Deux sénateurs viennent de déposer une proposition de loi visant à favoriser le recours au télétravail lors des pics de pollution. Leur texte tend notamment à instaurer un « droit au travail à distance » au profit des salariés pouvant exercer leurs activités à domicile, grâce à Internet.
« Augmentation de la productivité des salariés, meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, réduction du temps moyen de trajet domicile-travail »... Aux yeux des sénateurs Nathalie Delattre et Jean-Claude Requier, « le télétravail comporte des avantages à la fois pour les entreprises et pour les salariés ».
Les deux élus RDSE considèrent surtout que ce mode d’organisation du travail pourrait se révéler bénéfique pour lutter contre la pollution atmosphérique – responsable selon certaines études de 48 000 décès prématurés par an (rien que pour la France).
« Les entreprises ont un rôle à jouer en agissant sur les déplacements de leurs salariés », exhortent les parlementaires en appui d’une proposition de loi déposée le 3 janvier dernier devant le Sénat, et dont nous avons pu prendre connaissance.
Des avantages pour les salariés comme pour les employeurs
L’idée ? Favoriser le recours au télétravail lors des pics de pollution, ce qui pourrait être une « opportunité » selon les deux sénateurs d’expérimenter ce mode d’organisation du travail dans certaines entreprises. Ils espèrent même que cela permettrait à plus long terme de « l’encourager de manière pérenne ».
Et pour cause : les mesures imposées lors des épisodes de pollution (de type circulation alternée) sont une « source de stress » pour les salariés, notamment pour ceux qui doivent emprunter des transports en commun largement saturés. Ces contraintes ayant « un impact certain » sur l’activité des entreprises, ces dernières devraient donc s’y retrouver d’après Nathalie Delattre et Jean-Claude Requier.
Concrètement, leur proposition de loi vise tout d’abord à instaurer un nouveau « droit au télétravail ». « En cas d’épisode de pollution », c’est-à-dire lorsque des mesures « propres à limiter l’ampleur et les effets de la pointe de pollution » sont prises par les pouvoirs publics, l’employeur devrait obligatoirement faire « droit à la demande du salarié de recourir au télétravail, lorsque la nature des activités qu’il exerce le permet ».
Autrement dit, l’employeur ne pourrait s’opposer à son employé qui souhaite effectuer exceptionnellement du télétravail que si les missions qui lui sont confiées ne peuvent pas être menées à bien à distance (caissière, opérateur sur machine, etc.).
Suite aux ordonnances « Pénicaud » sur la réforme du Code du travail, employeurs et salariés peuvent d'ores et déjà convenir d’un recours exceptionnel au télétravail (même pour une journée, par exemple en cas de pic de pollution). Il y avait cependant encore un « trou dans la raquette », nous glisse-t-on au Sénat, dans la mesure où l’accord des deux parties était nécessaire.
Possibilité pour l’employeur d’imposer le télétravail
La deuxième mesure proposée par Nathalie Delattre et Jean-Claude Requier a un petit goût de réchauffé. Elle vise à faire entrer les « pics de pollution » dans la liste des « circonstances exceptionnelles » qui permettent aux employeurs d’imposer à leur salariés de travailler, momentanément et sans modification de leur contrat, à leur domicile (comme le prévoit l’article L1222-11 du Code du travail).
Lors de l’examen du projet de loi El Khomri, le Sénat avait estimé qu’un tel ajout ne devait pas figurer dans la loi, mais dans un texte réglementaire (les pics de pollution pouvant être entendus comme l’une des « circonstances exceptionnelles » visées par le Code du travail). La ministre du Travail s’était d’ailleurs engagée à ce que le décret d’application de cet article, attendu depuis des années, mentionne les cas de pics de pollution.
La suite est connue : le précédent gouvernement n’a finalement jamais pris le fameux décret, et le nouvel exécutif a profité des ordonnances du mois de septembre pour rendre celui-ci facultatif. Autrement dit, l’article L1222-11 est applicable en l’état, mais il revient aux entreprises d’interpréter cette notion de « circonstances exceptionnelles » ou, en cas de litige, au juge.
Au mois de novembre, la ministre du Travail a néanmoins laissé entendre aux députés qu’un décret pourrait malgré tout intervenir. Alors que certains parlementaires souhaitaient que les cas de menace terroriste « avérée et circonstanciée » entre dans la fameuse liste des « circonstances exceptionnelles », Muriel Pénicaud a déclaré :
« La loi avait déjà prévu une telle disposition, mais le décret d’application n’a jamais été pris, du fait d’une difficulté juridique empêchant de le faire. Je m’engage à examiner à nouveau cette question pour rechercher une formule « carrée », que mes prédécesseurs n’ont pas réussi à trouver. Il est, en tout état de cause, inutile d’insérer cette disposition dans la loi, où elle figure déjà, mais il faudra étudier l’aspect réglementaire. »
Nouveaux débats autour des ordonnances Pénicaud
Les sénateurs Delattre et Requier proposent enfin « d’inclure le télétravail au sein des thèmes obligatoires à traiter lors des négociations collectives en vue de déclencher le dialogue social autour de cette organisation du travail ».
Le texte des deux élus arrive toutefois à un moment politique surprenant : le projet de loi de ratification des ordonnances Pénicaud, qui traite notamment de la question du télétravail, est examiné depuis quelques semaines par le Sénat. Il doit d’ailleurs être débattu dans l’hémicycle les 23, 24 et 25 janvier prochains. Rien n’empêchera cependant Nathalie Delattre et Jean-Claude Requier de reprendre les mesures de leur proposition de loi (qui pourrait bien n’être jamais inscrite à l’ordre du jour) sous forme d’amendements.