Détails sur les allées et venues des lobbyistes, relevés de présence et comptes rendus plus détaillés, modernisation du site de l’Assemblée... La députée Delphine O a présenté hier, dans le cadre de la réforme du Palais Bourbon, différentes propositions visant à favoriser la transparence sur les travaux parlementaires.
Après la polémique de cet été sur le site « NosDéputés », alors accusé de nourrir l’antiparlementarisme, l’heure semble visiblement au réchauffement des relations entre élus du Palais Bourbon et militants d’un meilleur accès aux informations publiques.
« La transparence est souhaitable sur les activités du député au sein de l’Assemblée nationale, mais elle peut être plus large encore », conclut ainsi la rapporteure du groupe de travail consacré à « l’ouverture » de la chambre basse du Parlement, Delphine O (LREM).
Sans jamais citer le nom de la plateforme gérée par l’association Regards Citoyens, la députée reconnaît qu’il est « légitime et utile » que des acteurs extérieurs « proposent – entre autres – une consolidation des données de présence et d’intervention des députés, qui offrent au citoyen une vision quantitative du travail parlementaire ». Pour mémoire, « NosDéputés » établit différentes statistiques à partir des données publiées au Journal officiel ou sur le site de l’Assemblée (présences en commission, nombre de questions posées au gouvernement, etc.).
La suppléante de Mounir Mahjoubi – rapidement appelé au poste de secrétaire d’État au Numérique – souligne néanmoins que « la complexité et la diversité des activités de chaque député ne sauraient être reflétées ni résumées dans des chiffres (nombre d’interventions, de rapports, etc.) ». Elle pointe au passage les « effets pervers de « surenchère » » liés aux évaluations uniquement quantitatives, de type multiplication des questions écrites ou des amendements.
Vers de nouvelles ouvertures de données, dès 2018 ?
Afin de « répondre à la défiance largement ressentie par l’opinion publique vis-à-vis du Parlement », Delphine O en appelle à davantage de transparence sur les travaux menés au Palais Bourbon.
« Il revient à l’Assemblée d’ouvrir plus largement l’éventail de données publiées sur son site et de les rendre plus facilement utilisables par les organismes extérieurs (plateformes citoyennes, ONG, etc.), dont le travail de vigilance est essentiel, retient-elle. Il n’existe pas un critère unique d’appréciation du travail parlementaire ; le croisement de données peut toutefois apporter un éclairage, notamment sur la spécialisation de certains députés. »
Plus concrètement, plusieurs pistes sont avancées par Delphine O :
- Transparence sur les « entrées des lobbyistes dans les locaux de l’Assemblée », le tout étant possible sur le plan technique grâce au badge dont disposent les représentants d’intérêts officiels. « Les intéressés devraient être prévenus et la collecte de ces données devrait respecter les règles de la loi Informatique et libertés. Quant aux autres personnes auditionnées dans le cadre des activités parlementaires, qui sont dotées d’un simple badge « visiteur » sans code-barres, l’application générant ces badges pourrait établir une liste de leurs entrées également en open data. Les entrées des visiteurs reçus à titre personnel (famille, etc.) par les députés ne seraient pas concernées par cette publication », explique la rapporteure.
- « Publication de comptes rendus plus détaillés » des travaux du Bureau de l’Assemblée nationale, de la Conférence des présidents, des réunions de questure et – surtout – des commissions mixtes paritaires (qui se réunissent en vue d’un compromis entre Sénat et Palais Bourbon).
- Ouverture des données relatives aux « présences à chaque réunion » du Bureau de l’Assemblée nationale, de la Conférence des présidents, des réunions de questure et des CMP.
- Publication, en Open Data, du règlement budgétaire et financier de l’Assemblée nationale.
- Intégration d’un lien, dans les rapports parlementaires, entre la liste des personnes auditionnées et le futur registre numérique de représentant d’intérêts (instauré par la loi « Sapin 2 » et confié à la Haute Autorité pour la transparence).
- Publication des agendas parlementaires « des députés qui le souhaitent »
- Ouverture, sur la base du volontariat, des « données permettant de faciliter la prise de contact avec le député » (numéro de téléphone fixe, précision sur le lieu de travail des collaborateurs).
« Ces ouvertures de données pourraient être réalisées à partir de l’année 2018 » affirme Delphine O, soulignant qu’elles ne devraient a priori pas impliquer de recours à des prestataires extérieurs à l’Assemblée nationale.
- Liste des auditionnés par les rapporteurs en #OpenData
— Regards Citoyens (@RegardsCitoyens) 13 décembre 2017
- Publi des présences aux réunions du Bureau, de la Conf des Présidents et de la Questure
- Retransmission vidéo des CMP
- Tablettes numériques pour consulter les textes et amendements en tribunes du public#RéformesAN
Si l’association Regards Citoyens s’est félicitée hier sur Twitter que plusieurs de ses préconisations aient été reprises par la rapporteure, force est de constater qu’elle n’a pas été suivie sur toutes ses propositions. Le collectif réclamait notamment la transparence sur les délégations de vote. « Il est toujours impossible, quand on lit un relevé de scrutin public, de savoir si un député était présent au moment du vote ou s'il a délégué sa voix », avait ainsi regretté l’organisation, auditionnée par le groupe de travail sur l’ouverture de l’Assemblée.
Regards Citoyens prônait également une publication des comptes détaillés de l’Assemblée nationale (comme l’a laissé entrevoir cet été le président De Rugy), ou bien encore la transparence sur la prise en charge des frais de mandat des députés.
Elle plaidait par ailleurs pour une révision de la loi « CADA », aucun droit d’accès n’existant pour les documents des assemblées parlementaires. « La transposition dans le règlement de l’Assemblée nationale de certaines dispositions législatives organisant le droit d’accès aux documents administratifs pourra être étudiée », concède néanmoins, sur ce terrain, le rapport de Delphine O.
Modernisation du site Internet de l’Assemblée nationale
Véritable vitrine du Palais Bourbon, le site de l’Assemblée nationale devrait être prochainement remanié. Delphine O souhaite cependant que cette refonte ne se fasse pas sans association préalable du public. Elle demande ainsi qu’avant de rénover le site actuel, un « groupe test » soit constitué « avec des citoyens qui pourraient se prononcer sur la pertinence de la présentation et des contenus actuels du site ainsi que sur des options d’évolution ».
« L’Assemblée pourrait profiter de talents extérieurs en lançant un appel à contribution auprès des jeunes en écoles d’art, de design ou de journalisme », envisage-t-elle également. « Il pourrait s’agir éventuellement d’un concours, assorti d’un cahier des charges minimal. »
La députée voudrait que le Palais Bourbon modernise son site, en proposant par exemple deux portes d’entrées (une pour les citoyens, l’autre pour les organisations), un moteur de recherche « plus sophistiqué », un outil qui permettrait de savoir, en entrant son code postal, qui est son député, une chaîne YouTube, etc.
Surtout, elle en appelle à l’intégration d’outils capable d’offrir aux internautes « un suivi plus poussé de l’élaboration de la loi étape par étape avec, notamment, un suivi sur une frise chronologique ». Delphine O estime qu’il faudrait « associer aux articles du projet de loi, à chaque étape, les amendements adoptés et les avis exprimés par le gouvernement et le rapporteur lors de leur discussion tant en commission qu’en séance publique ».
S’agissant de la qualité des données ouvertes par le Palais Bourbon, qui fut parfois critiquée durant les auditions, la rapporteure concède qu’il conviendrait d’ « utiliser davantage les formats les plus appréciés » (et plus particulièrement le CSV). « Le service des systèmes d’information procède actuellement à une rénovation de l’architecture du site et de l’Open Data pour être en mesure de procéder aux mises à jour au fil de l’eau, ajoute-t-elle. Cet objectif pourrait être atteint courant 2018, dans le cadre d’une enveloppe budgétaire raisonnable. »
Un « hackerlab » à l’Assemblée nationale, d'ici quelques années ?
Dernière proposition phare de Delphine O : créer, à l’Assemblée nationale, « un espace d’accueil du public, qui remplisse un double rôle d’information et d’exposition ». La députée souligne que les outils numériques auraient dans ce cadre « vocation à être largement utilisés », à l’image des « tables et cartes interactives, écrans présentant les député.e.s, voire projections de vidéos à 360°, témoignages de citoyen.ne.s, vidéos postées par les député.e.s, etc. »
Cet espace pourrait même devenir « un « tiers » lieu, un lieu de débats, de rencontres, d’ateliers démocratiques, jusqu’à être utilisé comme « hackerspace » dans l’esprit du dernier data camp qui a été organisé par l’Assemblée en novembre 2016 pour encourager les échanges autour des innovations nées de l’exploitation des données », poursuit Delphine O. L’élue cite ici en exemple le « Hacker Lab » de la Chambre des députés brésilienne, où développeurs, parlementaires et citoyens travaillent « de manière collaborative pour [des] actions qui améliorent la citoyenneté ».
La rapporteure prévient toutefois que « plusieurs années » seront « nécessaires à la mise en œuvre de ce projet ». Lequel devra, comme toutes les autres propositions évoquées précédemment, être avalisées par les élus du Palais Bourbon.
François De Rugy a annoncé hier que premières décisions seraient prises par le Bureau de l’Assemblée nationale au mois de janvier.