Devant le tribunal de grande instance de Paris, la société civile des producteurs phonographiques (SCPP) a obtenu le blocage durant un an d'Extratorrent, Torrent9, Isohunt, Cpasbien, ainsi que leurs sites miroirs et de redirection. Bouygues, Free, Orange, SFR et Numéricable devront prendre à leur charge les frais consécutifs.
Le 6 février 2017, la société de gestion collective des majors du disque a assigné en la forme des référés Bouygues, Free, Orange, SFR et Numéricable aux fins de blocages de ces quatre sites ainsi que leurs répliques et autres adresses de redirection.
Comme l’industrie du film, qui démultiplie les actions sur ce fondement, la SCPP s’est appuyée sur l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Un texte transposé dans le droit européen à l’occasion de la loi Hadopi et qui permet de faire ordonner toutes les mesures permettant de prévenir ou faire cesser une atteinte au droit d’auteur.
Dans le top 50, entre 70 et 78 % de titres du catalogue de la SCPP
À la date des constats, la société de perception et de répartition a relevé que sur Extratorrent – site fermé en mai, « parmi les 50 contenus musicaux les plus téléchargés, 35 correspondent à des albums ou à des titres qui appartiennent au répertoire social de la SCPP », soit 70 %. Ce taux est de 78 % chez Torrent9 et oscille entre ces deux extrêmes sur les autres sites en cause.
Pour le TGI, ces procès-verbaux « établissent suffisamment le caractère illicite des sites “extratorrent, torrent9, isohunt, cpasbien” et des sites miroirs ou proxy ». Il ajoute que :
« Ainsi en procurant aux internautes la possibilité de télécharger ou d’accéder en streaming les oeuvres à partir de liens hypertextes présentés sur les sites litigieux, et ce même si les contenus sont stockés auprès de serveurs tiers ou sur des plates-formes tierces, ces opérateurs ont permis aux internautes de procéder au téléchargement des œuvres litigieuses en fournissant la mise à disposition des contenus c’est-à-dire ont donné aux internautes les moyens de reproduire des oeuvres, dont ils ne détenaient pas les droits. »
Dans les rangs des fournisseurs d’accès, seuls à être assignés par la SCPP qui, curieusement, n’a pas jugé utile d’agir auprès de Google ou Bing, aucun n’a contesté le caractère illicite des sites épinglés.
Le principe du blocage n’a pas davantage été contesté par la majorité d’entre eux, pour autant qu’il soit proportionnel, limité dans le temps et que les opérateurs disposent d’une liberté de choix dans la technologie à emprunter. Seul Free véritablement a souligné que ces mesures étaient des murs de papier, compte tenu de la facilité de contournement.
Le TGI a toutefois balayé cette remarque :
« S’il est exact que toute mesure de blocage peut être contournée par une partie des internautes, d’une part il n’est pas établi que la grande majorité des internautes, qui est attachée à la gratuité des communications et de nombreux services sur l’internet, a la volonté affermie de participer à une piraterie mondialisée et à grande échelle et d’autre part les mesures sollicitées visent le plus grand nombre des utilisateurs, lesquels n’ont pas nécessairement le temps et les compétences pour rechercher les moyens de contournement que les spécialistes trouvent et conservent en mémoire ».
Ainsi, à ses yeux, le blocage est bien « le seul moyen réellement efficace dont disposent actuellement les titulaires de droits de propriété intellectuelle pour lutter contre la contrefaçon sur Internet ».
Entre 88 et 450 euros, la question des coûts du blocage
Mais le point dur s’est concentré sur la question des coûts. Tous les opérateurs ont demandé à ce que les frais consécutifs aux mesures de blocage soient supportés par la seule SCPP. Et celle-ci a évidemment réclamé l’exact opposé.
Les frais en question sont en façade ridicules. 25 euros chez Bouygues, Orange évoque 88,31 euros par nom de domaine. Chez SFR Numericable, le montant évolue entre 250 et 450 euros. Ce coût est enfin de 147,13 euros selon Free.
Mais si les montants sont faibles au regard du poids économique de ces mastodontes, la société chère à Xavier Niel a relevé, selon les propos résumés par le jugement, que « ce coût pouvait augmenter notamment en raison d’effet de seuils si le nombre de demandes venait à augmenter de façon considérable puisqu’il faudrait engager de nouveaux moyens ».
En clair, les FAI craignent, en étant condamnés à prendre en charge le blocage, que les vannes ne soient ouvertes avec une industrialisation des mesures de blocage. La vague récente d’assignations et de décisions ne leur donne pas tout à fait tort.
Des frais mis à la charge des FAI
Dans d’autres secteurs, la question ne se pose pas : les FAI n’ont pas à supporter les frais d’identification des IP adressées par la Hadopi, ils sont déchargés des frais consécutifs aux réquisitions judiciaires, tout comme pour le blocage des jeux en ligne (loi ARJEL).
Le jugement du tribunal a rappelé l’arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2017, pris dans la lignée d’une autre décision de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt Telekabel).
La haute juridiction française a estimé en substance qu’aucun texte ne s’opposait à la prise en charge du blocage par les FAI. Le TGI va souligner qu’à l’inverse, aucun texte ne prévoit une telle obligation sur le fondement de l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Pour le cas présent, après auscultation de la jurisprudence européenne, la présidente Marie-Christine Courboulay, vice-présidente du TGI, va finalement répondre que « les coûts des mesures de blocage seront mis à la charge » des FAI.
Ce coût n’est pas insupportable pour ces sociétés, ne compromet pas la viabilité de leur modèle économique, ni ne porte atteinte à la liberté d’entreprendre. Évidemment, la faiblesse des montants exposés par les FAI leur a été fatale à la barre : « des sommes très raisonnables au regard de la surface financière des sociétés FAI (de 25 euros à 450 euros selon les sociétés) ».
D’autres éléments ont pesé : aucun fournisseur n’a dans le passé répercuté ces frais sur les titulaires de droit, qui, de leur côté, ont dû supporter des « coûts importants de constat des sites illicites ».
Pas de mise à jour des sites bloqués sans retour devant le juge
Vis-à-vis des sites miroirs, un principe de base a été rappelé par le TGI de Paris : « le nombre de sites qui doivent faire l’objet de l’interdiction d’accès est limitativement fixé par le présent jugement et toute mesure touchant un autre site doit être autorisée par une autorité judiciaire, les FAI n’ayant pas d’obligation de surveillance des contenus et la SCPP ne disposant pas du droit de faire bloquer l’accès à des sites sans le contrôle préalable de l’autorité judiciaire ».
En clair, en cas de réouverture de l’un quelconque des sites bloqués, les parties devront, sauf accord, retourner devant le juge pour actualiser la base. En attendant, voici ci-dessous la liste des sites, miroirs et redirection bloqués par ce jugement du 2 novembre 2017.
Sites d’origine :
- extra2.to
- torrent9.code civil
- isohunt.to
- cpabien.xyz
Sites miroirs :
- torrent9.me
- torrent9.ws
- torrent9.tv
- smartorrent.com
- torrent9.info
- torrents9.org
- isohunt.st
Sites de redirection :
- extratorrent2.cc
- torrent9.biz
- torrent9.top
- cpasbien.cm
On remarquera dans la liste « torrent9.code civil », sans doute fruit d’une erreur d’autocomplétion dans le traitement de texte utilisé par la magistrate…