L’association HOP a porté plainte contre Apple pour obsolescence programmée, mais également tromperie. En cause, le ralentissement volontaire des performances des iPhone à chaque mise à jour, dans le but de prévenir les arrêts intempestifs.
Une série de tests réalisés par le service de benchmark Geekbench a relevé une nette dégradation des performances des iPhone 6S et 7 après les mises à jour iOS 10.2 à iOS 11.2.
Après le bruit médiatique, Apple a finalement confirmé que ces modèles outre les iPhone 6 et SE voyaient leurs performances baisser avec le temps. Le fabricant a reconnu vouloir limiter la fréquence du SoC de l'iPhone pour accompagner la dégradation de la batterie, afin de prévenir les arrêts impromptus qui présentent un risque sur les composants électroniques.
Comme on pouvait s’y attendre aux États-Unis, des procédures en action collective (ou class action) ont été lancées par des consommateurs lésés, puisqu’à aucun moment les acheteurs ne sont informés de cette stratégie.
Une plainte en France visant Apple
En France, l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) a annoncé hier soir le dépôt d’une plainte visant Apple. Dans sa démarche, elle relate qu’« à chaque mise à jour du système d’exploitation des iPhone, des clients se plaignent de ralentissements » en se souvenant en particulier d’une étude réalisée en 2014 par une doctorante, Laura Trucco et son professeur d'économie à Harvard.
Cette étude a montré que « le nombre de requêtes pour l'occurrence "iPhone lent" connaissait six pics coïncidant avec chaque lancement de nouveaux modèles iPhone ».
HOP estime désormais que deux dispositions du Code de la consommation sont malmenées par les pratiques d’Apple. Elle devine un cas d’obsolescence programmée et une tromperie.
Le délit d’obsolescence programmée
Depuis 2015 et la loi Transition énergétique, l’article L. 441-2 du Code de la consommation interdit « la pratique de l’obsolescence programmée », c’est-à-dire « le recours à des techniques par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d'un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie pour en augmenter le taux de remplacement ».
La plainte se fait donc au pénal avec une peine maximale de deux ans de prison et jusqu’à 300 000 euros d’amende et 5% du chiffre d’affaires annuel. Selon elle, les éléments constitutifs de ce délit sont bien remplis.
La technique ici en cause est la mise à jour iOS 11.2. Certes, Apple a soutenu que ces ralentissements volontaires permettaient d’éviter les cas d’arrêts inopinés. D'une, les propos du fabricant ne visent que quelques modèles de téléphone, sans répondre aux problèmes rencontrés par les autres.
De deux, « puisqu’à suivre Apple le problème d’arrêt inopiné du téléphone serait causé par les batteries lithium-ion, comment se fait-il que ce problème ne soit pas rencontré par les autres marques de téléphone comme Samsung qui utilisent le même type de batterie ? »
Troisièmement, « comment se fait-il aussi que vu l’étendue du problème, une firme de la puissance d’Apple n’ait pas été en mesure d’y répondre autrement qu’en bridant ses téléphones ? »
Enfin, « l’explication d’Apple ne permet pas de comprendre pourquoi la mise à jour qui bride le téléphone coïncide avec la sortie d’un nouveau modèle ».
Réduction des performances, augmentation du taux de remplacement
Autre élément constitutif de l’infraction, la réduction des performances. Elle pourrait s’assimiler à la réduction de la durée de vie de l’iPhone. « Non seulement la durée de vie durant laquelle on est en droit d’attendre un usage normal du téléphone a été réduite, mais le consommateur est poussé à se séparer de son appareil pour en acheter un autre plus performant. Ce qui correspond exactement à ce contre quoi l’article L. 441-2 du Code de la consommation entend lutter ».
Enfin, selon HOP, cette technique a bien pour objectif d’augmenter leur taux de remplacement et pousser l’acheteur à acheter un appareil plus récent. « Les clients Apple sont sollicités fortement pour mettre à jour leur système d’exploitation opportunément au moment de la sortie du nouveau modèle d’iPhone ». Et comme Apple a une pleine maîtrise du calendrier, difficile de déceler une quelconque coïncidence.
De plus, « le système Apple est réputé pour être verrouillé. Si l’on veut conserver ses applications, sa musique, ses contacts, etc., sa synchronisation avec les autres appareils, il est préférable de conserver un iPhone. Tout le système est pensé pour créer de la friction lors d’un changement de marque afin d’en dissuader le client ».
Les difficiles éléments constitutifs de l’infraction
Les éléments sur lesquels se base l’association, aussi sérieux soient-ils, pourront toujours être combattus par Apple.
Déjà, une simple étude menée sur un site Internet et des recherches universitaires peuvent-elles suffire pour fonder une condamnation ? Faute de mieux, l’association a mis en ligne un formulaire pour glaner des témoignages de consommateurs français. Elle invite également le procureur de la République à faire « procéder à des constatations ou des examens techniques ».
Apple pourra surtout soutenir que les smartphones en cause restent fonctionnels, qu’il n’y a pas jamais eu volonté d’en accélérer la fin de vie. C’est ici l’occasion de rappeler que les conditions constitutives de l’infraction sont très restrictives, comme le regrettait déjà l’association UFC-Que Choisir, laquelle pointait dans nos colonnes cette « difficulté à démontrer qu'il y a une intention de raccourcir la durée de vie ».
Une tromperie
Apple est également attaquée pour tromperie, cette fois sur le fondement de l’article L. 441-1 du Code de la consommation. « Les informations erronées lors de l’achat et de la mise à jour du logiciel, appuyées par le silence d’Apple durant toutes ces années alors même que l’entreprise ralentissait volontairement la performance de ses iPhone et qu’elle savait que ce ralentissement était à l’origine de nombreuses interrogations par le monde, sont constitutifs du délit de tromperie » affirme sans plus de développement l’association.
En tout cas, Laetitia Vasseur, cofondatrice et déléguée générale de HOP, fulmine : « tout est orchestré pour contraindre les consommateurs à renouveler leurs smartphones. Or, à plus de 1 200 euros le téléphone, soit plus d’un SMIC, ces pratiques sont inacceptables et ne peuvent rester impunies. C’est notre mission de défendre les consommateurs et l’environnement face à ce gaspillage organisé par Apple. »
L'UFC-Que Choisir ne veut pas se précipiter
Contacté ce jour, Nicolas Godfroy, responsable juridique de l’UFC-Que Choisir nous indique que l'association ausculte, regarde, préférant « ne pas se précipiter sur le dossier ». Et pour cause, « beaucoup de questions se posent. L’infraction est difficile à mettre en œuvre. Il faut aussi voir réellement le niveau de gêne, voir si l’argumentation d’Apple est fondée et mesurer le préjudice du consommateur ».
Dans tous les cas, elle considère que si une action devait être lancée, elle le serait au niveau européen puisque tous les consommateurs sont concernés.
En septembre dernier, HOP a déjà été à l’origine de la première plainte pour obsolescence programmée dans l’univers des imprimantes. Si la plainte a été dirigée contre X, plusieurs fabricants ont été mis à l’index comme Epson, Canon, HP et Brother. L’affaire est toujours instruite.