Copie privée : Acer, Motorola et Sony condamnées à payer 47 millions d’euros

Bonne année Copie France !
Droit 6 min
Copie privée : Acer, Motorola et Sony condamnées à payer 47 millions d’euros

Les trois fabricants de supports ont été condamnés le 19 janvier 2018 par le tribunal de grande instance de Paris à payer quelque 47 millions d’euros à Copie France, la société perceptrice de la « rémunération » pour copie privée. Une somme correspondant aux redevances dues pour la période du 1er janvier 2013 au 1er juillet 2017.

Acer Computer France, à l’instar des deux autres fabricants de supports assujettis, avait suspendu le paiement de la redevance copie privée au début de l’année 2013.

À l’époque, cette redevance avait été calculée sur le fondement du barème n°15 voté par la Commission copie privée. Une instance de 12 ayants droit, 6 représentants des consommateurs et 6 autres des industriels, chargée d’établir l’assiette et le taux de redevance visant les tablettes, smartphones, disques durs externes, clefs USB, box, etc.

Pour prendre les devants, les fabricants avaient assigné Copie France pour contester leur créance. Pourquoi ? Car à l’époque, plusieurs industriels suspectaient l’illégalité de ce barème 15, voté après leur démission, au point qu’ils l’avaient attaqué devant le Conseil d’État.

Toutefois, le 19 novembre 2014, la haute juridiction administrative a rejeté leur recours en annulation (voir notre actualité).

Mieux, en référé, le 27 septembre 2016, le TGI de Paris a ordonné aux trois fabricants le paiement d’une provision sur les sommes finalement dues depuis janvier 2013. Tous se sont exécutés, mais défendus par Me Soubelet-Caroit, ils ont poursuivi leur action au fond devant le TGI de Paris.

Des redevances qui ne frappent pas des copies privées

Selon eux, le droit français n’est pas dans les clous du droit européen, en particulier de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur, parce que la décision 15 contestée vient frapper trois sortes de copies ne constituant pas des copies privées.

Les premières concernent les copies de sauvegarde ou de migration.

Les deuxièmes visent les copies déjà autorisées par les ayants droit. Or, ponctionner de la redevance sur les supports qui servent à accueillir par exemple les cinq copies autorisées par iTunes engendre finalement une surcompensation des ayants droit. Ceux-ci ont en effet déjà contractualisé ces duplications, contre paiement d’une licence.

Enfin, la décision 15 n’exclurait pas correctement les copies effectuées par des professionnels : s’il existe une présomption que les supports achetés par les personnes physiques tombent dans le champ de la copie privée, une autre présomption doit exclure les supports achetés par les professionnels. Certes, il existe en France un mécanisme de remboursement de ces acteurs, mais les montants rétrocédés sont dérisoires.

Une série de questions préjudicielles

Calculette en main, chacun a demandé un abattement de 78 %. Ils ont également soulevé une question préjudicielle pour faire éprouver ce régime sur l’autel de la Cour de justice de l’Union européenne :

  • « Une législation nationale permettant de soumettre à la redevance pour copie privée tous types de copies, sans aucune distinction de leur finalité et, par là même, du préjudice potentiel qu’elles seraient susceptibles de causer aux titulaires de droits, est-elle conforme à la directive 2001/29 telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier aux principes de juste équilibre et d’interprétation stricte des exceptions ? »
  • « Une législation nationale autorisant les titulaires de droits à autoriser, le cas échéant moyennant rémunération, des actes de reproduction à usage privé tout en soumettant ces mêmes copies à la redevance pour copie privée, est-elle conforme à l’article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne ? »
  • « Un système national de redevance pour copie privée dans lequel il incombe à tout professionnel, personne physique ou morale, pour bénéficier de l’exclusion du paiement de ladite redevance, d’apporter la preuve de l’absence de tout usage de copie privée des matériels acquis à des fins professionnelles qu’ils soient, ou non, mis à disposition de tiers, à des fins professionnelles, est-il conforme à l’article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne ? »
  • « Un système national de redevance pour copie privée dans lequel l’exonération ou le remboursement du redevable est, en toutes hypothèses, conditionné à la conclusion d’une convention d’exonération par l’utilisateur final professionnel est-il conforme à l’article 5.2 b de la directive 2001/29 tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne ? »

Les arguments en défense de Copie France

En face, Copie France a répondu que ces fabricants en demandaient finalement beaucoup trop au tribunal : réécrire la décision 15, qui est un acte règlementaire, en lui ajoutant des paramètres supplémentaires. Réécrire la loi du 20 décembre 2011 sur la copie privée en faisant bénéficier, « en totale contradiction avec le droit de l’Union, le redevable (…) d’une exonération de plein droit, grâce à une présomption d’usage professionnel ».

Sur le cas d'iTunes (et ses équivalents), le percepteur de la copie privée ajoute que « l’autorisation d’un auteur à la reproduction de son œuvre n’a aucune conséquence sur la rémunération équitable, de sorte qu’il ne peut être reproché de ne pas avoir exclu de l’assiette de la rémunération, les copies contractuellement autorisées ».

Enfin, le barème 15 a été établi en concertation au sein de la commission copie privée et il exclut bien les copies ne constituant pas des actes de copie privée.

Toujours selon cette société civile, le droit français est enfin conforme à la directive sur le droit d’auteur, prévoyant une exception des biens achetés par les professionnels grâce à un mécanisme de remboursement ou d’exception. 

Pas d’effet direct de la directive sur le droit d’auteur

Le TGI de Paris va suivre les positions de Copie France. Suivre les prétentions des demandeurs, reviendrait à réécrire les dispositions légales et règlementaires, « ce qui excède manifestement les limites de l’intervention du juge ».

Par exemple, imaginer un mécanisme d’exonération totale pour tous les supports acquis par les professionnels impliquerait de réécrire la loi du 20 décembre 2011, ce qui n’est pas dans son pouvoir.

De plus, et surtout, aucun des fabricants n’est en droit d’invoquer directement la directive de 2001 sur le droit d’auteur, et ce dans l'espoir d'écarter les dispositions nationales qui seraient, comme ils le soutiennent, contraires à celle-ci. Une règle qui tient au fait que les directives n’ont pas d’effets directs dans les litiges privés, ici entre une société civile et une société commerciale.

Le tribunal a enfin balayé rapidement la question préjudicielle, jugeant cette procédure non nécessaire.

Plus de 47 millions d’euros à payer

Au final, Sony Mobile Communications AB sera condamnée au paiement des redevances pour copie privée dues pour la période entre le 1er janvier 2013 et le 1er juillet 2017, soit 27,61 millions d’euros. Acer sera condamnée pour sa part à 12,17 millions d’euros, et Motorola à 7,5 millions d’euros, soit au total un peu plus de 47 millions d’euros.

Compte tenu des sommes en jeu, il ne serait pas étonnant que les fabricants fassent appel, d’autant que la CJUE a considéré dans un arrêt du 22 septembre 2016 que les flux identifiés comme uniquement professionnels devaient bien être mis à l’écart de toute perception.

De plus, dans la lignée d'un autre arrêt de la CJUE (dit Foster), la Cour de cassation a jugé que le droit européen pouvait avoir un effet direct, lorsqu’un organisme d’un État dispose de pouvoirs exorbitants, ce qui pourrait être le cas de Copie France, société de perception agréée par le ministère de la Culture disposant d'agents assermentés. 

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