La « démocratie numérique » ne doit pas être un leurre

Le beurre et l'argent du leurre
La « démocratie numérique » ne doit pas être un leurre
Crédits : DragonImages/iStock

La députée Paula Forteza (LREM) présentera cette semaine les conclusions du groupe de travail sur la « démocratie numérique », avec en ligne de mire la future réforme constitutionnelle. La majorité a une véritable opportunité à portée de main. À condition qu’elle arrive à s’en saisir.

Après trois mois d’auditions au pas de charge, de premières « propositions opérationnelles » devraient être dévoilées mercredi 13 décembre, à 10h, par les différents groupes de travail chargés par le président de l’Assemblée nationale de réfléchir à une modernisation de la machine parlementaire.

Alors que la majorité se proclame d’un « monde nouveau », les préconisations soumises au titre de « la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne » devront être surveillées de près.

Près de 10 000 citoyens ont répondu à la consultation en ligne lancée pour l’occasion par le Palais Bourbon. Leurs contributions ont souligné ô combien il existait de pistes en la matière : e-pétitions, référendum d’initiative citoyenne, amendements citoyens, outils de consultation numérique, etc.

Les débats ont rapidement débordé sur d’autres sujets connexes, tels que la création d’un « service parlementaire de la donnée », la transparence vis-à-vis des lobbyistes, le mode de désignation des parlementaires, etc.

Une véritable opportunité d’associer davantage les citoyens à la prise de décision

À l’heure où la défiance envers les responsables publics reste plus que jamais de mise, il semble évident que le numérique pourrait permettre de renouer un tant soit peu les liens – distendus à coups d’affaires Cahuzac, Thévenoud, Fillon... – entre citoyens et décideurs.

Le développement actuel des moyens de communication se révèle surtout à même d’atteindre l’un des principes posés dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à [la] formation [de la loi]. »

Il appartiendra à la majorité de choisir le ou les outils qui lui semblent les plus adaptés pour relever ce défi.

Trop peu d’expérimentations

Le chemin s’annonce néanmoins bardé d’embuches. Comme l’a fait remarquer Mounir Mahjoubi à Axelle Lemaire, qui vantait fin octobre à Angers la consultation organisée sur l’avant-projet de loi Numérique, ce type d’exercice en reste pour l’instant au stade de « prototype ». « Quand on a 21 000 participants sur 66 millions de Français, il faut qu’on aille plus loin » a ainsi fait valoir le secrétaire d’État au Numérique.

De fait, tous les dispositifs envisagés n’ont pour l’instant guère – voire pas du tout – été utilisés. Et quand ils l’ont été, ce fut la plupart du temps à titre expérimental !

La précédente majorité a ainsi été incapable de mettre en œuvre la moindre initiative sur les amendements citoyens, pourtant soutenus par le PS. Les propositions de loi de Luc Belot et Patrice Martin-Lalande sur la généralisation des consultations en ligne n’ont quant à elles jamais été débattues...

Et il faudrait introduire directement l’un de ces nouveaux outils dans la Constitution ? Voilà qui risque de susciter des réticences...

Paula Forteza (LREM) a toutefois laissé entendre que la majorité pourrait contourner cette difficulté : « Nous avons réfléchi à plusieurs mécanismes de participation, que ce soit le droit de pétition, le droit de référendum, un droit de mise à l'agenda citoyen, où nous avons cherché plutôt à déverrouiller au niveau constitutionnel pour laisser la place à l'expérimentation au niveau de l'Assemblée nationale » a-t-elle déclaré jeudi dernier. « Toutes ces nouvelles dynamiques de participation ne sont pas encore figées, doivent encore être le fruit d'expérimentations pour trouver les bons seuils, les bons mécanismes, les bons canaux... »

Attention au risque d’essoufflement

Même en avançant à coup d’expérimentations, les responsables publics devront jouer pleinement le jeu. « Beaucoup d'institutions se sentent en situation de défiance et veulent restaurer de la confiance. Et beaucoup se plantent parce qu'elles veulent restaurer la confiance pour refaire de l'abus de confiance » a fait valoir Henri Verdier, le numéro un de la Direction interministérielle du numérique (DINSIC), en octobre dernier lors d’une audition.

« Si le sujet c'est seulement de rassurer les gens, de leur donner le sentiment qu'on les écoute, de leur laisser un petit espace d'agitation, on ratera la cible » a-t-il prévenu. Avant d’ajouter : « On constate en ce moment une tentation de « consultation washing », trop rapide, trop tard, sur un fragment trop petit de la décision... »

Henri Isaac, maître de conférences en management des systèmes d'information, l’a rejoint jeudi dernier lors d'une table ronde que nous animions : « Ce n'est pas l'outil qui fait la démocratie, c'est la façon dont on s'en sert. Il ne faudrait pas que les consultations numériques deviennent les nouveaux hygiaphones de la démocratie, et établissent des barrières entre les citoyens « experts » et ceux, « non experts », qui ne savent même pas que ces consultations existent... »

Pour fonctionner, la « démocratie numérique » ne devra donc pas être un leurre. Faute de quoi, elle pourrait même se révéler contre-productive.

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