En août, le gouvernement estonien lançait une consultation autour de la création d'une crypto-monnaie nationale, l'estcoin. L'idée a fait son chemin et aujourd'hui, Kaspar Korjus, le responsable du programme « e-residency », évoque trois pistes pour aller plus loin et donner naissance à cette nouvelle crypto-monnaie.
L'Estonie se veut en pointe sur bon nombre de questions, notamment dans le domaine du numérique. Chacun de ses habitants a une identité numérique unique et sécurisée lui permettant d'accéder à de nombreux services publics et même de voter en ligne.
Ce concept a été élargi aux résidents du monde entier, qui peuvent devenir s'ils le souhaitent des « e-residents » estoniens. Quiconque peut ainsi établir une entreprise dans le pays afin d'avoir un pied à terre dans l'Union européenne, tout en ne bougeant pas de chez lui. Une démarche qui a séduit 27 000 personnes venant de 143 pays, qui ont ainsi fondé près de 4 300 sociétés.
Profitant de cet engouement, et de celui des ICO, qui ont permis de lever plus de 1,2 milliard de dollars en 2017, le gouvernement local souhaite lancer sa propre crypto-monnaie, et avait ouvert une consultation publique en août dernier. Consultation dont les premières conclusions ont été publiées.
L'Estonie envisage trois pistes principales pour l'émission et l'utilisation de sa crypto-monnaie nationale : une variante communautaire, une autre liée aux démarches administratives, et une dernière assimilable à un euro alternatif. Par contre, pour ne pas froisser l'Union européenne, le gouvernement préfère parler de « crypto-jetons » que de « crypto-monnaie ». Un tour de passe-passe dont personne n'est dupe.
L'estcoin communautaire
La première piste est celle d'un estcoin « communautaire ». « L'un des avantages des crypto-jetons est qu'ils peuvent inciter certains comportements et nous assurer que les détenteurs de jetons profitent de la croissance de leur communauté », explique Kaspar Korjus, le responsable du programme « e-residency » dans un long billet de blog.
L'idée de départ est donc d'inciter les gens à faire la publicité de l'e-residence en Estonie, et donc à faire venir des entreprises sur le territoire fiscal estonien. Les résidents et e-résidents pourraient ainsi collecter des estcoins en incitant des entreprises à s'installer, pour par exemple, lancer leurs ICO dans le pays. Un point sur le quel nous reviendrons. Les estoniens seraient également incités à partager leurs expériences et à assister les candidats à l'e-résidence.
Dans ce but, le gouvernement estonien annonce déjà travailler sur une plateforme qui permettrait de faciliter ces échanges. Reste à voir comment ces estcoins pourront être dépensés. Là, le gouvernement compte sur la bonne volonté des entreprises.
L'estcoin administratif
La deuxième option est assez surprenante, puisqu'elle consisterait à attacher les estcoins à l'identité de chaque estonien, et seraient utilisés pour signer des documents officiels, se connecter aux services en ligne et à l'exécution de smart contracts, façon Ethereum.
Chaque résident récupèrerait alors automatiquement une allocation initiale de pièces, et des recharges pourraient être achetées à l'État. « L'Estonie ne tirerait aucun revenu additionnel de ces ventes, qui contribueraient vaguement aux frais de maintenance du réseau. En fait, tout le monde économiserait de l'argent avec ce système », estime Kaspar Korjus. L'idée étant que le traitement et la traçabilité des tâches administratives seraient facilités, permettant à l'État de faire des économies sur ces postes.
La contrepartie serait que ces estcoins n'auraient de valeur qu'auprès des administrations et ne pourraient en aucun cas être troqués contre de l'argent sur des plateformes externes, pas plus que contre des biens ou services issus du privé.
L'euro estcoin
Troisième hypothèse, celle d'un « euro estcoin » dont la valeur serait invariablement égale à un euro. Son usage serait alors limité strictement aux échanges entre e-résidents estoniens, qui ainsi au lieu de passer par de coûteux transferts bancaires, pourraient réaliser leurs échanges au travers d'une blockchain, tout en conservant la stabilité monétaire de l'euro.
« Tout ce que cela réclamerait, c'est un portefeuille numérique, et l'assurance que le gouvernement achètera chaque estcoin contre un euro », affirme Kaspar Korjus. La question ici est surtout de savoir si l'Union européenne acceptera un tel mode de fonctionnement.
ICO, santiano
Avant de s'attaquer à un tel chantier, le gouvernement estonien veut d'abord franchir une première étape en offrant un cadre légal sain permettant de réaliser des levées de fonds en crypto-monnaie tout en assurant un minimum de garanties aux investisseurs. L'une des questions étant de déterminer la responsabilité des organisateurs en cas de problème, et de trouver un moyen de garantir une certaine transparence dans l'utilisation des fonds levés.
Autre point complexe : quelle définition donner aux jetons émis lors de ces levées de fonds ? Aux États-Unis par exemple, la question ne semble pas encore tranchée, la CFTC les considère comme des commodités, tandis que la SEC voudrait leur apposer l'étiquette de titres financiers, pour avoir la main sur leur régulation et imposer certaines règles aux organisateurs.
Certaines de ces interrogations ne trouveront leur réponse qu'au niveau européen, ce qui promet des débats animés au parlement, teintés de craintes de blanchissement d'argent et de financement du terrorisme. Un manège auquel les adeptes des crypto-monnaies sont malheureusement habitués depuis maintenant plusieurs années...