Les promesses et défis d'eelo, le système mobile libre dédié à la vie privée

Non mais eelo quoi
Mobilité 9 min
Les promesses et défis d'eelo, le système mobile libre dédié à la vie privée

Un système fonctionnel, avec ses applications habituelles, sans la surveillance commerciale de Google. C'est la promesse d'eelo, un système fondé par Gaël Duval, l'un des cofondateurs de feu Mandrake. Les défis de la jeune équipe sont à la mesure de ses ambitions, tournées vers la démocratisation des outils libres.

Depuis fin décembre, le projet eelo propose de contribuer à sa campagne de financement pour réussir là où d'autres systèmes, Firefox OS en tête, ont échoué. L'initiative provient de Gaël Duval, l'un des cofondateurs de Mandrakesoft en 1998, derrière la distribution Linux Mandrake, depuis devenue Mandriva. Le but : se départir des géants du Net, en intégrant les alternatives au système mobile.

« C’était d’abord pour moi. Je métonne toujours de notre passivité face à tout ça, notamment en France. Je ne suis pas sûr qu’on accepterait le dixième de l’État » nous déclare-t-il. Il cherche donc « une voie intermédiaire » entre un téléphone très sûr mais peu utilisable, et un ouvrant l'ensemble des données de l'utilisateurs aux entreprises. « Les données sont vos données. Il faut au moins en avoir conscience » lance Duval.

En travail depuis quelques mois, le projet a un leitmotiv : l'importance de l'interface, encore le point faible des outils libres. « On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre. L’attractivité et la facilité d’utilisation passent avant la protection des données pour les utilisateurs » rappelle Gaël Duval. Il nous détaille ses plans pour les mois à venir, alors que la campagne a déjà récolté trois fois la somme demandée.

De premiers pas sur mobile pour le créateur de Mandrake

« Je ne viens pas du tout du secteur du mobile », reconnait l'initiateur d'eelo. Avec Mandrake, il y a vingt ans, « l'état d’esprit était assez similaire : une frustration personnelle, l’envie de résoudre le problème d’abord pour moi et d’autres personnes autour de moi ». Fin 2017, il a publié une série d'articles sur Medium, dont les réponses l'auraient motivé à lancer le projet.

Sa première approche du développement sur mobile a concerné les applications d'Ulteo, une société spécialisée dans les bureaux virtuels. Depuis 2015, il collabore avec des jeunes pousses, qui demandent « souvent » un volet mobile.

En fait, « la révélation a eu lieu l'été dernier. J’avais entendu parler de CyanogenMod, mais j‘étais plus Firefox OS ». Pour mémoire, CyanogenMod était une version revue d'Android, fondée sur sa base libre (Android Open Source Project). Le projet était maintenu par une communauté qui débarrassait le système de ses éléments propriétaires, tout en le distribuant sur un large panel de smartphones et tablettes, souvent oubliés des constructeurs.

Sur cette base s'est monté Cyanogen Inc. Après de nombreuses et malheureuses péripéties, la société et les services ont fermé en décembre 2016. La communauté a repris le flambeau, renommant CyanogenMod en Lineage OS.

Gaël Duval a donc attaqué le bidouillage d'Android sur ces fondations. À l'été, il a pris un téléphone compatible avec Lineage OS (le LeEco Le2), pour tester des recompilations et modifications. « Finalement, la marche qui me semblait assez haute ne l’était pas tant que ça. La communauté très active permettait de trouver des gens qui donnent un coup de main » estime-t-il.

Un système redesigné et un lanceur d'applications

L'idée derrière eelo est celle d'Ubuntu : prendre une base technique libre, avec des mises à jour régulières, pour en tirer un système simple à utiliser. L'ensemble des briques visuelles, comme l'écran de verrouillage, doivent être retravaillées. L'équipe a commencé à concevoir son propre lanceur d'applications et s'appuiera sur des outils libres existants pour remplacer les services des géants du Net.

D'ailleurs, « le gros de notre développement consistera à rendre l'ensemble cohérent [ergonomiquement], homogène. Certaines personnes voudraient qu’on redéveloppe tout de zéro. Non, on rendra cohérentes toutes ces briques ».

Les premiers visuels du lanceur d'applications s'inspirent ouvertement d'iOS, dont certaines icones. « C’est à la fois par goût personnel et parce qu'Apple est très fort en matière d'interface graphique. Je vois aussi autour de moi que les gens préfèrent généralement iOS à Android, malgré les modifications sympas de certains constructeurs » nous répond Duval.

Tout n'est pas encore fixé. Des applications comme le calendrier pourraient être effectivement reprises de zéro. Par ailleurs, l'équipe se demande s'il faut distribuer des applications de messagerie populaires, au risque d'embarquer leurs pisteurs avec elles... ou des équivalents plus sûrs.

Une certitude : les applications natives devront fonctionner sans problème.  « Je ne voulais pas me lancer sans la certitude qu’on ferait tourner le plus grand nombre d’applications natives. Il n'est pas question de tomber dans le cas d’Ubuntu Phone et de Firefox OS » lance-t-il.

Un magasin d'applications maison, au contenu repris du Play Store

Pour remplir le système d'applications, eelo envisage de reprendre le contenu du Play Store, à l'image d'APKPure. C'est-à-dire télécharger les applications telles quelles, sans les modifier. La base d'autres boutiques libres, comme F-Droid, pourrait aussi être ajoutée.

L'objectif est à la fois de servir la distribution Android et une communauté plus large, potentiellement tous les utilisateurs du système de Google. Les internautes devraient ainsi pouvoir noter les applications, leur qualité, leur respect des données personnelles, l'éventuelle présence d'arnaques... « On veut un vrai environnement communautaire, autour d’un grand répertoire, le plus large possible », résume Gaël Duval.

Comme ses modèles, le magasin d'applications d'eelo redistribuera les logiciels sans l'accord explicite des développeurs. Ces derniers devraient tout de même pouvoir s'opposer à cette reprise.

Enfin, reste un problème important : les nombreuses applications dépendant des services Google, présents sur l'immense majorité des smartphones Android en Europe. « C’est la grosse épine dans le pied », reconnait l'initiateur d'eelo. Il compte s'appuyer sur microG, une implémentation libre de ces services, pour les faire fonctionner. « On pense s’en tirer comme ça, même si ce ne sera sûrement pas parfait » reconnait-il. Peu d'applications refuseraient de se lancer sans les services propriétaires de Google.

Des services pour sortir de Google

Au-delà du système lui-même, eelo ambitionne de fournir des services à ses utilisateurs, via eelo.io. Hébergement de fichiers, e-mail... L'équipe explore différentes solutions pour faire basculer les internautes vers des solutions « respectueuses », comme le tente par exemple Framasoft avec son projet CHATONS.

Côté e-mail, Gaël Duval évaluerait deux services existants, dont ProtonMail. Sur la recherche, Gaël Duval aurait été contacté par le français Qwant, même si aucune décision n'est encore prise en matière d'intégration. Pour l'hébergement de fichiers, les outils comme NextCloud et Cozy Cloud sont mis en concurrence. Ce dernier projet est représenté par Tristan Nitot, ancien président de Mozilla Europe et figure du monde du logiciel libre en France. 

« Gaël et moi, nous nous connaissons depuis longtemps. Les premiers locaux de Mozilla Europe étaient chez Mandriva » se remémore ce dernier, interrogé pour cet article. Les premiers contacts auraient été pris en novembre, sans aller vraiment plus loin depuis. La bêta des services web estampillés eelo est prévue pour l'été, alors que la campagne de financement promet 100 Go de stockage « sécurisé » à certains contributeurs.

Une première version dans les six prochains mois

En lançant la campagne sur Kickstarter, Gaël Duval n'avait pas de certitude sur le financement. En cas d'échec, le projet aurait avancé à un rythme plus lent. « Je suis vraiment étonné de voir la réponse : des articles dans toutes les langues, du trafic sur eelo.io du monde entier... », en premier lieu d'Inde, du Brésil et des États-Unis, liste-t-il.

Les 25 000 euros demandés sur Kickstarter n'étaient qu'un ballon d'essai. La vraie cible est une levée de 150 000 euros pour tenir l'année 2018, auprès d'investisseurs ou en dons. Duval affiche sa confiance, citant 2 600 contributeurs potentiels sur son site, 140 membres sur un canal Telegram dédié ou encore les candidatures reçues pour un emploi dans l'équipe. Pour le moment, celle-ci se compose de quatre personnes, dont un développeur qui a conçu une première version du lanceur d'applications en un mois à plein temps.

Le développement doit se découper en trois phases. Dans les six prochains mois, une première version du système est prévue sur un nombre restreint d'appareils, pour lancer une communauté technophile. Le code sera libéré à ce moment.

« En parallèle, on veut vendre des téléphones préinstallés avec eelo. Ce ne seront ni ma mère, ni mon père, ni ma fille qui modifieront leur téléphone Android pour la beauté du geste » constate Duval. Ceux commandés par une dizaine de contributeurs sur Kickstarter sont promis pour septembre ou octobre.

La deuxième phase de l'initiative consiste en un partenariat avec les constructeurs Fairphone, Librem ou Essential Phone, pour préinstaller le système à moyenne échéance. À plus long terme, de grands industriels pourraient concevoir des smartphones en propre.

« Une organisation à but non lucratif » avec services payants et crypto-monnaie

La coordonnation du projet devrait passer par une association loi 1901, pour obtenir un statut d'organisme à but non lucratif et d'éventuelles aides. « Je vais frapper à la porte de toutes les organisations publiques pour avoir des subventions. La cause est très défendable » déclare Gaël Duval, qui compte aussi contacter de grands groupes pour du mécénat. Il a d'ailleurs lancé une lettre ouverte à Elon Musk (monsieur Tesla et SpaceX) pour lui demander du soutien.

Pour leur part, les partenariats commerciaux seraient gérés par une entreprise privée, à la manière de Mozilla Corporation pour la fondation Mozilla.

Les internautes pourront aussi financer le système via des abonnements à des services « premium », comme de l'espace de stockage supplémentaire sur l'offre d'eelo.io. Pour les entreprises, des solutions de gestion de flotte intégrées au système mobile sont dans les cartons.

Un autre pan de l'activité pourrait être l'audit des émissions de données des téléphones, sans que Duval ne fournisse plus de détails pour le moment. Le modèle rappelle celui d'Exodus Privacy, un outil communautaire fondé par des passionnés, que le fondateur d'eelo connaît encore peu.

Enfin, eelo envisage d'émettre sa propre crypto-monnaie ; l'annonce à la mode ces derniers mois. Les tokens pourraient être distribués à chaque contribution aux logiciels, récompensant les participants en avantages sur les futurs services en ligne. Il s'agit pour le moment d'une simple piste de réflexion.

Pour Tristan Nitot de Cozy Cloud, « il y a une place à prendre sur smartphone. Aujourd'hui, la situation est catastrophique. Du côté d'Apple, c'est fermé et censuré, sans possibilité de second AppStore. L'alternative majoritaire, c'est Android, avec un modèle économique fondé sur la captation des données personnelles ». eelo pourrait donc être une voie plus respectueuse, à condition de réussir à concevoir et distribuer son système. Deux tâches qui restent encore entières aujourd'hui.

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