Altice a annoncé ce matin une réorganisation complète de sa structure capitalistique. Altice NV et Altice USA deviendront à terme deux structures indépendantes l'une de l'autre, mais toujours contrôlées d'une main de fer par Patrick Drahi.
Altice annonce une nouvelle « réorganisation » de son empire. L'objectif poursuivi par cette manœuvre est d'isoler davantage le silo regroupant les activités américaines (Suddenlink et Optimum) des aléas rencontrés par la branche européenne, notamment par SFR.
SFR voit rouge
Il faut dire que la marque au carré rouge a accumulé les couacs ces derniers temps. Entre des effectifs démoralisés, passés de 15 000 à un objectif de 9 000 personnes d'ici 2019, la « démission » de plusieurs cadres dont Michel Combes, parti se refaire une santé du côté de chez Sprint, rien ne va plus sur le plan de l'emploi.
Les clients sont eux aussi sur le départ, sur les 12 derniers mois, SFR a perdu 186 000 clients sur le marché fixe grand public, laissant la deuxième place à son rival Free. Sur le mobile, on note un léger rebond (+75 000 clients sur un an), qui fait suite à un plongeon qui a vu leur nombre passer de 22,9 millions fin 2014 à 20,1 millions fin 2016.
Pendant ce temps, le pari de la convergence avec les médias peine à porter ses fruits. L'intégration de chaînes sportives dans les offres de l'opérateur au carré rouge n'étant pas parvenu à faire revenir les abonnés partis chez la concurrence, ni à en dissuader d'autres de le faire. Celle de SFR Presse n'a pas suffi non plus à canaliser l'hémorragie de clients. Mais surtout, de nouvelles règles entreront en vigueur le 1er juin prochain pour encadrer les « remises de couplage » dont l'intérêt pour les opérateurs est d'amincir le taux de TVA moyen sur leurs offres.
Sur les marchés, c'est l'endettement global d'Altice qui inquiète, même si, grâce aux résultats enregistrés aux États-Unis, l'effet de levier est moins important aujourd'hui qu'il y a deux ans. L'entreprise a pour rappel emprunté plus de 50 milliards d'euros, ce qui lui coûte, rien qu'en intérêts, plusieurs milliards d'euros par an.
Méthode Coué
Malgré ces faits peu reluisants, Patrick Drahi a réaffirmé en novembre dernier que les problèmes de SFR seront bientôt de l'histoire ancienne, à condition que l'entreprise s'en tienne à son plan « qui reste le même ». Selon lui, « en France, le problème principal c'était le management. Ce n'était pas du tout un problème de concurrence », une petite phrase prononcée peu après les débarquements de Michel Combes et Michel Paulin.
Depuis, le cours de l'action Altice NV a joué aux montagnes russes, passant de 16 euros début novembre 2017, à 6,63 euros un mois plus tard et 10,34 euros aujourd'hui, après avoir regagné 9 % lors de la séance du jour. Un montant très éloigné des 28 euros annoncés lors de son introduction en août 2015. Il devenait donc urgent de rassurer davantage les investisseurs.
Protéger les actifs américains, une priorité
Si l'on regarde dans le détail les résultats d'Altice au troisième trimestre 2017, on s'aperçoit que sa marge d'EBITDA augmente rapidement aux États-Unis, et atteint désormais 45 %. Un score plus qu'honorable, contre seulement 36,6 % en France, bien en dessous de la moyenne de 41 % observée à l'échelle de l'ensemble du groupe. Pire encore, en France, cette marge tend à se réduire progressivement, et ce ne sont pas les 370 millions d'euros investis chaque année à partir de 2018 pour la diffusion des matchs de Ligue des Champions et d'Europa League sur SFR Sport qui vont améliorer le bilan.
Altice a donc décidé d'isoler davantage sa branche américaine du reste du groupe, afin de la préserver autant que possible des remous provoqués par SFR au niveau de la branche européenne. Actuellement, une holding baptisée Altice NV détient 70,3 % d'Altice USA, qui chapeaute les activités américaines et possède 100 % d'Optimum et Suddenlink. Altice NV possède également Altice Luxembourg SA, qui regroupe 100 % de SFR et 100 % de Altice International formée par MEO (Portugal), Hot (Israël) et ses activités en République dominicaine. Enfin, Altice NV a enfin également le contrôle exclusif d'Altice Corporate Financing.
Apercçu de la structure actuelle d'Altice
La nouvelle organisation sera quelque peu différente. Les actionnaires d'Altice NV recevront tous des actions d'Altice USA (0,4163 action Altice USA pour chaque action Altice NV) qui vivra désormais sa vie comme une entreprise indépendante d'Altice NV. Cette dernière se concentrera uniquement sur les activités européennes, et sera fort logiquement rebaptisée Altice Europe.
Concrètement, les actionnaires d'Altice, Patrick Drahi en tête, remplaceront Altice NV/Europe au capital d'Altice USA. Patrick Drahi devient ainsi le seul dénominateur commun entre les deux sociétés, en restant leur actionnaire de référence. Ainsi, si les activités européennes vont mal, c'est le cours d'Altice Europe qui souffrira, laissant tranquille celui d'Altice USA, alors que jusqu'ici, les destins boursiers des deux branches étaient intimement liés.
Des médias en ordre dispersé
Côté européen, la répartition des actifs existants suivra une nouvelle logique. On retrouvera trois silos distincts, Altice France, Altice International et Altice Pay TV.
Le premier renfermera les activités liées exclusivement à la France, à savoir SFR Telecom, SFR Media (ce qui inclut NextRadioTV et les organes de presse d'Altice), les activités en outre-mer, Altice Technical Services France, et les centres d'appel d'Intelcia.
Altice International chapeautera de son côté MEO au Portugal, HOT en Israël, Altice Dominican Republic, la régie publicitaire Teads (acquise en mars 2017 pour 285 millions d'euros) et Altice Technical Services Europe.
Altice Pay TV, nouvellement fondée, aura enfin pour rôle de gérer les contenus « premium » du groupe, notamment les droits sportifs (Ligue des Champions, Premiere League, Liga NOS...) ainsi que certaines chaînes comme NBC Universal et Discovery.
Vous reprendrez bien un peu de dette ?
Avant d'opérer cette scission, programmée pour le deuxième trimestre 2018, le temps d'obtenir les feux verts nécessaires, Patrick Drahi entend bien faire remonter un peu de cash de ses filiales les plus florissantes vers Altice NV. Ainsi, Altice USA versera un dividende exceptionnel de 1,5 milliard de dollars, financé en piochant dans une ligne de crédit existante chez Optimum, qui souscrira également à un nouvel emprunt.
Altice NV récoltera 900 millions d'euros dans cette opération, dont 625 millions seront utilisés pour rembourser une partie des dettes d'Altice Corporate Financing, le reste sera versé à la trésorerie.
SFR veut rassurer ses troupes
Dans un message adressé à leurs employés (que nous avons pu consulter), Armando Pereira et Alain Weill, respectivement directeur général opérationnel et PDG de SFR, ont tenu à minimiser l'importance de tous ces changements. « En séparant Altice USA de l'organisation Altice NV, nous clarifions et simplifions l’organisation, ce qui nous permettra de mieux nous concentrer sur chacun de nos marchés et ainsi capitaliser sur la dynamique amorcée, pays par pays. [...] Elle ne change rien ni à notre stratégie ni à notre activité quotidienne en France », soulignent-ils.
Les dirigeants en profitent également pour rappeler en quoi consiste leur « chemin de la croissance » :
- Améliorer la performance sur le marché français avec une attention particulière aux services et la qualité de l’expérience client.
- Continuer d'investir massivement dans les infrastructures.
- Opérer le redressement opérationnel et financier de SFR sous la direction de la nouvelle équipe dirigeante.
- Monétiser les investissements dans les contenus et en déployant le modèle de Pay TV.
- Augmenter les revenus publicitaires.
Si les quatre premiers éléments ont déjà été martelés par le passé par SFR, le dernier lui fait sans doute écho à l'acquisition de Teads, et des synergies qui pourront en ruisseler, mais aussi certainement aux revenus publicitaires de SFR Media.