Mobile : les opérateurs signent un accord « historique » à la teneur bien floue

La montagne et la possible souris
Mobilité 6 min
Mobile : les opérateurs signent un accord « historique » à la teneur bien floue
Crédits : Chunumunu/iStock

Après l'Internet fixe le mois dernier, les réseaux mobiles ont droit à leur plan du gouvernement. Il a convenu d'un accord avec les opérateurs, après des mois de négociations. Malgré une annonce « historique », le contenu exact de ce nouveau plan est encore inconnu, comme le regrettent un sénateur et une association de consommateurs.

Ce week-end, le gouvernement a (enfin) annoncé la signature d'un accord « historique » sur la couverture mobile, après le début de longues négociations en septembre. La promesse : « généraliser une couverture mobile de qualité dès 2020 » en accélérant les investissements des opérateurs mobiles. Cet accord, censé résorber les zones blanches, est le dernier d'une lignée illustre, dont le précédent datait de mai 2015.

Dans les grandes lignes, les seules publiées pour le moment, l'accord amène une exigence de « bonne couverture » sur tout le territoire, selon les termes de l'Arcep. Pour la 2G, cela correspond à l'extérieur et dans certains cas l'intérieur, et non pas seulement dehors. Pour l'Internet mobile, l'autorité est encore bien en peine de fournir une définition. Tout juste le gouvernement signale-t-il que la voix sur Wi-Fi devra contribuer à la couverture en intérieur. Une solution économique pour les opérateurs, que certains proposent déjà via les box ADSL et fibre.

Surtout, les opérateurs sont censés accélérer la pose de sites mobiles. 5 000 nouveaux dans les prochaines années. Une nouvelle partie sera mutualisée. Actuellement, cette mise en commun est menée dans les zones blanches, où aucun opérateur n'est présent. Elle pourrait donc s'étendre aux zones grises, où un seul propose son réseau. Nouveauté : les opérateurs prennent à leur charge les coûts de déploiement, jusqu'ici supportés par les collectivités locales (avec soutien de l'État) pour les points hauts.

N'imaginons tout de même pas de vague d'altruisme : ces engagements, obtenus après trois mois de négociations parfois houleuses, ont leurs contreparties par l'État.

Un plan qui manque encore de précision

En novembre, les deux responsables chargées de la résorption des zones blanches et du guichet France Mobile, par lequel les élus locaux remontent les problèmes aux opérateurs, ont dressé un bilan en demi-teinte de l'action du gouvernement... Pointant notamment l'inefficacité du dispositif pour régler les problèmes effectivement remontés aux groupes télécoms (voir notre analyse).

« Au cours des trois prochaines années nous engagerons la couverture d’autant de zones que l’ensemble des programmes gouvernementaux depuis quinze ans » promet le ministère de la Cohésion des territoires, en référence aux échecs successifs des plans de couverture lancés depuis 2003.

Au Journal du dimanche, le secrétaire d'État Julien Denormandie déclare que les opérateurs « s'engagent à consentir plus de trois milliards d'euros d'efforts financiers pour y arriver ». Sur cinq ans, précise Le Monde. Il se garde bien de préciser si ces investissements étaient déjà prévus. Une telle somme, lissée sur plusieurs années, ne représenterait pas un engagement inédit pour les groupes télécoms, qui ont dépensé 2,7 milliards d'euros dans leurs réseaux mobiles en 2016.

Chez RTL, le patron d'Orange, Stéphane Richard, promet 7 500 nouvelles antennes pour les quatre groupes. L'opérateur historique consent à 800 millions d'euros d'investissements supplémentaires sur dix ans. Pour référence, il a engrangé 4,5 milliards d'euros de revenus au troisième trimestre 2017 en France.

Des contreparties connues de longue date

En échange de leurs efforts, les opérateurs ont donc droit à un renouvèlement sans surcoût des fréquences mobiles, et un possible plafonnement de l'impôt sur les antennes (Ifer). « On sécurise [aux opérateurs] le fait qu'ils pourront garder les fréquences qu'ils utilisent déjà. Ils paient des redevances, mais on ne les augmente pas » affirme Sébastien Soriano sur Europe 1.

Comme annoncé depuis quelques mois, le gouvernement abandonne des recettes supplémentaires au profit d'engagements de couverture contraignants ; un mot encore récent dans la bouche de l'exécutif. Ces nouvelles règles doivent être contractualisées avec l'Arcep dans les nouveaux contrats de licences pour les fréquences 900, 1 800 et 2 100 MHz. Comprendre donc que ces engagements seront individuels. Ces contreparties font l'unanimité du secteur, notamment auprès des associations de collectivités.

Le ministère de la Cohésion des territoires promet donc la 4G pour toute la population (déjà promise pour 2020). Cela correspondrait à 10 000 communes pour un million d'habitants. Les principaux axes de transport sont aussi concernés, en plus de futures « dispositions sur la couverture des trains régionaux ».

Une mutualisation à couteaux tirés

Selon Le Monde, la réattribution des fréquences sera l'occasion d'étoffer le portefeuille de fréquences de Free Mobile, le parent pauvre du secteur. Malgré tout, la mutualisation ne serait pas aussi forte qu'espéré par Free Mobile.

Ce dernier espérait mettre massivement en commun ses antennes avec celles de ses concurrents en zones peu denses, pour gagner rapidement en couverture. Une perspective dénoncée fin novembre par Orange et SFR (voir notre compte rendu), qui y voyaient un cadeau à Free, principal bénéficiaire d'un tel mouvement.

Cette mutualisation forte était une demande de l'Arcep, dans ses négociations avec les opérateurs entre septembre et décembre. Plus de 10 000 sites auraient pu être concernées.

Orange aurait été tenté de négocier en direct avec le gouvernement, en passant outre la négociation multipartite organisée par le régulateur. Fin novembre, son secrétaire général Pierre Louette assurait tout de même qu'il n'y avait pas de plan de contournement de l'autorité. 

Selon Le Monde, toujours, l'opérateur historique, premier investisseur du secteur, aurait obtenu gain de cause auprès de son actionnaire public. Au lieu de la dizaine de milliers d'antennes mutualisées envisagées, le chiffre tournerait plutôt entre 6 000 et 7 000. À RTL, Stéphane Richard d'Orange assure la pose de 7 500 antennes supplémentaires, principalement en zones rurales, pour « un doublement ou triplement de capacité »... au doigt mouillé.

Le Sénat réclame le contenu de l'accord, l'Afutt des garanties supplémentaires

« Nous avons été entendus ! » se félicite l'Avicca, une association de collectivités qui estime avoir été suivie sur la plupart de ses demandes. Cette alégresse n'a pas passé les portes du palais du Luxembourg. Le sénateur Hervé Maurey réclame l'accord au gouvernement, s'étonnant de ne pas en connaître la teneur. « Sur plusieurs points, l’accord privilégie une obligation de moyens, sans définir d’obligation de résultat à une échéance clairement identifiée » déclare-t-il dans un communiqué.

« Julien Denormandie poursuit une longue série de promesses faites aux consommateurs depuis plusieurs années » constate pour sa part l'Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), dans un communiqué (PDF). Elle demande d'étendre la définition des zones blanches à l'absence de couverture « au premier mur » en intérieur, ainsi qu'une définition précise du bon débit en 2G, 3G et 4G.

Enfin, elle réclame de développer le très haut débit mobile partout sur le territoire, via la 4G. « Cela veut dire se projeter bien au-delà des 3 milliards et des 5 000 pylônes par opérateur annoncés sur trois ans » juge l'association.

 « La transparence sur l’avancée de ces déploiements sera totale » promet le gouvernement, via les chiffres trimestriels de l'Arcep. Ces derniers seront à surveiller de près. Dans ses communiqués, l'institution n'insiste pas sur l'année de retard prise par les collectivités dans la construction des pylônes en zones blanches, nécessaires aux opérateurs pour poser leurs antennes mutualisées.

En attendant, nous avons demandé une copie de l'accord au ministère de la Cohésion des territoires. S'il existe bien et que l'administration nous en refuse l'accès, une saisine de la CADA suivra au plus tard le mois prochain.

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