Hier, le Conseil constitutionnel a censuré une nouvelle disposition de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence. Celle concernant les zones de protection ou de sécurité. C’est la sixième censure visant le texte de 1955, dans sa rédaction postérieure aux attentats du Bataclan.
Les assurances des ministres de l’Intérieur sur la solidité de la loi sur l’état d’urgence sont, décision après décision, réduites à peu de chose. En témoigne cette nouvelle décision rendue hier par les neuf Sages qui vise l’instauration des zones de protection.
L'article 5 de la loi de 1955 autorise le préfet à instituer dans le département « des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé », dès lors que le département en question est soumis à un péril imminent ou une calamité publique.
Les associations La cabane juridique / Legal Shelter et le réveil voyageur, rejointes par le GISTI, la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France, ont néanmoins attaqué cette disposition par une question prioritaire de constitutionnalité.
Au regard des conditions de mise en œuvre, jugées bien trop légères, elles estimaient qu’il y aurait atteinte à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée, au droit de mener une vie familiale normale, au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre, outre encore une violation à l’article 34 de la Constitution qui fixe le domaine de compétence du législateur.
Atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir
Il faut dire que, comme le rappelle Le Monde, la préfète du Pas-de-Calais avait utilisé cet article pour instaurer une zone de protection dans la « jungle » de Calais. « Elle justifiait alors l’interdiction d’accéder au camp de migrants par des risques d’actions violentes d’activistes, les No Border », expliquent nos confrères.
Grâce à ce texte très généreux pour les pouvoirs du préfet, les associations, les avocats, mais aussi les journalistes s’étaient vus interdits d’accès.
Le Conseil constitutionnel a sans surprise suivi ces conclusions, reprochant au législateur de n’avoir soumis ces zones de protection ou de sécurité à aucun autre encadrement. En particulier, « il n'a pas défini la nature des mesures susceptibles d'être prises par le préfet pour réglementer le séjour des personnes à l'intérieur d'une telle zone et n'a encadré leur mise en œuvre d'aucune garantie. »
Il en a déduit très logiquement une absence de conciliation entre d’une part la sauvegarde de l'ordre public et d'autre part la liberté d'aller et de venir.
Cette décision n’est d’ailleurs pas une surprise puisqu’elle est dans la veine d’une précédente censure visant la possibilité pour l’autorité administrative d’interdire le séjour d’une personne dans un département durant l’état d’urgence.
Des zones de protection aux périmètres de protection
Cette décision est d'une certaine manière datée. Avec la loi du 11 juillet 2017, le législateur a rectifié l'article 5 ici sanctionné, en expliquant que le but de ces zones est « de prévenir des troubles à la sécurité et à l'ordre publics ». De plus, les mesures doivent impérativement tenir compte « de la vie familiale et professionnelle des personnes susceptibles d'être concernées ». le Conseil constitutionnel n'a pas eu l'occasion d'examiner cette nouvelle rédaction.
Surtout, la loi sur « l’état d’urgence permanent » du 30 octobre 2017 a décalqué dans le droit commun ces zones, rebaptisées désormais « périmètres de protection ». Les dispositions sont beaucoup plus détaillées, mais on ne peut présager de leur conformité puisqu’elles n’ont toujours pas davantage été auscultées par le juge (sur ce point, voir cette procédure en cours).
Des censures à la pelle
La décision d’hier est en tout cas la sixième censure de la loi de 1955 depuis sa réactivation après les attentats du Bataclan. « Les deux tiers du dispositif législatif étaient illégaux, jauge maître Spinosi dans les colonnes du Monde, ce qui prouve en passant que les menaces sur les libertés n’étaient visiblement pas tout à fait de l’angélisme. »
On retrouvera ci-dessous un panorama des six censures en question :
- 2 décembre 2016 : Perquisitions dans le cadre de l’état d’urgence n°3 (décision)
- 19 février 2016 : Perquisitions et saisies administratives (décision)
- 16 mars 2017 : Assignation à résidence (décision)
- 9 juin 2017 : Interdiction de séjour (décision)
- 1er décembre 2017 : Contrôles d'identité, fouilles de bagages et visites de véhicules (décision)
- 11 janvier 2018 : Zones de protection (décision)
Ajoutons une septième décision en date du 23 septembre 2016 qui concerne cependant un texte antérieur à la loi du 20 novembre 2015, « relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions », votée après les attentats du Bataclan.