Ce matin, Anne-Marie Idrac était au Sénat pour revenir sur le cas des véhicules autonomes, leurs expérimentations et le cadre juridique en France. Les attentes sont nombreuses sur le sujet, aussi bien du côté des professionnels que des particuliers et des collectivités.
Fin novembre, le gouvernement nommait « Anne-Marie Idrac haute responsable au véhicule autonome pour coordonner les travaux gouvernementaux français dans ce domaine ». Elle était ce matin à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat afin de faire un premier point.
Durant plus de 90 minutes, elle a donc détaillé la position de la France sur le sujet, expliqué son rôle et répondu, dans la mesure du possible, aux nombreuses questions des sénateurs. Si elle n'a pas fait de déclarations fracassantes, son intervention permet de faire un (nouvel) état des lieux, de mettre en lumière des points devant être améliorés et enfin d'avoir une idée plus précise de la direction des travaux en cours.
La France est-elle en retard sur le véhicule autonome ? Oui... et non
En guise d'introduction, Hervé Maurey, président de la commission, rappelle à juste titre que « la France n'est pas spécialement en avance sur le sujet ». Un point de vue que ne partage pas vraiment Anne-Marie Idrac qui déclare pour sa part : « Je ne suis pas d'accord avec l'idée que la France serait en retard ».
Elle ajoute même que, « à Las Vegas, nos équipementiers ont tout à fait tenu la route ». Lors de son intervention au Sénat, elle a d'ailleurs affirmé que « sur le véhicule autonome, la France est très bien positionnée ». Si du côté des progrès techniques et du savoir-faire nous ne sommes effectivement pas en retard (de nombreuses expérimentations de sociétés françaises se déroulent actuellement, pas uniquement dans l'Hexagone), ce n'est pas le cas du cadre légal qui doit évoluer rapidement, ce dont Mme Idrac semble être consciente.
Attentes des acteurs : un cadre juridique, l'éthique aux abonnés absents
Elle s'explique ensuite sur son rôle qu'elle présente comme « un travail d'animation autour du projet de stratégie nationale ». Elle organise pour cela une consultation qui se terminera à la fin de la semaine (vendredi 19 janvier). Les conclusions définitives ne sont donc pas encore connues, mais elle peut d'ores et déjà livrer les premiers éléments basés sur les retours dont elle dispose déjà.
Pour la haute responsable, les professionnels ont des attentes très claires. Premièrement, « faire évoluer le cadre réglementaire pour faciliter les expérimentations, et en particulier l'absence de vigilance à un niveau 3 » afin d'avoir « un cadre sécurisé sur le plan juridique ». Deuxièmement, « mettre en place un plan national, non seulement d'expérimentation, mais aussi d'outils permettant d'accélérer l'homologation des véhicules ».
Il ressort également des consultations que la question des véhicules autonomes doit s'intégrer dans une approche globale de la mobilité (elle va notamment de pair avec celle des véhicules partagés). Souhait a également été exprimé que les résultats des expérimentations soient accessibles à tous les acteurs.
Dans tous les cas, cela doit se conjuguer avec « un partage de ce que l'on retient de ces expérimentations ».
Enfin, dernier point abordé par la haute responsable : « les questions d'acceptabilité sociale et éthique »... même si, « en réalité je n'ai pas eu de remontés sur les questions éthiques » précise-t-elle. Avec Élisabeth Borne, ministre chargée des transports, Anne-Marie Idrac souhaite justement définir ces notions éthiques et de responsabilité, ainsi que les problématiques s'y rattachant.
Par exemple, « la question des femmes ou des enfants d'abord, résolue avec les conducteurs humains par nos réflexes et notre culture ». Mais il en existe bien d'autres (lire notre analyse). C'est un sujet sur lequel travaillent notamment les assureurs ajoute-t-elle.
Trois thèmes pour la stratégie publique : expérimenter, sécuriser et accompagner
En février, un document interministériel s'appuyant sur ces travaux sera publié. Il s'agira alors de définir les thèmes importants de la « stratégie publique » pour la période qui arrive, « mettons cinq ans ». Un calendrier en adéquation avec les évolutions prévues par les fabricants automobiles, toujours selon la haute responsable.
Trois thèmes sortent du lot pour Anne-Marie Idrac : « expérimenter », comme le font déjà d'autres pays, « sécuriser, qu'il s'agisse de la sécurité juridique ou de la sécurité routière », et enfin « accompagner, que ce soit en termes de formation des conducteurs, de politique urbaine, de mobilisation des autorités ».
La haute responsable explique que 2022 sera une « étape importante » avec des voitures proposant de hauts niveaux de services et certainement la possibilité pour le conducteur de déléguer tout ou partie de la conduite (non-vigilance). Certains constructeurs comme Renault sont plus optimistes et pensent proposer des voitures de niveau 4 dès 2020 (lire notre interview), à condition que la législation évolue.
Pour rappel, même si des voitures proposent déjà une assistance parfois très évoluée, avec la possibilité de changer de voie, d'accélérer ou de freiner, le conducteur doit toujours rester vigilant et prêt à reprendre le contrôle à tout moment, comme le rappel l'accident mortel d'une Tesla avec le pilotage automatique activé.
La responsabilité en cas de délégation de conduite
Le 3 août 2016, une ordonnance visant à autoriser les expérimentations de voitures autonomes sur route était présentée afin que la France puisse rattraper son retard sur le sujet... mais, 18 mois plus tard, le décret d'application est toujours aux abonnés absents. Anne-Marie Idrac revient sur ce sujet et explique que « la loi qui fonde aujourd'hui les expérimentations pose des questions de responsabilité ».
En effet, « tout récemment, nous nous sommes rendu compte que cette base légale n'était pas suffisante pour traiter des questions de responsabilité en cas de vigilance partielle et donc qu'il faudrait sans doute en passer par la loi pour que, même dans des cas d'expérimentation, permettre que la vigilance partielle soit autorisée ».
En effet, dans le Code de la route il est actuellement indiqué que « tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d'exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent », ce qui n'est pas en adéquation avec la délégation de conduite, même partielle.
La question est notamment de savoir qui est responsable en cas d'incident. « Faute de socle suffisant sur la loi de transition énergétique », l'articulation juridique reste donc encore à trouver note Mme Idrac. Pour le moment, les assureurs ne soulèvent pas de question particulière liée à la responsabilité ajoute-t-elle, ces derniers considérant apparemment que « la loi Badinter est suffisante » en France.

Quel est le plan d'action ?
Après l'état des lieux, place à l'action. Anne-Marie Idrac explique qu'elle ne pilote « pas une mission dans laquelle on rend un rapport [...] je n'ai pas l'intention d'en faire ». Un document interministériel est par contre en préparation pour février et le gouvernement attend les premières conclusions pour le mois de mai.
Anne-Marie Idrac explique aussi que, dans le cadre de loi de mobilité, elle « a proposé au ministre de prendre quelques dispositions permettant d'avancer d'ici 2022 sur le plan de la capacité à expérimenter, sur le plan de la responsabilité ». « Nous allons cette année déployer un programme d'expérimentations soutenu, nous l'espérons de manière large, par les différents financements disponibles » ajoute-t-elle.
Interrogée par les sénateurs sur les délais d'arrivée de la voiture autonome, la haute responsable se contente de rappeler qu'« il n'y a pas d'échéance dans le sens ou l'État dans sa grandeur dirait : en telle année la conduite sera soulagée de toute vigilance ou d'un morceau de vigilance ». L'avancement de la technologie et des véhicules autonomes se fera avec les industriels et les opérateurs.
« La volonté de l'état, c'est de rendre possible ce que la France saura faire de mieux », lâche-t-elle, pas d'imposer un calendrier. La mise en place se fera de toute façon de manière progressive avec des voitures proposant d'abord de l'assistance (c'est déjà le cas), puis une délégation de conduite partielle avant d'être entièrement autonomes. Ces différentes générations de véhicules cohabiteront sur la route et il faudra donc penser l'infrastructure en fonction.