Coup sur coup, Facebook vient d'annoncer deux changements importants dans le tri et l'affichage du flux d'actualité de ses utilisateurs. De quoi faire réagir les médias, qui sont parfois largement concernés. Reste à se poser les bonnes questions.
Facebook vient d'annoncer que, désormais, ses utilisateurs verraient moins de contenus issus des pages. Cela concerne les marques, mais aussi les éditeurs de presse. Autant dire que le secteur a accueilli la nouvelle plutôt froidement, analyses et éditos se multipliant pour expliquer en quoi la décision de Facebook est mauvaise (ou bonne) pour nos démocraties.
Il faut dire que de nombreux titres ont beaucoup surfé ces dernières années sur le trafic que pouvait leur envoyer le réseau social, n'hésitant pas à optimiser leurs contenus, leurs titres et les sujets traités à ce qui « fonctionne » le mieux auprès du public d'un tel service. Au risque d'en devenir dépendants.
Mais ce n'était que la première étape et Facebook vient de dévoiler son « deuxième effet Kiss Cool » : la mise en avant du « contenu de haute qualité ». Pour ceux qui suivent un peu le secteur, il s'agit d'une sorte de tarte à la crème évoquée par les géants du Net dès qu'il s'agit de trier des informations à travers leurs algorithmes.
Google est déjà assez coutumier du fait, sans jamais vraiment avoir réussi à convaincre. Ce, malgré les nombreuses mises à jour au sein de ses résultats de recherche ou de son service d'actualités.
Distinguer le contenu de qualité, cette vieille promesse
Il s'agit en général de sélectionner en priorité les contenus de certains médias (gratuits) au dépend de tout le reste, parfois avec des « tags » qui n'ont à peu près aucun sens vu la façon dont ils sont utilisés : contenu exhaustif, éditorial, etc.
Mais Facebook le promet, après avoir travaillé des mois à lutter contre les fake news et le contenu « putaclic », il sait quelle est la solution : mettre en avant en priorité le contenu de sources fiables, que les gens trouvent informatives, qui concernent des communautés locales. Quoi de plus simple ?
Pour cela, dès cette semaine, des tests vont être menés sur le terrain des sources de confiance. Comment ? « Nous avons interrogé un échantillon représentatif et divers de personnes utilisant Facebook à travers les États-Unis pour jauger leur familiarité, et leur confiance, dans différentes sources d'information. Ces données vont nous aider à effectuer un classement au sein du flux d'actualité » précise Adam Mosseri, en charge du flux d'actualités.
Sondages et questionnaires pour sauver la démocratie, quid de la méthodologie ?
C'est donc un sondage qui va déterminer de l'accès possible à telle ou telle source d'information. Une pratique qui risque de favoriser les gros acteurs, qui ne sont pas toujours infaillibles, et qui risque d'inciter ceux qui défendent tel ou tel site à chercher à influencer ces sondages.
Le précédent du Decodex en France a d'ailleurs montré combien il pouvait être difficile de classer les sites d'information. Mais l'astuce ici c'est que rien ne semble prévu pour faire cela de manière transparente. L'histoire ne dit en effet pas comment Facebook analyse la fiabilité de sa propre méthodologie ou des personnes interrogées, aucun détail n'est ainsi donné sur le sujet, ce qui semble pourtant être la moindre des choses.
Seule information : des tests devraient être menés dans un second temps à l'international. Rien n'a pour le moment été précisé pour la France, où Facebook compte beaucoup investir dans les prochaines années.
Mais ce n'est pas tout. Car ce dispositif de sondage sera accompagné d'une analyse du fait que tel ou tel site est considéré comme informatif ou non. Cela passera par l'avis des internautes, sans aucun détail sur la méthodologie. Facebook précise seulement qu'il va renforcer d'un dispositif annoncé en 2016 qui vise à demander de classer le niveau d'information d'un contenu sur une échelle de 1 à 5.
Là aussi, on aimerait savoir comment le site compte se préserver de ceux qui chercheront immanquablement à influencer ses résultats et comment les médias de petite taille, de taille intermédiaire, ou même spécifiques à certains sujets (parfois controversés) seront concernés.
D'ailleurs, qu'est-ce qui sera considéré comme un média ou une source d'information ? N'importe quel site, ceux édités par une société de presse ? Qui sera en charge de faire la différence ? Est-ce que les initiatives française ou européenne auront leur rôle à jouer dans tout ça ? Impossible à dire.
Un réveil difficile pour certains, un problème de fond à régler pour tous
Pour beaucoup, cette série d'annonces sera la découverte qu'une société privée telle que Facebook fait ce qu'elle veut avec son flux d'actualités, même si cela concerne l'accès à l'information de millions de citoyens de par le monde.
Pourtant, la problématique n'a rien de nouveau et se pose depuis que Google News est devenu une source importante d'information, les plateformes étant depuis bien longtemps de véritables péages pour les médias. Mais voilà, désormais, les préoccupations des uns n'est plus celle des autres et les intérêts divergent. Chacun prend donc position.
On devrait alors continuer de voir les médias multiplier les éditos et autres analyses pour critiquer la position de Facebook. En attendant, continuera la question à laquelle aucun gouvernement n'a pour le moment répondu : comment pousser ces plateformes à prendre leurs responsabilités, et devant le rôle qu'elles jouent dans l'accès à l'information, les inciter à publier un peu plus qu'un billet de blog lorsqu'elles revoient leurs intentions.
Permettre aux citoyens d'avoir un plus grand contrôle sur les contenus qui lui sont proposés dans le flot incessant des médias en ligne est sans doute une bonne chose. Mais il faut savoir aller plus loin que les grandes phrases et les invocations de questionnaires et autres sondages : il faut préciser les méthodes et les outils employés, et permettre à des tiers de juger de leur pertinence, quitte à revoir les règles si elles ne sont pas dans l'intérêt de chacun.
Un point sur lequel Facebook ne semble pas pressé d'évoluer, mais peut être que face à d'éventuels nouveaux débordements à venir, cela fera partie des prochaines bonnes résolutions de début d'année de Mark Zuckerberg.