Le Partenaire européen, une société d’annonces immobilières n’avait pas apprécié la présence sur le forum de l’association Lesarnaques.com des messages la mettant en cause sous des noms d’oiseaux. Elle avait demandé la suppression de ces contenus au président de cette association, également directeur de la publication. En vain. Elle a obtenu leur condamnation solidaire sur le fondement d’une disposition de la loi Hadopi.
Entre le Partenaire européen et LesArnaques, l’affaire prend une tournure judiciaire en 2011. Les mises en demeure de suppression s’enchaînent, les messages sur ce forum non modéré aussi. Finalement, M.G, le directeur de la publication et LesArnaques sont poursuivis devant le tribunal de grande instance de Montpellier au titre notamment de ces diffamations.
Le Partenaire européen pointe au total une vingtaine de messages où des internautes insinuent notamment que la société arnaque et abuse de la faiblesse de ses clients. Déboutée devant le TGI, la société fait appel en avril 2012. Elle reproche au directeur de publication de ne pas avoir retiré assez rapidement ces messages qui seront finalement jugés diffamatoires.
L’affaire est intéressante : dans son arrêt du 14 novembre 2012 la Cour d’appel de Montpellier applique une disposition de la loi Hadopi réformant le régime de responsabilité des forums de discussion (l'arrêt diffusé par Legalis.net). Une disposition délicate qui accentue finalement la responsabilité du directeur de la publication d’un site pour des propos tenus par des tiers.
Avant, après Hadopi
Réforme ? Avant la loi Hadopi, l’exploitant d’un forum non modéré était mis en cause via la loi sur la confiance dans l’économie numérique. La LCEN de 2004 aménageait la responsabilité de l’intermédiaire en contraignant la prétendue victime à suivre un formalisme rigoureux. De plus, l’intermédiaire pouvait toujours répondre que le message n’était « pas manifestement illicite ». Si l’illicéité d’un contenu pédopornographique saute aux yeux, c’est plus difficile pour la diffamation qui s’apprécie in concreto. (On lira sur ce thème la précieuse note du juriste Benoit Tabaka.)
Depuis la loi Hadopi du 12 juin 2009, lorsqu’une diffamation est postée par un internaute sur un espace contributif, le directeur de publication de ce site « ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s‘il est établi qu’il n‘avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message. »
Si on détricote, le directeur de la publication peut être condamné pour des diffamations postées par des internautes dans deux cas : dans un site modéré a priori, parce qu’il a laissé passer ces messages entre les mailles du filet. Dans un site non modéré, parce qu’il a eu connaissance de ces messages, mais n’a pas agi promptement pour les retirer.
Mais avant cela, le directeur de la publication peut échapper à la condamnation s’il démontre sa bonne foi. Mais sur un forum où les messages ne sont pas modérés comme celui de LesArnaques, les choses se corsent.
Les magistrats vont rappeler une formule classique : l’exonération de bonne foi ne vaut que si le directeur de la publication a fait preuve « de prudence dans l’expression, au respect du devoir d’enquête préalable, à l’absence d’animosité personnelle et à l’intention de poursuivre un but légitime ». Or, selon la Cour d’appel de Montpellier, les termes « étaient justement incriminés pour leur manque de modération par le directeur de la publication ». Logique implacable : l’absence de modération sur le forum du site LesArnaques traduisait de ce seul fait l’« absence de prudence ». En clair, pas de modération, pas de bonne foi.
Une connaissance large, un retrait trop lent
Deuxième étape. Le directeur de publication avait-il connaissance des messages diffamatoires ? Affirmatif ! selon la Cour d’appel puisqu’il avait « lui-même répondu dans le cadre de ce forum à un message posté sous une même adresse Url comprenant des messages jugés diffamatoires ». Comprenons : le fait d’avoir répondu à un (1) message sur une (1) URL qui en comprenait d’autres (1+1+1+1+1…) supposait qu’il avait connaissance de tous ces messages postés par d’autres !
Enfin, le directeur de publication a-t-il agi promptement pour retirer les messages dont il a ainsi connaissance ? Négatif, reprochent les juges. En effet, il s’est abstenu « de toute intervention », passivité qui s’est poursuivie « en dépit des courriers que le conseil de l’appelante lui avait adressés à plusieurs reprises, excepté quelques modérations effectuées sur certains d’entre eux, mais toujours avec grand retard et de manière très partielle ». Les magistrats souligneront d’ailleurs que « dans le règlement du forum de son site internet, l’association LesArnaques.com recommande aux internautes de s’en tenir aux faits et d’éviter le mot “arnaque”, qui pourrait entraîner la fermeture du sujet » accentuant d’une certaine manière la gravité de son inaction...
Finalement, la Cour d’appel va infirmer le jugement du TGI de Montpellier. Elle condamne le directeur de la publication et LesArnaques à 9 000 euros de dommages et intérêts, majorés de 2000 euros pour les frais. LesArnaques a protesté en fermant symboliquement leur forum pour 24h à compter d’aujourd’hui. L’association appelle désormais au soutien de ses membres et envisage un pourvoi en cassation.