Alors que les récentes ordonnances réformant le Code du travail ont fait disparaître l’obligation pour l’employeur de prendre en charge l’intégralité des frais de télétravail de ses salariés (ordinateur, logiciels, etc.), certains députés ont tenté de revenir sur ces dispositions. La majorité s’y est toutefois opposée.
« Peut-être que demain, on aura des entreprises où l'on vous dira que si vous voulez bénéficier du télétravail, il y a un certain nombre de frais qui seront à votre charge » s’inquiétait Mohammed Oussedik, de la CGT, suite à la présentation des « ordonnances Pénicaud ».
Et pour cause. Afin de favoriser le recours au travail à distance, le gouvernement a choisi de supprimer l’obligation qui figurait jusqu'ici au 1° de l’article L1222-10 du Code du travail, et en vertu de laquelle l’employeur devait « prendre en charge tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci » (voir notre article).
Différents députés de l’opposition ont toutefois profité de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances réformant le Code du travail pour tenter de rétablir ces dispositions.
« Chacun dispose chez soi d’une box », avance le rapporteur
« Le salarié, d’autant plus isolé car en situation de télétravail, ne saurait supporter les frais liés aux coûts de son poste de travail », ont notamment objecté les députés Castellani, Acquaviva et Colombani (non inscrits). Le socialiste Jean-Louis Bricout, suivi par le groupe Nouvelle Gauche, a de son côté souligné que cette prise en charge « était pourtant prévue dans des accords conclus avec les syndicats en 2005 ».
Le rapporteur Laurent Pietraszewski (LREM) s’est cependant opposé à tout retour en arrière, jeudi 23 novembre, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. « Nous craignons que cette obligation constitue un frein à l’essor du télétravail. Dans la pratique, chacun dispose chez soi d’une box ou, à défaut, d’une connexion Internet simple » s’est-il justifié.
« Je tiens tout de même à vous rassurer » a-t-il poursuivi : « l’employeur restera tenu de prendre en charge certains coûts liés au télétravail, dans la mesure où il demeure soumis à une obligation générale de prise en charge des frais professionnels. Il devra ainsi continuer de prendre en charge certains coûts mais aura désormais la possibilité de choisir la modalité de remboursement des frais. L’indemnisation pourra par exemple être forfaitaire. »
Obligation générale de prise en charge des frais professionnels
Sur le banc du gouvernement, la ministre du Travail s’est elle aussi employée à déminer le terrain : « Comme l’a dit M. le rapporteur, l’employeur est soumis à une obligation générale de prise en charge des frais professionnels « nécessaires à l’exécution du travail », qui s’applique également aux situations de télétravail ».
Interrogé par nos soins, l’avocat Grégory Saint-Michel avait eu une analyse similaire : « D'un point de vue juridique, c'est contraire à la convention européenne des droits de l’homme et au droit du travail international. Il me semble difficile d’imposer à un salarié des dépenses professionnelles sans qu'elles ne lui soient remboursées. Ce n'est pas au salarié de débourser pour exécuter. Je pense qu’il y aura donc toujours possibilité que la jurisprudence revienne sur le texte. »

Les représentants de la majorité ont enfin expliqué que la réforme visait à conduire des accords au cas par cas, notamment pour les situations particulières – par exemple lorsque le travail à distance s’effectue dans un espace de co-working. « Dans ce cas, la discussion portera non pas sur le remboursement des équipements ou des frais de connexion, mais peut-être sur l’achat d’un siège ergonomique, par exemple, si le salarié passe beaucoup d’heures derrière un écran », a ainsi affirmé la ministre Muriel Pénicaud.
Ces arguments n’ont visiblement pas convaincu le communiste Jean-Paul Dufrègne, qui a demandé un scrutin public sur son amendement (alors que ceux-ci sont en principe votés à main levée). Avec 12 « pour » et 42 « contre », l’Assemblée a cependant rejeté le rétablissement du 1° de l’article L1222-10 du Code du travail.
Des accords « par tout moyen », y compris pour le télétravail régulier
La seule modification apportée par l’Assemblée nationale à la récente réforme du droit du travail, tout du moins s’agissant du télétravail, concerne la formalisation de l’accord entre salarié et employeur.
« Auparavant, le recours au télétravail relevait d’une logique individuelle, au cas par cas, puisqu’il devait être prévu dans le contrat de travail du salarié. Désormais, le recours au télétravail devra faire l’objet d’échanges au sein de l’entreprise, soit par voie d’accord, soit par une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique » a rappelé le rapporteur lors de discussions en commission.
Faute d'accord ou de charte, les ordonnances du gouvernement prévoient que salariés et employeurs puissent conclure un accord « par tout moyen », mais uniquement pour le recours occasionnel au télétravail.
Laurent Pietraszewski a toutefois réussi à faire voter un amendement en vertu duquel le télétravail régulier pourra lui aussi être décidé « par tout moyen » – par exemple de manière verbale, ou par simple mail. « Il n’y a pas de raison de pénaliser un salarié souhaitant recourir au télétravail en limitant ce recours au seul travail occasionnel », s'est justifié l'élu LREM.
Le député Alain Ramadier (LR) a toutefois vivement critiqué cette évolution, qui rendra selon lui « totalement inutile l’accord collectif ou la charte ». « Pour sécuriser le recours au télétravail et éviter tout contentieux, il convient d’envisager à tout le moins une trace écrite de l’accord, qui pourrait consister en un échange de courriels » a-t-il exhorté, dans l’hémicycle. Avant de conclure : « Dans le cadre du télétravail, un salarié qui a conclu un accord verbal avec un supérieur hiérarchique peut se voir reprocher une absence injustifiée. »
« Restreindre la possibilité d’un accord entre l’employeur et les salariés au seul télétravail occasionnel risque de priver les salariés souhaitant recourir au télétravail de la possibilité de le faire » a rétorqué Laurent Pietraszewski. D’après le rapporteur, l’expression « par tout moyen » permet de « sécuriser » des dispositifs innovants – l’intéressé a cité le cas d’une « application qui peut être, par exemple, couplée aux alertes de pollution d’Airparif, dans certaines grandes entreprises ».