Si des revenus substantiels étaient tirés d'une telle activité, on pourrait espérer voir Mozilla se détacher enfin du géant du Net, lui permettant ainsi de tenir un discours plus cohérent vis-à-vis de ses actes.